Discours de Bernard Giusti, Secrétaire Général du syndicat CGT de l'hôpital Saint-Vincent de Paul
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Discours de Bernard Giusti
Secrétaire Général du syndicat CGT de l'hôpital Saint-Vincent de Paul
Le 31 mai 2011 au Congrès du syndicat CGT de l'hôpital Saint-Vincent de Paul
Mes cher(e)s camarades,
Nous voici réunis pour ce qui sera le dernier Congrès du syndicat CGT de notre hôpital, Saint-Vincent de Paul. Ce syndicat existe depuis 1973, et beaucoup de luttes s'y sont déroulées. Beaucoup de victoires y ont été obtenues, et nous avons dû faire face à des défaites aussi. Mais la solidarité et la cohésion des syndiqués et des sympathisants a toujours été ce qui a permis les victoires et atténué les défaites. Aussi je tiens à saluer en premier lieu tous les camarades, présents et passés, sans lesquels rien n'aurait été possible.
Dans un contexte économique, politique et syndical difficile, notre hôpital fermera ses portes dans quelques mois, sacrifié au nom d'un capitalisme toujours plus sauvage et arrogant. C'est un crève-cœur pour nous tous, pour nous qui y travaillons depuis des années, pour certains qui y ont fait leur carrière, mais un crève-cœur aussi pour tous les usagers qui étaient attachés à un hôpital à taille humaine qui dispensait une médecine de très haute qualité. Un hôpital qui avait su développer un savoir-faire et une relation patients-soignants exceptionnels qui dépassaient le cadre de nos frontières. Il n'y avait pas de nécessité économique ou médicale qui justifiait la fermeture de Saint-Vincent de Paul. Seule la volonté politique des gouvernements de droite successifs (droite dure comme l'UMP ou droite centriste comme le PS) a conduit à cette fermeture et à ce gâchis.
La fermeture de notre hôpital s'inscrit dans ce que d'aucuns appellent "la restructuration" de l'AP-HP[i][1]. Cette « restructuration » qui touche tous les hôpitaux de l’AP-HP - et dont Marise Dantin[ii][2] et Catherine Cochain[iii][3] vous parleront tout à l'heure - nous savons tous ce qu’elle signifie en réalité : la casse pure et simple de l’hôpital public, sacrifié sur l’autel des profits privés. L’argument si souvent avancé pour justifier une telle politique, à savoir la nécessité de « faire des économies », ne résiste pas une seconde à l’analyse. Quiconque connaît un tant soit peu le fonctionnement de l’AP-HP est en mesure de constater qu’il ne s’agit pas de faire des économies, mais bel et bien de réduire le personnel et l’offre de soin.
Bien entendu, nous sommes contre la gabegie sous toutes ses formes, mais nous refusons cette idée si souvent brandie comme un étendard par les fossoyeurs des services publics, selon laquelle il faudrait « rentabiliser la santé ».
Rentabiliser : cette idée est déjà une aberration pour l’ensemble des services publics, dans la mesure où précisément le principe du service public est bien que les secteurs rentables doivent servir à alimenter les secteurs non rentables (et non à payer des actionnaires), de telle sorte que tout citoyen de la République, où qu’il se trouve, y compris bien sûr dans les DOM[iv][4] (voir le texte de Viviane Membrilla), puisse bénéficier partout des mêmes services. Le service public est un des piliers sur lesquels est fondée notre République, et en s'y attaquant les capitalistes attaquent notre nation.
Mais ce qui vaut pour les services publics en général (par exemple le fait qu'une ligne de chemin de fer de campagne doit être financée par les grandes lignes rentables) est encore plus vrai pour ce qui concerne la santé. La santé est un domaine à part, dans la mesure où, si l’on pourrait toujours choisir entre le train, l’avion ou la voiture par exemple, on ne choisit pas d’être malade ou non (sauf rares exceptions !). L’hôpital n’est pas un bien de consommation, c’est une nécessité, et la qualité des soins dispensés ne doit pas dépendre de la localisation ou des ressources financières des patients.
Il n’y a pas d’argent nous dit-on ? Les doses de vaccin de Bachelot (achetés suite à une campagne lancée par des responsables de l’OMS dont certains, par la suite, ont été mis en examen pour avoir touché des pots-de-vin des laboratoires...) ont coûté plus cher que l’ensemble des déficits des hôpitaux... Nos impôts directs ou indirects augmentent sans cesse, à quoi passent-ils ? A payer des cigares aux ministres ou des voyages en jets privés ? Nos salaires non seulement n’augmentent pas mais, au vu de l’inflation, régressent depuis de nombreuses années, tandis que « la noblesse hospitalière » empoche primes et augmentations et bénéficie d’avantages... Etc., etc.
