« Il y a un vrai problème d’accès à la vaccination »

Publié le par FSC

 

SOURCE : L'Humanité

 

S’appuyant sur les données de l’assurance-maladie, le géographe Emmanuel Vigneron a livré, une carte inédite de la population vaccinée. Celle-ci révèle une triple fracture : Nord-Ouest et Sud-Est, centres urbains et périphéries, communes riches et pauvres. Entretien.

Emmanuel Vigneron

Géographe de la santé, auteur (1)

Votre étude met en évidence un retard de vaccination dans le Sud-Est, dans une partie du centre et de l’Occitanie ? Comment l’expliquez-vous ?

Emmanuel Vigneron Dans les grandes villes de Provence-Côte d’Azur, il y a une certaine réticence à l’égard d’un pouvoir central, parisien et vertical. À Marseille, capitale de cette région, l’influence du docteur Didier Raoult est à prendre en compte. Dans le Sud, provençal et occitan, l’essentiel de la population réside le long du littoral ou des grands couloirs de circulation. L’essentiel des médecins et de l’accès aux soins aussi. Les déserts médicaux sont dans les périphéries…

Les déserts médicaux et le recul des services publics sont-ils des facteurs déterminants ?

Emmanuel Vigneron La carte révèle une vraie problématique d’accès à la vaccination. On y voit une ligne sous-vaccinée dans les zones montagneuses et rurales des Hautes-Pyrénées aux Pyrénées-Orientales jusqu’à Mulhouse et Besançon, en passant par le Lot, les Cévennes, le Massif central, le Morvan. À mesure que l’on s’éloigne du centre, le retard paraît toujours plus grand. En revanche, les grandes villes comme Toulouse, Montpellier, Lyon, Grenoble sont bien vaccinées. La plupart des centres de vaccination se situent dans les territoires urbains. Les déserts médicaux, qui ont commencé à se former il y a déjà vingt ans, sont aussi la conséquence mécanique de l’instauration, dans les années 1980, d’un numerus clausus trop bas. Le nombre de médecins décroît au fur et à mesure que l’on va vers l’arrière-pays. À Romainville, dans les quartiers nord de Marseille ou dans les territoires reculés d’Auvergne, seul un habitant sur trois a un médecin traitant. Ajoutons à cela qu’il y a près d’un tiers de postes vacants de médecin dans l’hôpital public.

Vous révélez une fracture territoriale à plusieurs échelles, notamment entre le centre et la périphérie, et une fracture sociale entre riches et pauvres. Peut-on dire que les deux se recoupent souvent ?

Emmanuel Vigneron Oui, elles se recoupent souvent. D’abord, pour une raison simple. Les prix du foncier. Ils agissent comme un puissant moyen de ségrégation sociale et spatiale. Cela a commencé il y a longtemps, c’est aujourd’hui très visible. Nous voyons comment les catégories les plus populaires sont reléguées vers les périphéries, loin des centres et même loin des banlieues gentrifiées ou en voie de l’être. La différenciation des classes est de plus en plus marquée. Au sein même des métropoles, Grand Paris, Lyon ou Marseille, c’est la fracture sociale qui ressort nettement. Les moins vaccinés vivent dans les arrondissements du Nord-Est parisien, en Seine-Saint-Denis, dans l’est de la Seine-et-Marne, dans les quartiers nord de Marseille, à Vénissieux, Vaulx-en-Velin ou Givors en région lyonnaise. Dans l’ensemble du territoire on observe, sur le taux de vaccination, plus de 20 points d’écart entre les 10 % des jeunes vivant dans les communes les plus défavorisées et les 10 % vivant dans les communes les plus favorisées. Parmi les plus de 75 ans, qui peuvent se faire vacciner depuis le mois de janvier, l’écart est de près de 10 points.

Compte tenu de ces fractures et de ces inégalités, peut-on considérer comme discriminatoire l’instauration du passe sanitaire ?

Emmanuel Vigneron La question mérite d’être posée, à partir du moment où les conditions à l’accès à l’information, aux soins et à la vaccination ne sont pas assurées. Le passe sanitaire est un moyen contourné d’instaurer l’obligation vaccinale. Celle-ci aurait été la meilleure des solutions. Mais le gouvernement a peur de ne pas y parvenir et d’être une fois encore déconsidéré. Ce passe a de forts risques de créer des discriminations et de les aggraver. Car ce sont toujours les classes populaires qui morflent. Il y a des personnes qui ne sont pas vaccinées non pas parce qu’elles ne le veulent pas, mais parce qu’elles sont éloignées des soins et de la démarche de vaccination, pour diverses raisons – économiques, sociales, et/ou culturelles – comme le rappelle le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale dans son avis du 6 juillet. Le gouvernement est silencieux à ce sujet et n’annonce pas de moyens d’y faire face.

Il faut sortir la santé du marché, affirmiez-vous en janvier dans une interview au magazine Marianne. Que pensez-vous des réticences à la vaccination fondées notamment sur les superprofits de Big Pharma ?

Emmanuel Vigneron Le préambule de la Constitution rappelle que la nation assure à tous la protection de la santé. C’est d’ailleurs sur ce principe que s’est fondé le Conseil constitutionnel dans sa décision en faveur du passe sanitaire. Il n’y a donc aucune raison que la santé soit un marché. On peut comprendre que les grands profits de Big Pharma puissent nourrir la réticence vaccinale. Cela dit, les revendications doivent porter sur comment mettre en place un pôle public du médicament, restaurer une industrie pharmaceutique nationale et lever les brevets. Il est anormal que le pays de Pasteur n’ait toujours pas fabriqué de vaccins.

Quelle serait, selon vous, la meilleure manière de gérer la crise sanitaire et de susciter l’adhésion des populations ?

Emmanuel Vigneron Outre restaurer notre système de santé publique, y compris l’organisation des soins, je plaide pour une éducation à la santé. Une grande œuvre d’éducation à reprendre dès l’école jusqu’à l’entreprise, introduire un enseignement à la santé, partout. La pandémie de Covid-19 est d’un genre nouveau et il est probable, selon les scientifiques, qu’il y en ait d’autres malheureusement. Ensuite, on peut considérer que certains vivent la vaccination comme une privation de liberté, une intrusion dans le corps, qui va, donc, contre l’idée d’habeas corpus. Mais rappelons que la France a connu diverses périodes de vaccination obligatoire. À ce moment-là, l’État français a, en échange de cette « privation de liberté », mis en place un important système de solidarité. Aujourd’hui, qu’offre-t-on en échange ? Longtemps les luttes sociales ont obligé les gouvernements à mener des politiques sociales et de solidarité. Depuis au moins vingt ans, le système de solidarité est vraiment mis à mal.

(1) Dernier ouvrage :la Santé au XXIe siècle. À l’épreuve des crises.Berger-Levrault, 2020.

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