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Madeleine Riffaud, résistante : "J’allais être fusillée et j’étais contente de l’être !

Publié le par FSC

A l'heure de la célébration massive du débarquement du 6 juin où les affidés du nazisme comme Zelensky son invités et les descendants de ceux qui ont brisé l'échine de l'armée hitlérienne sont bânis (de 27 à 30 millions de victimes en URSS) remémorons nous l'action de la résistance.

 

D'autant que les chefs militaires du débarquement ont dû reconnaître l'importance de l'intervention armée de la résistance contribuant à bloquer les déplacements de la Wehrmacht, l'empêchant de renforcer son dispositif côté atlantique et contribuant ainsi au succés des forces alliées.

 

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C'est dans : 

 

Magazine GEO

 

À la Libération de Paris, Madeleine Riffaud a tout juste 20 ans. Elle vient de s'illustrer par ses actions dans la Résistance, jusqu'à son arrestation par la Gestapo et la torture. Elle s'est promis de raconter plus tard l'indicible. Pour GEO Histoire, voici son témoignage, avec ses mots.

 

 

Quel était votre nom dans la clandestinité ?

Madeleine Riffaud : 

Rainer. Le prénom d’un poète que j’aimais bien, Rainer Maria Rilke [auteur autrichien, 1875-1926]. Un prénom allemand, car on n’était pas en guerre contre le peuple allemand, mais contre les nazis. C’est très différent. J’étais dans la lutte armée et je commandais ma petite unité. On a fait sauter des canons allemands, des camions, on a saboté… Et puis en juin 1944, au dernier moment, on a reçu le mot d’ordre – car tout était prévu par le Conseil national de la Résistance (CNR) pour le Débarquement. Il fallait que nous, à Paris, on dise aux gens : "Bientôt, vous allez vous lever", mais ils étaient un peu hésitants. On a testé d’abord leur moral : on a donné des lieux de rassemblement pour faire une manifestation les 1er et 14 juillet. Dès le début, on a vu que ça marchait.

À Paris, les réseaux étudiants étaient très en avance sur le reste de la population. Ensuite, on m’a dit qu’il fallait trouver un Allemand, si possible un gradé, à abattre devant tout le monde à Paris, en plein jour, en plein soleil, avec le plus de monde possible, pour leur montrer qu’on pouvait le faire sans danger. Je devais en principe envoyer un garçon faire ça. Mais on avait eu des pertes. J’étais devenue cheffe en montant (sic) sur nos camarades, morts ou déportés. C’était comme dans Le Chant des partisans :

Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place.

Et voyant que c’était urgent et que mes camarades étaient un peu démoralisés, eh bien je l’ai fait moi-même, c’est tout…

C’était le 23 juillet 1944. À quoi pensiez-vous face à cet officier ? Je vais vous dire, c’est jamais amusant de tuer un homme. On pense à ça d’abord : à celui qu’on va tuer. Cet été était très, très pénible car la division Das Reich partait du Midi pour rejoindre la Normandie. Mais ils avaient été harcelés par les maquis, ça ne leur avait pas plu et donc ils avaient brûlé et tué tous les habitants d’Oradour-sur-Glane. Ils ont brûlé l’école. À Tulle, ils avaient pendu la veille 99 personnes. Et ça a continué comme ça jusqu’au bout. Moi, je connaissais Oradour, j’y allais en vacances, j’allais au bord de la Glane pêcher des écrevisses. On se disait même : "Là, il n’arrivera rien."

Mais ce ne fut pas si simple…

Par une coïncidence extraordinaire, un monsieur, milicien, était là. Il m’a vue, il a foncé en voiture sur mon vélo, qui est tombé. J’ai été sonnée. Mon revolver a roulé près de moi, je l’ai tourné vers ma tempe pour mourir – j’avais peur de pas supporter les tortures –, mais l’homme a été plus rapide que moi, il avait des menottes dans sa boîte à gants. Clic, clac ! Il me les a foutues dans le dos. Et là, heureusement, il ne m’a pas amenée à ses chefs – qui violaient systématiquement, plusieurs fois dans la nuit, les détenues femmes, pour les humilier. Ça je l’aurais difficilement supporté. Mais lui n’a pas fait ça.

À l’époque, de grandes affiches dans Paris disaient : "Si vous nous amenez un terroriste, vous recevrez de l’argent." Il voulait recevoir son chèque et m’a amenée directement aux Allemands ! C’était dimanche et les officiers tortionnaires n’étaient pas là, ils étaient partis se balader, heureusement pour moi. Un qui parlait bien français m’a dit : "Vous êtes Juive ?", j’ai dit : "Non, je n’ai pas cet honneur." Il m’a envoyé un coup de poing, il m’a cassé le nez (on me l’a refait depuis) et la mâchoire.