C’est dans ce contexte général que se déroule la restructuration et la fermeture imminente de notre hôpital.
Attaque généralisée contre les services publics et contre tous les fondements de la République, incompatibles avec les objectifs de l’Europe capitaliste ; appauvrissement de la population (en 2005, l’ONU annonçait 7,5 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France ; début 2010, on atteignait les 13 millions, ce qui n’inclut pas toutes les personnes qui survivent à peine juste au-dessus du seuil de pauvreté...) ; incertitude généralisée sur l’avenir, renforcée par la méfiance, voire la défiance, trop souvent justifiée, à l’égard des partis politiques et des représentants élus... ; remise en cause de nos retraites, quand les plus huppés s’octroient des retraites dorées après avoir pillé la République..
Certains voudraient nous faire croire que ce sont les effets de la crise, mais d’une part ces soi-disant effets étaient déjà présents avant la crise (et puis, comme le dit souvent un de mes amis chanteurs, « Pour nous, ça fait un bail que c’est la crise tous les mois ! »). D’autre part ce que nous vivons plus particulièrement à l’AP-HP était déjà annoncé dans le Plan Directeur de 2000... Ce que nous vivons n’est pas la conséquence de « la crise », ce que nous vivons est la conséquence d’un choix : le choix politique d’un modèle économique. D’autres choix sont possibles. Ils ont fait un choix, celui d'une politique qui nous prive progressivement de l'essentiel. Nous, nous faisons le choix d'une autre politique, celle de l'équité, du partage et de la solidarité.
Certes, à notre modeste niveau local et à nous seuls nous ne saurions inverser la tendance de cette politique capitaliste. Mais nous ne sommes pas isolés : il suffit de parler un peu avec nos collègues, avec les gens dans la rue, pour savoir que nous sommes nombreux à refuser le fatalisme, à refuser ce que le capitalisme veut nous imposer. On cherche à nous convaincre que pour ça aille mieux il faut que nous soyons plus pauvres. Travailler plus longtemps pour gagner moins. Nous le savons et nous le voyons bien tous les jours : nous appauvrir ne sert qu’à enrichir les plus riches.
L’action syndicale ne saurait faire abstraction de ce contexte et nous devons en tenir compte. Je parlais à l'instant de la méfiance à l'égard des élus. Les doutes et interrogations de nos camarades sont malheureusement légitimes : rarement un pouvoir en place n’a été aussi méprisant face aux aspirations du peuple. Ils sont légitimes aussi parce qu’au fil des années, l’écart s’est creusé entre la base, ceux qui sont sur le terrain et qui triment, et leurs représentants élus. Nombre de nos camarades estiment aujourd’hui que les décisions prises dans les principaux états-majors politiques et syndicaux ont empêché le vaste mouvement populaire autour des retraites d’aboutir. Et de fait, si la tactique consistant à organiser des grèves et manifestations par intermittence a permis de démontrer la force des organisations syndicales et des partis politiques, cette même tactique poursuivie obstinément à un moment où la mobilisation des citoyens, qui clamaient leur exaspération mais aussi leurs espoirs dans la rue et sur leurs lieux de travail, cette même tactique, parce qu’elle a été poursuivie alors qu’il aurait fallu en changer en décrétant le blocage du pays, s’est révélée contre-productive et a conduit la plupart des militants, et des citoyens en général, au découragement et à l’incertitude. Notre syndicat n'échappe pas aux remous engendrés par ce contexte général, et il serait puéril, voire néfaste, de l'ignorer ou de feindre de l'ignorer.
Certains dirigeants syndicaux et certains de nos camarades ont choisi, ouvertement ou tacitement, la voie de la collaboration avec le capitalisme. Ils nous présentent certaines réformes comme inéluctables. Il conviendrait donc en quelque sorte de négocier afin d’en limiter les dégâts. Ou encore, ils voient l'avenir de notre syndicat dans la participation à la structure réformiste, européenne et donc capitaliste, de la CES[v][5].
Pour notre part, nous nous souvenons de ces paroles d’Henri Krasucki : « Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse : renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement. »
Nous ne devons pas baisser les bras, nous ne devons pas nous laisser bercer par les sirènes de la collaboration avec le capitalisme. Oui, la lutte est dure. Elle est aujourd’hui d’autant plus dure qu’après l’imposition des réformes libérales malgré l’opposition massive des citoyens, les tenants du pouvoir et leurs sbires sont plus que jamais agressifs et méprisants - nous le voyons tous les jours en tant que délégués syndicaux. Elle est d’autant plus dure que l’idéologie capitaliste est diffusée à longueur de médias, dont la très grande majorité sont aux ordres. Mais particulièrement en cette période si difficile, nous avons le devoir d’affirmer et de réaffirmer nos idéaux, de défendre et d’imposer nos valeurs, qui reposent sur la justice sociale, le partage et la solidarité, sur l’égalité et la fraternité, et donc sur la liberté.
