C'est le dernier grand coup du plus riche des armateurs marseillais. Rodolphe Saadé, président-directeur général de CMA CGM, l'entreprise la plus rentable de France qui s'est récemment offert pour 5 milliards d'euros les activités logistiques du Groupe Bolloré, va s'emparer du quotidien économique La Tribune. Selon le communiqué publié ce vendredi matin par CMA CGM confirmant des informations d'Europe 1, sa filiale CMA CGM Médias, qui regroupe ses participations dans les médias, va racheter les parts de l'actionnaire et président du média, Jean-Christophe Tortora.
«Le groupe a remis une promesse d'achat en vue de l'acquisition de 100% du capital du Groupe HIMA, propriétaire du journal La Tribune. La réalisation définitive de la transaction reste soumise à la consultation des instances représentatives du personnel», précise l'armateur dans son communiqué. Les 90 salariés (dont 40 journalistes) de la Tribune, qui viennent seulement d'apprendre la nouvelle à travers la publication du communiqué officiel, expliquent «tomber dans leur chaise», glisse au Figaro un journaliste.
Ambitions dans les médias de Saadé
«Ces derniers mois, les proches de Rodolphe Saadé n'ont eu de cesse de répéter que l'homme d'affaires, au-delà de La Provence, n'était intéressé que par de petites participations financières au capital de certains médias», glisse un expert du secteur. «L'acquisition aujourd'hui du quotidien La Tribune, influant dans le milieu des affaires à travers le territoire, révèle enfin ses vraies ambitions», estime-t-il.
Depuis son rachat du quotidien marseillais La Provence (pour la coquette somme de 81 millions d'euros) en septembre dernier, à l'issue de long mois d'offensives houleuses contre le fondateur de Free Xavier Niel, Rodolphe Saadé est de toutes les batailles médiatiques. Pas un jour ne passe sans que CMA-CGM Médias, dirigée depuis le mois de mars par Laurent Guimier, ne chasse de nouvelles opportunités.
Il a mis un pied chez M6 en décembre dernier en franchissant le seuil de 5% du capital de la filiale de l'allemand Bertelsmann. Depuis, l'armateur marseillais est monté à plus de 8% en achetant des actions sur le marché et il est entré au conseil de surveillance de la chaîne. Lors de sa levée de 40 millions d'euros début avril, le média vidéo en ligne Brut avait annoncé dans les colonnes du Figaro l'entrée au capital de l'armateur marseillais contrôlé par Rodolphe Saadé.
Nouveau chapitre pour La Tribune
Après trente-huit ans d'existence, La Tribune ouvre de son côté un nouveau chapitre de son histoire. Bruno Bertez, le groupe Expansion, Georges Ghosn, LVMH, Alain Weill... le quotidien économique a vu défiler de nombreux propriétaires au fil des années. Jean-Christophe Tortora, accompagné par la suite par Franck Julien (groupe Atalian) et de Laurent Alexandre (fondateur de Doctissimo et plusieurs entreprises high-tech), avait fini par le reprendre il y a dix ans à la barre du tribunal de commerce de Paris.
Le journal papier avait progressivement disparu au fil des années, au profit d'un investissement massif dans le numérique ainsi qu'un déploiement sur les territoires et dans les régions. Se définissant aujourd'hui comme «le média économique des transformations et des territoires», il compte quelque 20 000 abonnés à son site où 70 à 80% des contenus sont proposés en payant (de 100 à 400 euros par an selon les formules). L'objectif étant de doubler ce portefeuille d'abonnés d'ici à 2025.
Désormais, le groupe de presse pousse ses pions en Afrique francophone. Une première filiale a été ouverte il y a trois ans à Casablanca au Maroc et une nouvelle implantation est prévue à Abidjan en Côte d'Ivoire avant 2025, année au cours de laquelle La Tribune célébrera ses 40 ans. Le groupe de presse revendique un chiffre d'affaires de 13 millions d'euros en 2022, pour un Ebitda (excédent brut d'exploitation) de 400 000 euros, selon son président Jean-Christophe Tortora.