Le CAC40 s’apprête à verser 51 milliards d’euros à ses ACTIONNAIRES malgré la poursuite de la pandémie
SOURCE : Bastamag
Gros actionnaires et fonds d’investissement vont bénéficier d’un dividende record, en pleine pandémie. L’Observatoire des multinationales lance la campagne “Allô Bercy ?” pour que les aides publiques aux entreprises soient enfin soumises à condition.
Prêts garantis, chômage partiel, fonds de soutien, aide au financement sur les marchés, reports de charge, apports en capital, plan de relance… Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les aides publiques ruissellent sans limite sur le secteur privé ! « C’est dans ces moments de crise qu’il faut profiter de l’argent de l’État, croyez moi ce n’est pas tous les jours que vous verrez un ministre des Finances vous dire : vous avez besoin d’argent, je vous en donne ! » s’enflammait Bruno Le Maire devant un parterre d’entrepreneurs en octobre 2020.
Les étudiant.e.s font la queue devant les banques alimentaires, les soignant.e.s sont épuisé.e.s par un système hospitalier asphyxié, les caissières et toutes les autres premières de corvée attendent toujours d’être revalorisées, les services publics s’étiolent par manque de moyens, le monde de la culture dépérit, les petites entreprises et le secteur non lucratif souffrent, tout comme l’essentiel des salariés, tandis que les pauvres s’appauvrissent et les précaires se précarisent. Le CAC40, lui, bat des records de valorisation boursière, va une nouvelle fois verser des dividendes massifs malgré la poursuite de la pandémie, et profite toujours d’un soutien inconditionnel des pouvoirs publics.
Nous l’avions montré dans notre rapport AlloBercy ? Aides publiques : les corona-profiteurs du CAC40 publié en octobre dernier : en 2020, 100 % des multinationales du CAC40 ont touché des aides publiques liées au Covid-19. Y compris les 26 d’entre elles qui ont versé un généreux dividende en 2020. Parmi elles, Carrefour, LVMH, Veolia ou Vinci, ont profité du chômage partiel, payé sur fonds publics, pour rémunérer leurs salariés. En ce printemps 2021, les aides publiques aux entreprises continuent, et les dividendes repartent de plus belle : dans une nouvelle note publiée ce mardi 27 avril, l’Observatoire des multinationales montre que le CAC40 s’apprête à approuver le versement de 51 milliards d’euros à ses actionnaires. Une hausse de 22 % par rapport à l’année dernière, enterrant toutes les promesses de « modération des dividendes » pendant la pandémie de Covid-19.
51 milliards, c’est l’équivalent de l’ensemble des dépenses de personnel annuelles des hôpitaux publics (soit les rémunérations de 960 000 personnes, soignantes et non soignantes) ! 51 milliards, cela équivaut également à construire près de 1300 lycées d’un millier de place. Cela représente aussi un millier de fois le montant du plan d’aide au secteur culturel !
Cette inflation galopante d’aides publiques aux entreprises privées n’est pas nouvelle. Elle s’accroît massivement et rapidement. Presque 7 % de croissance par an en moyenne depuis plus de quinze ans, bien plus que la croissance du produit intérieur brut (PIB), des aides sociales ou des salaires. Depuis le début de la crise sanitaire, elle atteint de nouveaux sommets.
Avant la crise de 2008-2009, ces aides ne représentaient « que » 65 milliards d’euros par an [1] puis 110 milliards d’euros par an en 2012 [2]. François Hollande et Emmanuel Macron les ont fait grimper jusqu’à 150 milliards d’euros par an avec le pacte de responsabilité et le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Soit un bond de 230 % en moins de quinze ans : l’équivalent désormais de deux fois le budget de l’Éducation nationale. Et près de cinq fois le montant de l’impôt sur les sociétés (31,5 milliards € en 2019).
Selon la Commission européenne, entre mars et décembre 2020, la France a encore versé plus de 155 milliards d’euros supplémentaires aux entreprises sous prétexte de lutter contre le Covid-19. Ce qui place notre pays au premier rang en Europe.
Suivre à la trace ces milliards d’euros d’argent public est un travail fastidieux et délicat tant la confidentialité des affaires et le secret fiscal sont brandis pour écarter toute transparence : il n’existe aucun suivi précis et public des bénéficiaires, des montants et de ce qui les justifient. Sans transparence et contrôle possible, comment avoir un débat de qualité sur les conditions d’attribution des aides publiques aux grandes entreprises ?
