À Marseille, escalade répressive contre les soutiens à la Palestine

Publié le par FSC

Orient XXI du 08 juillet 2024
Sophie Boutière-Damahi
Journaliste indépendante basée à Marseille, spécialisée dans les problématiques du bassin méditerranéen avec un œil sur l’Afrique du Sud.

 

       Marseille, 6 mai 2024. Rassemblement des étudiants d’Aix Marseille Université (AMU) contre le génocide à Gaza - Le poing levé Marseille / Instagram

 

Un étudiant est attaqué en justice pour diffamation par l’université d’Aix-Marseille après avoir tracté sur son campus et des manifestants ont été placés en garde-à-vue pendant près de 48 heures pour une infraction d’entrave à la circulation routière. À Marseille, les soutiens à la Palestine s’inquiètent de l’utilisation de poursuites judiciaires comme instrument de répression politique.

Un détournement de logo de son université sur un tract et François, étudiant en master, recevait une convocation de la police ; ce 6 juin 2024, c’est au commissariat du 7e arrondissement de Marseille qu’il apprenait que la direction d’Aix-Marseille Université avait porté plainte contre lui pour diffamation. Une plainte qui a « surpris » François mais que présageait pourtant une première poursuite disciplinaire lancée début mai : « Pour moi, ce qui se passe, c’est clairement de la répression politique ».  

À Marseille, plus largement, manifestants comme juristes s’inquiètent d’une instrumentalisation de poursuites judiciaires à l’encontre des mobilisations en soutien à la Palestine. Après neuf mois d’offensive israélienne sur la bande de Gaza, Amnesty International exhortait début juin la France à «  abandonner les réponses répressives aux rassemblements spontanés de solidarité avec la Palestine ».  

DES POURSUITES JUDICIAIRES À L’UNIVERSITÉ
« Les appels à l’unité et à la neutralité du président Berton résonnent un peu comme un appel à ne surtout parler de rien (...) Si la gouvernance d’AMU choisit le silence, la censure et la répression, ce n’est pas notre choix ». Ce 7 juin 2024, une délégation intersyndicale locale de l’enseignement supérieur allant de la CGT à SUD critiquait la position de l’université Aix-Marseille (AMU) représentée par son président Éric Berton.

Car sur les campus d’AMU, depuis plusieurs semaines, les mobilisations en soutien à la Palestine lient leurs revendications à la critique des partenariats de l’université avec la Direction Générale de l’Armement (DGA). Depuis ce semestre, AMU met en place pour ses étudiants un bonus de 0,5 point sur leur moyenne s’ils sont réservistes et de 0,3 point s’ils assistent à des séminaires assurés par des généraux de l’armée. Une nouvelle disposition qui a provoqué une levée de boucliers parmi certains étudiants comme le Comité de Lutte dont François fait partie.

Mi-mars, alors qu’une motion votée à l’UFR de la faculté actait la liberté de tractage et de réunion sur les campus d’AMU, la direction se fendait d’un communiqué de presse pour invalider celle-ci, évoquant des cas de « harcèlement » de la part d’étudiants qui auraient perturbé la tenue du vote. « C’est aberrant, une université est un lieu de débat politique », lâche François «  et puis d’un point de vue légal, en quoi la présidence a-t-elle le droit de dire qu’un vote de l’UFR est caduc ? ». Avec d’autres militants du Comité de Lutte, l’étudiant élabore alors un tract sur le campus d’Aix pour « dénoncer la censure sur la question de la Palestine et des liens d’AMU avec l’armée ».  

Sur celui-ci le slogan détourné d’Aix-Marseille Université, « Socialement engagée… pour la guerre » accompagné de dessins de bombes autour du logo afin de « dénoncer les liens de l’université avec le complexe militaro-industriel français ». Un agent de sécurité leur demande de quitter les lieux, le règlement intérieur interdisant le tractage sur le campus. « Puis un agent administratif vient me prendre en photo avec le tract. À partir de ce moment-là, Éric Berton construit un dossier politique contre moi et une autre camarade, Odile, qui apparaît aussi sur la photo ». Le 13 mai, une première poursuite interne est lancée avec la convocation de François et Odile devant le conseil de discipline.

Sur le campus de Saint-Charles à Marseille, pendant ce temps-là, se prépare l’occupation d’un amphithéâtre « en solidarité à Gaza et à la Kanaky ». Le 23 mai, la présidence d’AMU fait appel à la police pour déloger les étudiants occupants. Avant, début juin, le dernier acte des démêlés de la direction avec ses étudiants ; une plainte déposée par AMU contre François pour diffamation, l’université accusant son étudiant d’avoir porté atteinte à sa réputation en détournant son logo.

Deux procédures engagées contre le même étudiant, l’une disciplinaire et l’autre judiciaire, toutes deux lancées par la présidence de l’université. En cas de sanction disciplinaire, François et ses camarades se disent prêts à la contester devant tribunal administratif. « Quant à la plainte pour diffamation déposée contre moi, mon procès, que je considère politique, sera l’occasion de mettre les projecteurs sur les liens de la présidence AMU avec l’armée », avance-t-il.

GARDES À VUE AUX MOTIFS FLOUS


Mais il n’y a pas qu’à l’université que les soutiens locaux de la Palestine contestent des procédures, selon eux, abusives. Le 30 mai, Marseille connaît son troisième soir de manifestations spontanées après la diffusion sur les réseaux sociaux des images de l’attaque israélienne sur un camp de réfugiés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. À 18h, un rassemblement a lieu sur le Vieux-Port puis le cortège s’élance dans les rues du centre-ville, réunissant une centaine de manifestants.

