La vaccination, les manifestations contre le pass sanitaire, et la gauche
Un article qui met l'accent sur la nécessité de la vaccination et attire l'attention sur le fait que les manifestations du samedi sont d'abord en phase avec le positionnement d'exrême droite (sur le thème dominant de la "liberté") et lui profite par delà les tentatives des militants de gauche d'y associer les thèmes sociaux contre les réformes macroniennes.
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Le bilan de la gestion de la crise par Emmanuel Macron est catastrophique. Au moins 112 000 personnes sont morts du Covid en France, et il y a encore aujourd'hui un millier de malades du Covid en soins intensifs. Les intérêts du profit ont toujours été sa priorité. Nous avons vu des confinements timides, décidés trop tard et levés trop tôt, assortis d’une aide financière beaucoup trop faible pour que les travailleurs puissent respecter les règles, et un investissement beaucoup trop faible dans les programmes de vaccination, qui ont commencé tard et ont progressé lentement. La plupart de ces décès auraient pu être évités, et ce fait, ajouté au démantèlement néolibéral des services de santé depuis de nombreuses années, nous donne de nombreuses raisons d'être en colère contre Macron et contre le capitalisme. Mais les organisations de gauche ont aussi une responsabilité, et fon actuellement des concessions dangereuses au scepticisme vaccinal, ce qui aidera l'extrême droite à se construire.
Dans de nombreux pays, les manifestations contre les lockdowns ou contre les vaccins ont été des entreprises clairement marqués à l'extrême-droite, mais en France, une dispute vigoureuse divise les militants de gauche. Les trois derniers samedis de juillet ont vu des marches dans plus de 185 villes contre le "pass sanitaire" annoncé par Macron. Ce laissez-passer prouve que vous avez été vacciné, que vous avez été testé très récemment ou que vous vous êtes rétabli du Covid, et il sera obligatoire à partir de la mi-août pour monter dans les TGV, ou entrer dans les cinémas, les restaurants, les stades, les concerts, etc. Dans de nombreuses manifestations, les slogans appelant à la démission de Macron étaient bien visibles.
On a compté jusqu'à 250 000 manifestants le 24 juillet, et au moins autant la semaine suivante. Il n'y avait quasiment pas de banderoles syndicales, et les personnes présentes venaient de tous les horizons politiques, la plupart pensant sans doute qu'il ne s'agissait pas d’une question de droite ou de gauche. Les organisations politiques ne sont généralement pas visibles, la plupart des pancartes sont faites maison, et les chants consensuels de "liberté" constituent les slogans les plus courants. Lorsque l'on voit des activistes, ils sont généralement de l'extrême droite ou de la gauche radicale. À Paris, il y a eu des marches séparées les 24 et 31 juillet, l'une menée par le fasciste Florian Philippot, derrière une banderole "vaccinés et non-vaccinés unis !", l'autre organisée par des militants gilets jaunes .
Mais dans la plupart des villes, il n'y avait qu'une seule marche, qui pouvait inclure des fascistes ou non. À Orléans et à Bordeaux, des royalistes d'extrême droite ont ouvertement rejoint la manifestation. À Poitiers, le 31, il y avait à la fois un drapeau antifasciste et un drapeau royaliste d'extrême droite, ainsi que des vendeurs de journaux du NPA. Pourtant, sur la banderole principale à Toulouse, le slogan dénonçait à la fois le pass sanitaire et les attaques contre les pensions de retraite.
Des pancartes contre les vaccins étaient assez courantes ("Nous ne voulons pas être des cobayes", "Contre la dictature sanitaire", "Touche pas à mon ADN !" ou "Mon corps, mon choix"). Mais il y avait aussi des pancartes accusant Macron d'être un nazi, des slogans tels que "No Pass, no pasaran" et même quelques étoiles jaunes avec le mot "non vacciné" écrit dessus, une tentative dégoûtante de comparer le sort des personnes non vaccinées aujourd'hui avec celui des Juifs français pendant la Shoah. Ces symboles ont été dénoncés par toutes les organisations de gauche, mais un sondage a montré que plus de la moitié des personnes exprimant un fort soutien à ces manifestations n'en étaient "pas choquées".
Macron a annoncé ses mesures le 12 juillet, lors d'un long discours dans lequel il a également lancé sa candidature pour être réélu en 2022. La nouvelle loi fait également de la vaccination une condition d'embauche pour les personnels de santé et des EHPAD. L'objectif de Macron est de faciliter l'ouverture de l'économie du profit aussi vite qu'il le peut, sans doute trop vite.
