De Gaza à la Cisjordanie, les Palestiniens prisonniers de la « toile carcérale » au cœur du combat de libération

Publié le par FSC

Pierre Barbancey
L'Humanité du 17 avril 2024

Des Palestiniens participent à une manifestation de solidarité avec le prisonnier Walid Abu Daqqa et les prisonniers détenus dans les prisons israéliennes dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, le 26 août 2023. © Ahmad Arouri/apaimages/SIPA

 

Israël multiplie les arrestations à Gaza et en Cisjordanie. Ils sont plus de 9 000 derrière les barreaux, dont près de la moitié sans procès. Les détenus représentent la lutte contre l’occupation et, à ce titre, sont particulièrement respectés. Aujourd’hui, 17 avril 2024, une journée internationale leur est dédiée.
Walid Daqqa avait 62 ans. Il est mort le 7 avril, dans une prison israélienne où il a passé trente-huit ans. Il était le plus vieux des prisonniers politiques palestiniens, dont le 17 avril commémore internationalement chaque année le souvenir. Walid Daqqa est emblématique de ce que vivent les Palestiniens.


Engagé dans la lutte contre l’occupation au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), il était à la tête d’un commando qui a abattu un soldat israélien dans les territoires occupés et a été condamné, en 1987 par une cour militaire, à la réclusion à perpétuité, une peine commuée en 2012 à trente-neuf années de prison. Un emprisonnement qu’il a utilisé pour écrire de nombreux ouvrages et passer des diplômes universitaires.


Il devait être libéré en mars 2023, mais le 28 mai 2018, le tribunal central de Beer-Sheva prononçait une peine contre lui, ajoutant deux années de plus à son emprisonnement, alléguant son implication dans une affaire liée à la contrebande de téléphones portables pour que les prisonniers puissent communiquer avec leur famille. En conséquence, sa nouvelle date de sortie avait été repoussée au 24 mars 2025.
Les autorités savaient qu’il était atteint d’un cancer des os mais l’inhumanité de l’occupation a tranché. Selon Amnesty International, l’avocat de Walid Daqqa, qui lui avait rendu visite quelques semaines avant sa mort, a rapporté que le prisonnier avait perdu beaucoup de poids et avait été torturé. Walid Daqqa faisait partie des 23 Palestiniens détenus par Israël avant la signature des accords d’Oslo en 1993.

40 % des hommes palestiniens seraient déjà allés en prison


Selon l’organisation de défense des prisonniers palestiniens, Addameer, ils seraient aujourd’hui 9 400 dans les geôles israéliennes, dont 200 enfants et 71 femmes ; 3 661 en détention administrative, c’est-à-dire détenus sans jugement et sans que leurs avocats n’aient accès au dossier d’inculpation ; 280 ont été arrêtés dans la bande de Gaza ; 561 ont été condamnés à la prison à vie ; 40 % des hommes palestiniens seraient passés au moins une fois par la case prison.


C’est dire la prégnance de cette question, que la chercheuse Stéphanie Latte-Abdallah appelle « la toile carcérale ». Elle s’en expliquait dans les colonnes de l’Humanité : « Les arrestations et les incarcérations permettent d’alimenter tout un système de données de la population, donc de surveillance de la vie quotidienne dans toutes ses dimensions. Autant d’informations qui rentrent dans les fichiers des services de renseignements. Toute personne est ainsi évaluée sur une échelle de risques. »


Les détenus palestiniens peuvent être interrogés indéfiniment et se voir refuser l’accès à une représentation juridique pendant soixante jours après leur arrestation. Lors des interrogatoires, ils sont souvent soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, à des tortures physiques et/ou psychologiques. Les confessions extraites à travers de telles pratiques font office de preuves devant un tribunal militaire, tout comme les confessions écrites en hébreu et signées par des détenus qui ne parlent pas ou ne lisent pas la langue.


Il s’agit donc bien d’un maillon essentiel de la politique d’occupation israélienne. Paradoxalement, les prisonniers sont souvent à la pointe du combat contre l’occupant en organisant des protestations dans les prisons mêmes et en observant des grèves de la faim. Ils savent également rappeler l’importance de l’unité palestinienne et leur voix est particulièrement écoutée. C’est le cas, entre autres, de celles de Marwan Barghouti, du Fatah, et d’Ahmed Saadat, du FPLP.

« Une perspective managériale avec, comme moyen, la toile carcérale »


Lors de l’attaque menée le 7 octobre par le Hamas nombreux civils ont été emmenés dans la bande de Gaza, leur libération ne pourra se faire que contre celle de centaines de prisonniers palestiniens. « L’échec des accords d’Oslo a été acté depuis la fin de la seconde Intifada. Les dispositifs de contrôle ont été repensés pour un territoire discontinu avec l’idée qu’il n’y aurait pas d’État palestinien. Il s’agit dès lors de gérer l’occupation et un conflit de basse intensité de la manière la plus rentable. Comme une perspective managériale avec, comme moyen, la toile carcérale », notait encore Stéphanie Latte-Abdallah.


Depuis le 7 octobre, des milliers de Palestiniens ont été arrêtés en Cisjordanie et à Gaza. Les prisonniers subissent des vengeances au quotidien, sont humiliés, tabassés, voire tués. Selon la société des prisonniers palestiniens, Walid Daqqa serait le quatorzième homme enfermé, mort, depuis le 7 octobre. En France, Georges Ibrahim Abdallah, militant communiste libanais, qui a achevé sa peine incompressible depuis le 27 octobre 1999, est toujours derrière les barreaux. Faut-il qu’Israël et les pays qui le soutiennent aient peur de ces combattants de la liberté…
 

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