Plus tôt dans la journée, M., un régulier des manifestations en soutien à Gaza, reçoit une convocation des renseignements territoriaux l’invitant à se rendre au commissariat. Il en informe son avocate, Mathilde Lanté : « Alors moi, je les appelle (les renseignements territoriaux, NDLR) et demande le cadre légal de cette audition puisque je ne comprends pas cette convocation. On me répond que ce n’est pas une audition et que M. n’a pas l’obligation de s’y rendre », assure-t-elle. La journée passe, M. se rend au rassemblement en fin d’après-midi. Encadré par plusieurs dizaines de CRS, le cortège commence à se disperser en fin de soirée.

Bastien assiste à la scène :
"On a vu arriver deux voitures d’unités de la BAC alors que les manifestants commençaient à partir. Ils étaient 7 ou 8. Ils ont attendu un peu, on avait l’impression que les policiers ciblaient ceux qu’ils voulaient arrêter, comme s’ils attendaient que M. se détache de la foule."

Avant d’interpeller M. et W., un autre manifestant, des agents en civil sortent des menottes puis procèdent à l’interpellation. Une procédure abusive selon Mathilde Lanté :
"Ils sont interpellés alors qu’ils quittent la manifestation, puis sont menottés alors que les circonstances ne le permettent pas, le code pénal prévoyant certaines conditions pour qu’on puisse faire usage de cette contrainte-là. On cherche donc à les intimider une première fois."

D’abord placés en garde à vue au commissariat de Noailles sur la Canebière, M. et W. sont ensuite transférés à celui de l’Évêché, en charge des affaires criminelles.  « La police nous informe que c’est en raison du caractère sensible de l’affaire », raconte Mathilde Lanté qui évoque une garde à vue « lunaire » de près de 48 heures et dont le seul motif retenu, in fine, sera une simple entrave à la circulation routière à l’encontre de son client. Le premier soir, la police informe son confrère Adrien Mawas que son client W. demande à être représenté par un avocat commis d’office, ce que l’intéressé démentira par la suite.

« On les interpelle pour trois infractions pour qu’au final il n’en reste qu’une, et tout le long de cette garde à vue, les décisions changent comme si les ordres étaient discutés en haut lieu  », avance Mathilde Lanté qui dénonce en outre une procédure « politique » :  
"Ce qui est reproché à M., c’est le simple fait d’avoir participé à cette manifestation. Le parquet va utiliser l’infraction d’entrave à la circulation routière, pour punir la participation à une manifestation non déclarée, qui je le rappelle n’est pas un délit, en ce que ça serait une atteinte à une liberté fondamentale qui est la liberté de manifester et à la liberté d’expression. L’objectif est clair : réprimer coûte que coûte pour museler le débat public et les voix qui contestent le discours officiel du gouvernement."

M. assure par ailleurs avoir été victime d’insultes homophobes de la part de plusieurs policiers et entend porter plainte.

UNE DYNAMIQUE QUI S’ÉTEND MALGRÉ TOUT


Mais les mobilisations en solidarité avec la Palestine, neuf mois après les premières manifestations interdites dans le centre-ville, continuent de s’étendre. Le 4 juin, c’était au tour des étudiants du campus marseillais de l’EHESS de mener une action contestant la politique de la direction de l’école. Dans la cour de la Vieille-Charité, dont le site est aussi un musée ouvert au public, une dizaine d’étudiants déploient leur banderole : « Position intenable, Institution coupable » en référence à la fermeture administrative du campus Condorcet à Paris après l’intervention de la police pour déloger les étudiants qui l’occupaient.

Parmi les revendications de leurs camarades marseillais formulées à la direction « un soutien juridique et matériel pour les étudiant.es poursuivi·es pour "apologie du terrorisme", notamment en couvrant leurs frais d’avocat » ou encore l’inclusion de la question palestinienne à l’occasion du festival « Allez Savoir » porté par l’école à la fin du mois de septembre, et dont le thème sera cette année « Obéir/Désobéir ».  

Une direction de l’EHESS qu’Embarek, étudiant en master sciences sociales sur le campus de Marseille, taxe d’hypocrisie. Bien que l’école reste labellisée « de gauche », cette dernière fait selon lui preuve d’un « mutisme inconcevable sur ce qui se passe en Palestine » malgré les pétitions en interne réunissant des centaines d’étudiants et chercheurs dans leur souhait d’obtenir de la direction un appel au cessez-le-feu :
"La présidence se cache derrière une pseudo-neutralité académique qui n’existe pas (...) cela s’illustre aussi par le deux poids deux mesures par rapport à la guerre en Ukraine, pour laquelle l’EHESS avait pourtant clairement pris position."

Des revendications partagées, notamment par le MNL13 (Mouvement national lycéen). Le 6 juin, au terme d’une assemblée générale réunie dans un parc, plusieurs dizaines de lycéens appelaient à la création de « Comités Palestine » dans chacun des sept établissements représentés.

En geste d’apaisement, le 29 mai au soir, la mairie de Marseille éteignait ses lumières en « mémoire de toutes les victimes civiles à Gaza » après la diffusion sur les réseaux sociaux des images de l’offensive israélienne sur un camp de réfugiés à Rafah.

 

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