Après les difficultés causées par la pandémie, beaucoup de gens de gauche attendaient une explosion de colère de masse, mais celle-ci est arrivée sous une forme inattendue, et a entraîné beaucoup de confusion. Faut-il s'opposer au principe du pass sanitaire? Et faut-il participer aux manifestations même si le ton principal du rassemblement est anti-vaccin, et que l'extrême droite le soutient ? Et qu'en est-il de la vaccination obligatoire des personnels de santé et des personnels des maisons de retraite ?
Nombreux sont ceux qui, à gauche, dénoncent le pass sanitaire comme un dangereux pas de plus vers l'autoritarisme. Les 17 députés de la France Insoumise ont affirmé le 24 juillet que le pass sanitaire était "absurde, injuste et autoritaire" et constituait une étape sur la voie d'une société de "contrôle généralisé". Pour la FI, cette mesure extrême devait masquer la gestion incompétente de la crise par le gouvernement de Macron et le sous-financement criminel du service de santé pendant des décennies de néolibéralisme. La vaccination obligatoire d'une partie de la population active était considérée comme une mesure "violente" portant atteinte à la liberté. Les parlementaires de la FI ont contesté la nouvelle loi devant le conseil constitutionnel, et le verdict est attendu début août.
Certains groupes locaux de la FI se sont joints aux récentes manifestations, d'autres non. Mélenchon n'a pas directement appelé ses partisans à participer, mais a déclaré que les manifestations "devraient être entendues". Il a également demandé aux partisans qui manifestent de prendre leurs distances avec les slogans "excessifs" que l'on voit parfois. "Non, le vaccin librement consenti n'est pas un apartheid, et sa diffusion n’est pas la Shoa", a-t-il déclaré.
Une alliance plus large de personnalités de la gauche radicale, organisée par ATTAC le 28 juillet, et comprenant les dirigeants nationaux de la plupart des fédérations syndicales et des partis de gauche, a mis en place une pétition déclarant que, si “Une vaccination large et massive est nécessaire pour combattre cette pandémie” le pass sanitaire et les mesures de vaccination obligatoire sont antidémocratiques et nuisibles. La pétition dénonce également les attaques néolibérales contre les retraités et les chômeurs, et demande la levée des brevets sur les vaccins.
Des arguments similaires ont été avancés par le Nouveau Parti Anticapitaliste, défendant l'idée d'une vaccination de masse mais s'opposant au pass sanitaire et à toute sanction contre les personnels de santé ou des EHPAD non vaccinés. Le tract du NPA du 28 juillet appelait, peut-être un peu timidement à défendre ces idées, “y compris en nous joignant, partout où il est possible de porter une telle politique, aux initiatives de mobilisation”..
Lutte ouvrière semble aller encore plus loin dans les concessions au sentiment anti-vaccin. Leur bulletin d’entreprises déclare : “ Oui, la vaccination pourrait être un progrès si le capitalisme n’était pas préoccupé par le profit plutôt que par la satisfaction des besoins de l’humanité. “
Une seule organisation de gauche importante, Ensemble, a ouvertement déclaré qu'elle ne se joindrait pas aux manifestations. La FI et le NPA ont laissé la décision aux sections locales, généralement en fonction de la visibilité des éléments d'extrême droite dans les rassemblements locaux. Et effectivement, le 31, le NPA s'est joint à certaines villes comme Poitiers et Bordeaux, et a refusé de le faire dans d'autres comme Bourges.
Le scepticisme à l'égard du vaccin
Être contre le vaccin est contraire aux intérêts des travailleurs, qui représentent la grande majorité des décès. Pourtant, le scepticisme à l'égard des vaccins est très fort à gauche en France.[1] En janvier dernier, un sondage montrait que seulement 59% des personnes se reconnaissant de gauche avaient l'intention de se faire vacciner (contre 69% des personnes de droite). Seuls 36% des sympathisants de la France Insoumise le souhaitaient !
Les réticences ont quelque peu diminué depuis, mais le scepticisme reste élevé dans le pays. Il est particulièrement courant parmi les populations non-blanches, qui sont, à juste titre, méfiantes à l’égard d'un État raciste. En Guadeloupe et en Martinique, les taux de vaccination sont inférieurs de moitié à ceux de la métropole. Stéphanie Mulot, sociologue, explique qu'il existe une grande méfiance à l'égard du gouvernement français..."refuser le vaccin revient à assumer une posture politique d’opposition, et à revendiquer une volonté de s’auto-gouverner".
Dans les professions où l'individualisme est particulièrement prisé, le scepticisme est également courant : les artistes, les travailleurs du théâtre et du cinéma et les musiciens sont souvent particulièrement présents dans les manifestations. À quelques exceptions près, les dirigeants de la gauche n'ont rien fait ou presque pour remettre en question le scepticisme à l'égard des vaccins parmi leurs partisans, et font aujourd'hui des concessions dangereuses au sentiment anti-vaccin.
Pas de concessions aux idées anti-vaccins
Un récent sondage conclut que 35% des Français ont " de la sympathie" pour les manifestations contre le pass sanitaire, tandis que 49% y sont opposés et 16% indifférents. Le sondage révèle que 46% des ouvriers/employés ont de la sympathie et 31% soutiennent la mobilisation. Sans surprise, étant donné leur orientation individualiste, 61% des chefs d'entreprise ont également de la sympathie. La sympathie a été exprimée par 38% des électeurs de gauche, 24% des électeurs de droite, 49% des électeurs d'extrême droite et 50% de ceux qui ont voté France Insoumise. Mais la situation est complexe, car un autre sondage récent a montré que 69% des citoyens pensent que les personnes non vaccinées ne devraient pas être autorisées à travailler dans le secteur de la santé ou dans les maisons de retraite (60% des ouvriers/employés, 87% des retraités) et 62% sont favorables au pass sanitaire (un peu plus de 50% des ouvriers/employés, 81% des retraités).
Deux questions urgentes se posent. Premièrement, ces manifestations qui expriment la colère contre Macron peuvent-elles être poussées vers la gauche? et deuxièmement, la gauche doit-elle s'opposer par principe au pass sanitaire et à l'imposition de la vaccination comme condition d'emploi ? La plupart des organisations de gauche semblent hésiter sur la première question, mais sont sûres de la seconde : d'où la contestation de la loi devant les tribunaux et la pétition à grande échelle. Les militanst de gauche qui ont rejoint les manifestations insistent sur le fait qu'une mobilisation destinée à défendre la liberté individuelle ne doit pas être laissée aux forces de droite.
Pour ma part, je pense que l'essentiel des manifestants sont là parce qu'ils ne veulent pas se faire vacciner. Même si, dans la forme, les marches ressemblent aux premières mobilisations des Gilets jaunes, ces derniers manifestaient contre la pauvreté, et non en faveur d'un (mauvais) choix individuel. La popularité des manifestations actuelles est le signe d'un mouvement vers la droite. L'extrême-droite a plus de chances d'en profiter que la gauche. Je ne pense pas que le fait d'ajouter des revendications sur les retraites à vos pancartes changera grand-chose. La gauche devrait faire campagne pour que les gens soient vaccinés, et ne devrait pas présenter la vaccination comme une question de choix purement individuel.
Deuxièmement, même si toute loi adoptée par Macron sera bien sûr appliquée de manière discriminatoire et autoritaire, la gauche a-t-elle raison de s'opposer à ces mesures par principe? Depuis l'annonce de Macron, en 17 jours, 4,7 millions de personnes en France ont reçu leur première dose de vaccin. Le taux de vaccination a doublé par rapport au mois précédent. Cette accélération permettra de sauver de nombreuses vies, et il est inutile de le nier.
Tout comme pour les autres règles de santé et de sécurité, les syndicats ont, dans d'autres circonstances, fait campagne pour que la vaccination soit obligatoire pour travailler dans certains secteurs. En 2013, le syndicat CGT a fait pression pour que les égoutiers soient obligatoirement vaccinés contre la leptospirose. Bien qu'il y ait des avantages évidents à utiliser la persuasion, et que l'arrogance de Macron mette à juste titre les gens en colère, est-ce une priorité de gauche de se mobiliser contre ces mesures ?
Il n'y a rien de fondamentalement réactionnaore dans la vaccination obligatoire, qui était une politique bolchevique juste après la révolution russe. Et voulons-nous vraiment "respecter" le droit des gens à mettre les autres en danger ?
Le pass sanitaire est-il différent, dans son principe, des tests d'alcoolémie pour les conducteurs ou des tests de vue pour les chauffeurs de bus ? Et, dans un monde où mon téléphone portable, ma carte de crédit et les caméras de vidéosurveillance permettraient aux organismes d'État d'en savoir énormément sur moi, si j'étais suffisamment important pour qu'on s'en soucie, il n'est pas certain que le laissez-passer soit un pas décisif vers un mode orwellien.
La vaccination universelle est absolument dans l'intérêt de la classe ouvrière. L'impatience de voir les masses de nouveau dans les rues a conduit une grande partie de la gauche à minimiser le caractère central de la vaccination et à faire des concessions aux absurdités antiscientifiques. Ceci, malheureusement, va aider l'extrême droite à se construire. Les manifestations de ce mois-ci à Paris ont été les plus importantes organisées par les dirigeants fascistes depuis de nombreuses années, et elles n'ont rencontré aucune opposition directe dans la rue. L'extrême droite, qui a longtemps eu du mal à faire descendre des milliers de personnes dans la rue, profite de la situation.
Nous avons plutôt besoin d'une campagne de vaccination pour l'ensemble de la population mondiale, la levée des brevets et la fin de la dictature du profit.