Abreuvé d’argent public, le CAC40 est en effet dispensé de rendre des comptes et d’œuvrer en faveur de l’intérêt général. Les suppressions d’emplois s’accumulent dans les secteurs mêmes qui ont été maintenus à flot par les pouvoirs publics. Dans le même temps, ces multinationales restent fortement présentes dans les paradis fiscaux et s’activent pour saper toute velléité, comme celle de la Convention citoyenne pour le climat, de leur imposer une véritable réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.
Ce constat n’est pas uniquement le nôtre. Un rapport d’information parlementaire sur la conditionnalité de ces aides vient de statuer que « les aides publiques ne sont ni conditionnées à l’interdiction de licencier, ni à l’obligation de rembourser des aides en cas de licenciement », jugeant « immoral que l’usine de Bridgestone à Béthune ait fermé après avoir reçu 1,8 million euros du CICE et 620 000 euros d’aides régionales », et déplorant qu’ « aucune législation ne lui impose de rembourser ces aides ».
Non conditionnées, peu contrôlées, octroyées sans transparence, ces aides publiques au secteur privé – près de 2000 dispositifs différents existent ! – transforment la nature de l’action publique. Derrière ces milliards d’euros d’argent public, parfois présentés comme le « retour de l’État », se pérennise en fait le détournement sans condition des ressources publiques au profit des intérêts privés. L’État-providence a été construit pour prendre en charge collectivement les besoins sociaux et financer les services publics. Il est aujourd’hui détourné de sa fonction pour garantir et sécuriser les intérêts des grands groupes et de leurs actionnaires.
Est-il juste que les gagnants d’une année de pandémie soient le CAC40, et ses actionnaires que sont les grandes familles du capitalisme français – Bettencourt, Arnault, Pinault... – ainsi que les gros fonds d’investissement – Blackrock, Vanguard, et autres Amundi ? Pendant que les uns – le plus grand nombre – assurent le bon fonctionnement de la société, tentent de pallier aux pénuries de moyens, au risque de s’épuiser, une infime minorité s’engraisse, quoi qu’il en coûte. Au dévouement et à l’esprit de sacrifice des soignant.e.s et premières de cordée répondent les appétits grossiers des multinationales et de leurs actionnaires : nul ne devrait pourtant être autorisé à édifier sa fortune et son pouvoir sur le cataclysme de la pandémie.
Alors que les gouvernements successifs ne cessent de mettre en exergue les devoirs du chômeur, du bénéficiaire des minimas sociaux ou des aides de la CAF, pour quels motifs sérieux les multinationales seraient-elles dispensées de devoir satisfaire des conditions d’intérêt général dans l’usage des aides publiques qui leur sont octroyées ? Pourquoi ne devraient-elles pas rendre des comptes en matière d’emploi et de conditions de travail ? Pourquoi n’ont-elles pas obligation d’investir dans la décarbonation de leurs processus de production ? Pourquoi ne devraient-elles pas quitter les paradis fiscaux pour avoir accès aux aides publiques ? Ces propositions ont été systématiquement rejetées par le gouvernement et sa majorité parlementaire. Le nécessaire débat sur la conditionnalité des aides publiques doit pourtant se tenir. Il en va de notre capacité collective à décider de notre avenir commun sans se le laisser dicter par les acteurs privés.
Depuis le printemps 2020, l’Observatoire des multinationales est mobilisé pour traquer les profiteurs de la crise sanitaire et informer sur les pratiques du CAC40. Le rapport Allô Bercy ?, publié en octobre 2020, dressait un bilan sans appel de cette première année sous le signe du Covid-19. Nous nous proposons aujourd’hui de poursuivre ce travail et de le porter à une nouvelle échelle : compléter notre travail d’enquête d’une campagne citoyenne, en lien avec nos partenaires associatifs et syndicaux, visant à forcer le pouvoir exécutif et les entreprises à rendre des comptes.
À cette fin, l’Observatoire des multinationales lance une campagne de financement participatif sur la plateforme Kisskissbankbank. Avec votre aide, nous pourrons :
Traquer les corona-profiteurs qui bénéficient d’aides publiques sans rien changer à leurs pratiques abusives.
Nous battre pour la transparence de toutes les aides publiques et pour de vraies contreparties.
Mettre en lumière les stratégies de lobbying des grands groupes pour s’accaparer le soutien inconditionnel des pouvoirs publics, au détriment de ceux qui méritent vraiment d’être soutenus.
Publier une première série d’enquêtes fin mai 2021.
Si nous atteignons nos objectifs les plus ambitieux, nous pourrons mener ce travail de fond jusqu’aux élections de 2022, en élaborant et en portant auprès des candidats des propositions concrètes pour mettre fin à cette spirale infernale.
Maxime Combes et Olivier Petitjean