Alors, camarades : affirmons nos valeurs !
Affirmons-les parce qu'il n'y a pas de troisième voie entre la collaboration de classe et la lutte des classes. Affirmons-les, parce qu'en les affirmant nous ne pouvons que renforcer notre action syndicale. Affirmons-les, parce qu'ainsi nous faisons obstacle à tous les tenants de l'économie libérale, et parce qu'ainsi nous maintenons vivante la flamme de l'espoir.
Pour ma part, et avec mes camarades de Saint-Vincent de Paul et d'autres hôpitaux, nous avons choisi notre camp, celui de la lutte des classes.
Voilà un an, chers camarades, que vous m'avez élu au poste de Secrétaire Général. J'ai eu la chance d'être entouré par des camarades motivés et dévoués, sans lesquels je n'aurai pas pu faire grand-chose, des camarades qui ont toujours été présents pour me soutenir ou me conseiller. Je tiens à les remercier aujourd'hui.
Vous le savez, mon souci premier a toujours été de défendre au mieux le personnel de notre hôpital, particulièrement malmené par la direction en cette période de fermeture, et nous avons eu notamment à résoudre de nombreux cas particuliers. La plupart ont été résolus avec succès, notamment grâce au soutien des camarades de Cochin. Mais n'oublions pas que chaque cas particulier nous renvoie à ce qui motive notre action syndicale. Il y a dans notre CGT des camarades qui ont malheureusement perdu de vue que derrière les mots, derrière les mots d'ordre et des slogans, derrière les stratégies syndicales, il y a une base qui souffre. L'un de mes professeurs à la Fac, juif argentin et marxiste, avait coutume de me dire que "la théorie c'est de la pratique". Et en effet, si toute pratique syndicale doit se soutenir d'une théorisation, la théorisation syndicale qui ne repose pas ou ne repose plus sur la pratique devient inefficace parce qu'en décalage avec la réalité de terrain. Chaque cas particulier illustre donc ce que nous pensons, et en même temps il nous permet de nous adapter sans cesse à la réalité du terrain. Je ne considère donc pas, comme d'aucuns pourraient le faire, que la défense des cas particuliers soit une activité syndicale mineure. Au contraire, je le répète, c'est la base même de notre action.
Ensuite, l'un de mes soucis a été d'anticiper au mieux une fermeture qui, lorsque j'ai pris mes fonctions, était devenue inéluctable. Il s'est donc agi de batailler sans cesse avec la direction afin que nos collègues puissent être réaffectés dans les meilleures conditions possibles. Les exemples que nous avons eus avec le départ de la Pédiatrie sur Necker, puis ceux sur le Kremlin-Bicêtre, ont malheureusement démontré si besoin en était que la direction, pour parvenir à ses fins, est prête à tout. Notre combat aujourd'hui porte sur les collègues qui iront sur Cochin et le PR1[vi][6].
Avant même ma prise de fonction effective, j'ai décidé de rétablir la confiance et la fraternité avec nos camarades de Cochin. En effet, pour défendre aux mieux nos collègues de SVP, il était évident qu'il nous fallait l'appui de Cochin, ne serait-ce qu'en terme de rapport de force avec la direction. D'autre part, ma vision de la CGT est celle de l'unité et de la solidarité, et non de la division entre les syndicats CGT. Je voudrais donc remercier maintenant Marise Dantin ainsi que tous nos camarades de Cochin, car lorsque j'ai fait cette démarche de rapprochement entre nos deux syndicats, ils m'ont accueilli avec chaleur et franchise. J'ai pu constater très vite que tous les ragots qui avaient jadis mené à la division et à la suspicion entre nos syndicats étaient sans fondements. Tout au contraire, j'ai trouvé des camarades opposés aux compromissions, attachés à la lutte des classes et à une véritable démocratie syndicale. Je suis heureux de voir qu'aujourd'hui l'entente entre tous les camarades des deux syndicats est totale.
Un grand merci spécial à Marise, qui est quelqu'un de droit et de généreux et qui, de camarade, est devenue une amie.
