LA LUTTE PAYE : 32 heures, emploi et salaire : grand chelem en Moselle
SOURCE : L'Humanité
Les salariés de Furst-Neuhauser ont obtenu la création de 45 postes et de meilleures conditions de travail. Leur recette : un rapport de forces imposé par la CGT.
On embauche chez Furst-Neuhauser. La semaine prochaine, une vingtaine de nouveaux salariés, CDI à la clé, arriveront sur les lignes de cette boulangerie industrielle de Folschviller qui tourne à plein régime. Dans ces terres mosellanes où l’emploi local se fait rare à moins de passer les frontières luxembourgeoise ou allemande, la nouvelle n’est pas passée inaperçue. Les candidats ont été nombreux à vouloir rejoindre l’entreprise. Question de climat social et de collectif soudé, qui vient de réaliser le grand chelem pour toutes ses revendications : embauches, baisse du temps de travail et augmentation de salaires.
Le groupe Neuhauser n’est pourtant pas un paradis pour les travailleurs. Des plans sociaux ont eu lieu en 2017 et 2019 dans cette société aux 1 081 salariés, petite pièce du Monopoly géant de l’agroalimentaire français à peine acquise par le Groupe Soufflet, qui vient à son tour de se faire absorber par la maxicoopérative Invivo. Fin septembre, la moitié des douze usines que la marque compte à travers la France étaient en grève pour obtenir un peu plus que le 0,5 % d’augmentation indigente proposé pour 2022. Pourtant, 2021 s’annonce comme l’année de tous les profits.
Un million de viennoiseries par jour
« On l’a vu ces dernières semaines chez Labeyrie, Nor’Pain, Bergams, le patronat de l’agroalimentaire est très autoritaire et ne veut rien lâcher,analyse Maryse Treton, de la Fnaf- CGT.
Neuhauser n’y déroge pas. Mais, depuis que les salariés du secteur se sont rendu compte qu’ils avaient assuré, durant le premier confinement, 95 % de la production malgré 45 % d’absentéisme et des conditions de travail indignes, ils ont pris conscience des richesses qu’ils créent, des immenses profits qu’ils génèrent. Ils se mettent en grève un peu partout pour obtenir leur dû. C’est ce qui s’est passé à Folschviller. Ça a réussi. »
Dans l’usine mosellane, la bascule s’est produite le 28 septembre dernier. Ce jour-là, le directeur convoque un CSE pour informer les 234 salariés de« l’externalisation partielle (du nettoyage des lignes de production) à une entreprise extérieure, du vendredi 19 heures au samedi 5 heures du matin, pour le secteur viennoiseries ».
Ça n’a l’air de rien, se disait visiblement le nouveau dirigeant, qui comptait imposer en quelques jours un changement dans les rythmes de production. Puisque la grande distribution demandait plus de livraisons de croissants, pains au chocolat et baguettes, déjà produites au rythme de 50 000 à l’heure pour les viennoiseries, soit un million par jour, et de 8 000 à l’heure pour les pains, la solution coulait de source. Pas d’embauches, ni d’augmentations des heures supplémentaires.
Non, une diminution par deux des temps de nettoyage, avec le soutien d’une société extérieure pas vraiment spécialiste du processus. Et tant pis pour les questions d’hygiène ou les conditions de travail dégradées. Jusqu’à présent, ce nettoyage nécessitait l’arrêt des machines une fois par semaine et durant 20 heures, avec des salariés harnachés tels des cosmonautes passant leurs bras, parfois coinçant leurs doigts, dans les rouleaux et lames de ces lignes de production longues comme un terrain de foot.
Mais, bonne pâte, les salariés ne comptent plus l’être. Le haut dirigeant s’est vite retrouvé dans le pétrin. Si ce dernier n’a pas voulu nous en dire plus(« écoutez, on ne répond pas aux journalistes »),Christian Porta, délégué syndical CGT du site, se fait un plaisir de le suppléer.
« On est un syndicat révolutionnaire. Quand on nous impose un projet, on prend le problème dans son ensemble. Le patron nous parlait de travailler plus. On a tout de suite dit aux collègues qu’il y avait un coup à jouer pour créer des emplois. Ils ont été unanimes à accepter. »
Premier objectif : faire dérailler le train fou patronal. Et première victoire, le CSE obtient en référé du tribunal judiciaire de Sarreguemines l’« interdiction de poursuivre l’application de ce projet litigieux ». Le plan de la direction nécessitait une vraie consultation des instances représentatives du personnel et non une simple information, car les changements prévus auraient eu des répercussions sur l’organisation et le temps de travail, donc sur les contrats des salariés.« Cette affaire démontre que la justice peut être efficace si on y a accès, ce qui est loin d’être le cas ailleurs. Le tribunal de Sarreguemines a eu les moyens de donner une audience avec expertise, et a ainsi pu rendre sa décision dans les délais. Ce qui a permis de mettre en place un rapport de forces », souligne l’avocate Savine Bernard, qui a plaidé le dossier.
La recette pour embaucher
Deuxième victoire : mis sous pression par ses clients et ses salariés, le directeur du site a accepté le plan alternatif proposé par la CGT. À partir de décembre, les équipes ne tourneront plus en 3×8 du lundi au vendredi, mais en 5×8 du lundi au dimanche.
Les salariés auront leur part de cette augmentation de la productivité. Lissé sur dix semaines, le temps de travail passe à 32 heures payées 35, avec majoration des heures le dimanche et en nocturne. Soit, entre 200 et 400 euros de plus par mois.
Et 45 emplois sont créés, dont 25 immédiatement.
« Macron a toujours fait croire que faciliter les licenciements permettait d’embaucher plus facilement. On démontre que c’est la baisse du temps de travail qui offre la possibilité de créer des emplois,sourit Christian Porta. Le travail va rester dur. Mais des gens vont pouvoir sortir de la précarité. »