Vous avez vécu des scènes très difficiles dans l’immeuble de la rue des Saussaies…

Madeleine Riffaud : 

Il y avait des cellules avec de la paille, très petites, dites "d’attente", entre deux tortures. On nous jetait là-dedans, il y avait un tout petit lavabo où on pouvait boire et où on pouvait aussi – quand toutes les baignoires étaient occupées – mettre la tête d’un homme et faire pareil : le supplice de la baignoire.

J’étais sur cette paille qui n’avait pas été changée depuis longtemps et j’essayais de me reposer un peu quand la porte s’est ouverte. Ils ont jeté sur moi une jeune fille ravissante, qui avait une petite robe "paysanne" comme on disait à l’époque, avec des colliers en coquillage. Elle avait du sang partout et était paniquée. Elle s’est jetée sur moi, on s’est serrées étroitement, elle m’a dit : "Ne me quitte pas, ne me quitte pas." On est restées ensemble une, deux, trois heures, je ne sais pas… Elle m’a tout raconté. Elle était agent de liaison d’un réseau de province. Ils l’avaient envoyée passer un message à quelqu’un. On lui avait dit de descendre dans tel hôtel. Elle l’avait fait et comme elle était à Paris, elle s’était acheté une robe et des bijoux. Elle était si innocente… Et alors qu’elle faisait ses essayages, on était venu la capturer à l’hôtel. Son réseau avait été trahi. Ça arrivait. On l’avait emmenée à la milice, elle. Ils l’avaient violée cinq fois dans la nuit, c’est pour ça qu’elle avait du sang. Elle était totalement paniquée, j’essayais de lui remonter le moral. J’espère y être arrivée. Et puis je lui ai dit qu’elle allait rentrer dans son maquis. Mais moi, je me suis dit : "Non, elle va pas y rentrer, elle va mourir ici ! Mon Dieu cette jolie jeune fille…"

Ils ont ouvert la porte, ils l’ont emmenée et une heure plus tard, c’était à moi. Et quand je suis passée dans le couloir, j’ai vu une porte ouverte. Elle avait été torturée là, je l’ai vue de dos, face à un officier assis. Son visage était déjà tout vilain, elle avait le menton sur le côté et ça saignait… Ils l’avaient tabassée dur. Je me souviens aussi de ce qu’ils ont fait à cet homme, que j’entendais à travers la cloison de ma cellule. Des coups de poing, ils renversaient les chaises, ils faisaient un bruit terrible. Je ressentais ce qu’il ressentait. Je me suis mise devant ce mur. J’étais comme clouée là, chaque cri me clouait là. Et à la fin, ils y ont été plus fort, ils ont fait entrer les chiens. Les grands chiens-loups. Depuis ce temps-là, je ne peux plus voir de chiens. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait de lui avec ces animaux, mais j’ai entendu crier. Et après plus rien. Et quand ça a été mon tour, dans le couloir j’ai vu les chiens le museau plein de sang. Voilà, ce sont les choses de la maison des morts, que je n’aime pas raconter.

Comment avez-vous tenu, moralement, pendant cette détention de trois semaines ?

Madeleine Riffaud : 

J’ai été aidée par un petit livre que j’avais lu, comme mes camarades, qui s’appelait Comment se défendre ?. Il expliquait des choses simples aux jeunes gens que nous étions : "Si vous êtes arrêté, vous dites dès le début : “Je ne sais rien, je ne dirai rien.” Même, vous niez l’évidence : “Je ne suis pas une combattante, c’est un acte individuel.”" Je me suis rappelé cette leçon et dans les jours qui ont suivi, jusqu’à ma libération, j’ai tenu comme ça, en m’appuyant sur ces directives. J

e me suis fait, en quelque sorte, un lavage de cerveau. Je disais : "Je ne sais rien, je ne peux rien donner." Il n’était pas question d’inventer quelque chose ou de faire des histoires. Par exemple, un copain avait inventé un rendez-vous au 15, rue des Feuillantines pour qu’on arrête de le torturer, sauf qu’on l’a emmené dans la rue en question, et là, des gens qui discutaient ont été arrêtés. Donc il a fait prendre, sans le vouloir, des gens qui résistaient aussi. Et puis c’était mauvais à tout point de vue : ça faisait penser aux Allemands que la torture ça faisait parler…

Vous avez donc gardé le silence et avez été condamnée à mort et transférée à Fresnes. Le 5 août 1944, vous alliez être fusillée…

Madeleine Riffaud : 

J’allais être fusillée, et j’étais contente de l’être. Je ne voulais pas être déportée, je voulais mourir à Paris, avec mes camarades. Mais à un moment, un officier est venu en courant, essoufflé, il m’a jetée dans un fourgon. Je lui ai dit : "Non ! Fusillée aujourd’hui !" Il a fermé à clé le fourgon et m’a dit : "Confrontation !" Je ne savais pas trop ce que c’était. En fait, ils m’ont confrontée avec un homme qui m’avait identifiée comme résistante. Et je n’ai pas été fusillée.

Vous avez écrit des poèmes pendant que vous étiez emprisonnée à Fresnes…

Madeleine Riffaud : 

Oui. J’avais trouvé par terre, dans un cachot, un livre de piété, que je ne connaissais pas. À l’intérieur, il y avait un crayon et c’était précieux. Donc j’ai écrit des poèmes sur la marge du livre [lire en page de droite l’extrait d’un texte écrit dans sa cellule]. Germaine Tillion raconte qu’en partant vers les camps, juste avant, elle a laissé dans sa cellule un livre qu’elle avait trouvé. Si ça se trouve c’est celui sur lequel j’ai écrit ? Par bonheur, j’ai pu l’emporter quand les choses se sont retournées.

Seules six femmes font partie de l’ordre de la Libération, vous trouvez ça juste ?

Madeleine Riffaud : 

Non, ce n’est pas beaucoup. Moi je suis pas dans cet ordre-là. Par contre de Gaulle m’a donné, après l’insurrection, un truc épatant qui s’appelle une "citation à l’ordre de l’armée". Vous savez, quand on est militaire, quand on reçoit une "citation à l’ordre de la compagnie", on est déjà content ! Alors "de l’armée"… C’était exorbitant ! Surtout pour une fille de 20 ans ! Quand je l’ai reçue, d’abord j’ai même pas ouvert la lettre. Je l’ai flanquée dans un tiroir que j’ai fermé à clé. J’ai dit à ma mère : "Allez tiens, on n’en parle plus !

 

Dans les années qui ont suivi la Libération, vous êtes devenue journaliste, et plus tard vous avez couvert les guerres d’Algérie et d’Indochine. Était-ce la suite logique, de devenir correspondante de guerre après avoir été résistante ?

Madeleine Riffaud : 

Vous savez, quand on a été résistante, et quand on s’en est sortie, on est transformée. En prison, il y avait eu beaucoup de choses : la baignoire, l’électricité… Ils avaient vu que les moyens physiques ne me faisaient pas parler. Alors ils étaient passés à ce que les colonels appelaient "la torture en famille" : la fille torturée devant sa mère, la mère devant sa fille, le petit ami avec sa petite amie en face. "On va lui couper les seins si vous parlez pas !" Eh bien, il y en a peu qui résistent. À un moment, j’avais un petit jeune homme devant moi, ils lui cassaient les bras et les jambes. Et un Allemand me disait : "Regarde !" J’ai fait semblant de m’évanouir.

Mais le médecin allemand a pris mon poignet et a dit : "Elle fait semblant, c’est pas vrai." Et j’entendais toujours le même Allemand qui me disait : "Regarde ! Regarde ! Regarde !" Ah, tu veux que je regarde ? Eh bien, je vais regarder, oui, d’accord ! [Elle ouvre les yeux, clos jusqu’alors puisqu’elle est presque aveugle] Et si jamais je m’en sors, je dirai ce que j’ai vu. C’était le début de la correspondance de guerre.

Après la guerre, j’ai été soignée en psychiatrie, j’étais au milieu de déportés qui ne pouvaient pas dormir, même pas une minute. Moi-même je suis restée parfois un mois entier sans dormir, je voulais me foutre par la fenêtre. Il y a eu beaucoup de suicides chez les résistants et chez les déportés qui revenaient. Certains se soignaient et allaient mieux, mais d’autres se jetaient dans la Seine. Heureusement, j’ai rencontré Paul Éluard, le poète de la liberté, tout à fait par hasard, en novembre 1944. Il m’a ramassée, lui ! Il m’a dit : "Montre-moi tes yeux." Puis : "Oh là là là." Il m’a donné sa carte et m’a dit : "Tu passeras ?" Plus tard, je lui ai dit :

Tu m’as parlé comme à quelqu’un en danger de mort.

Il m’a répondu : "Bah ! Tu l’étais !" "Mais t’as vu quoi dans mes yeux ?" "Un désespoir immense." Sa femme et lui m’ont beaucoup aidée. Il a lu les poèmes que j’avais écrits en taule et il les a trouvés pas mal. Il les a édités et je suis entrée en poésie comme ça. Mais en même temps, il m’a dit : "Tu sais qu’un poème ça nourrit pas, ça ne donne pas assez d’argent pour vivre. Moi-même je vends des tableaux. Il faut que tu aies un vrai métier, pourquoi pas le journalisme ? Tu écris bien le français."

 

Après une vie aussi extraordinaire, quelle image voudriez-vous qu’on retienne de vous ?

Madeleine Riffaud : 

Ça m’est bien égal. Quand je serai sous terre, j’aimerais qu’on dise que j’ai été résistante toute ma vie. Et poète aussi ! Et voilà. C’est tout.

➤ Interview publiée dans le magazine Hors-Série GEO Histoire "Paris, Colmar, Saint-Nazaire... Le long chemin de la Libération", de juin-juillet 2024.

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