Grâce à ce rapprochement, nous avons pu défendre plus efficacement les collègues en difficulté. Nous avons pu mener des actions communes. Par exemple, une expertise est en voie d'achèvement sur le PR1, et si le Secrétaire Général de SVP pilote cette expertise c'est bien grâce aux camarades mandatés au CHSCT[vii][7], de SVP et Cochin réunis.
Tout cela a permis à notre syndicat CGT de SVP de rester présent et offensif au moment où le personnel a particulièrement besoin de nous.
Je voudrais à présent revenir sur la démocratie syndicale. Comme je le disais tout à l'heure, un fossé grandissant s'est creusé entre la base et les élus de la CGT. Ce qui jadis faisait la force de la CGT, c'était une idéologie claire basée sur le principe de la lutte des classes. Ces dernières décennies, l'évolution politique et syndicale a fait que les principes idéologiques qui sous-tendent les décisions et les actions sont de plus en plus flous, voire parfois soumis à des intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général du syndicat. Cet état de fait aboutit à mon sens à des atteintes de plus en plus manifestes à la démocratie syndicale. Beaucoup de camarades mandatés, par exemple, estiment ne plus avoir de comptes à rendre à ceux qui les ont élus. Certains mandats peuvent être attribués sans même que la base en soit informée et sont en quelque sorte attribués "pour services rendus", comme des médailles du mérite. Des camarades mandatés semblent penser qu'ils sont seuls décideurs des actions ou des orientations à donner aux actions. Pour beaucoup, les commissions exécutives ne sont là que pour entériner des décisions prises en comités restreints dans les Bureaux, alors que ce devrait être l'inverse. Bref, les exemples sont nombreux. Pour notre part, ici à SVP, mais aussi à Cochin, à Broca ou à l'Hôtel Dieu, nous veillons particulièrement à ce que cette démocratie syndicale soit respectée, et nous continuerons à le faire. La CGT ne doit pas être comme l'UMP ou le PS, à savoir que si la base dit non, les dirigeants ne doivent pas dire oui et mener une politique contraire à celle décidée par le peuple. A l'UMP et au PS, ils ont sans cesse les mots de "démocratie" et de "liberté" à la bouche, mais c'est pour mieux les bafouer. Alors ne jugez pas les camarades mandatés sur leurs paroles, mais jugez-les sur leurs actes. Ne les jugez pas sur leurs mérites passés, mais sur leurs actes actuels.
Les militants ne sont pas des militaires.
J'ai beaucoup insisté dans ce discours sur la nécessité de respecter la démocratie syndicale, sur le fait que les décisions ne devaient pas être prises unilatéralement par des mandatés coupés de leur base, et qui pensent que "la base suivra". C'est que la démocratie est le fondement même de l'unité et de la solidarité au sein de notre syndicat. En effet, il ne saurait y avoir ni l'une ni l'autre sans l'adhésion massive des syndiqués aux orientations et aux décisions prises, et pour cela il est impératif que tous les syndiqués soient associés aux décisions. Faute de quoi, la base continuera à se désolidariser de ses dirigeants, les divisions intra-syndicales ne feront que s'accentuer, les intérêts particuliers prendront le pas sur l'intérêt général, et en fin de compte l'action syndicale proprement dite sera réduite à la portion congrue. En cette période d'offensive généralisée contre les droits et les intérêts des travailleurs, cela ne pourra qu'être catastrophique pour l'ensemble des travailleurs et cela ne fera qu'affaiblir notre CGT.
Alors chers camarades, renforçons la démocratie syndicale au sein de la CGT, affirmons nos valeurs, et vive la lutte des classes !
Merci à vous tous.
Bernard Giusti
[i][1] Assistance Publique – Hôpitaux de Paris
[ii][2] Marise Dantin, Secrétaire Générale CGT de l'hôpital Cochin
[iii][3] Catherine Cochain, Secrétaire Générale CGT de l'hôpital Broca
[iv][4] DOM : Départements d'Outre-Mer
[v][5] CES : Confédération Européenne des Syndicats ; structure rassemblant les syndicats réformistes (ou syndicats d'accompagnement du capitalisme) de l'Europe du capital
[vi][6] PR1 : Port Royal 1 ; bâtiment situé à Port-Royal et dépendant de l'hôpital Cochin. Il est destiné à regrouper les maternités de Saint-Vincent de Paul, Baudelocque et Port-Royal. A l'occasion de cette restructuration, la direction en profite bien sûr pour supprimer des postes et dégrader les conditions de travail, le but avoué étant d'accoucher plus de femmes avec moins de personnel. Le personnel a surnommé ce nouveau bâtiment "l'usine à bébés"…
[vii][7] CHSCT : Comité d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail