SMART à Hambach : le chantage et le coup de force continuent

Publié le par FSC

Ce qui se passe à Hambach illustre ce que le patronat entend par dialogue social et concertation : un rapport de force sous le chantage à l'emploi et à la délocalisation.

Et tout cela avec la complicité du pouvoir socialiste qui entend en finir avec les protections du code du travail et des conventions collectives en renvoyant les salariés isolés et privés de défenses collectives à des "négociations" d'entreprise dont on voit bien que c'est là que le rapport des forces est le plus défavorable aux salariés dans un contexte de concurrence et de dumping social.

Mais il s'agit là d'une stratégie de classe pour peser sur les salaires qui ne pourra être contrée que par un rapport de force d'ensemble et des changements politiques réellement en faveur des travailleurs.

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L'indécence et le cynisme de la direction

« La direction se réjouit de ce très fort taux d’adhésion, qui démontre toute la volonté et l’engagement des salariés de Smart France en faveur de la compétitivité de leur usine », est-il écrit dans un communiqué.

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Pour Annette Winkler, responsable de la marque Smart, « cette adhésion extrêmement importante prouve une fois de plus le professionnalisme, la compétence et la passion de nos coéquipiers »

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Source : Le Monde

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AbonL'usine Smart de Hambach, en Moselle L'usine Smart de Hambach, en Moselle PATRICK HERTZOG / AFP
 

Ils passent le portique et rejoignent le parking d’un pas pressé, comme pour tourner définitivement le dos à une année sous tension. La chaîne de fabrication de la Fortwo, le modèle à deux places produit ici, s’est arrêtée mardi 15 décembre. Les ouvriers de l’usine Smart de Hambach (Moselle) sont en congés d’hiver ; le reste du personnel suivra vendredi. « J’ai signé leur papier, je ne veux plus y penser. Rideau jusqu’au 4 janvier », confie l’un d’eux.

Lire aussi : Smart  : vers un retour aux 39 heures

Le « papier », c’est l’avenant au contrat de travail que les 800 employés de l’entreprise, tous services et catégories confondus, ont été invités à retourner signé à la direction des ressources humaines avant le 18 décembre. Celui-ci reprend l’essentiel du projet d’entreprise sur la compétitivité que Smart France tente de faire adopter depuis le mois de juin. Mardi soir, la direction a fait savoir que « plus de 90 % des salariés » avaient déjà retourné leur avenant après l’avoir signé. « Je suis très fière de notre équipe Smart de Hambach qui a montré un engagement très fort pour améliorer la compétitivité de notre site », s’est félicitée Annette Winkler, PDG de Smart France.

« Régression sociale »

Pour réduire ses coûts salariaux de 6 %, la direction de l’usine, rattachée à la division Mercedes-Benz du groupe automobile allemand Daimler AG, souhaite faire passer le temps de travail hebdomadaire de 35 à 37 heures, dès 2016, puis à 39 heures les trois années suivantes, en échange de garanties sur la « pérennité » du site et de contreparties salariales. Celles-ci ne compenseront que partiellement l’allongement provisoire de la durée du travail souhaité par la direction, le dispositif prévoyant un retour aux 35 heures en 2021.

 

Les cadres et ETAM (employés, techniciens et agents de maîtrise) travailleraient quatre heures de plus par mois et renonceraient à leurs jours de RTT ; les ouvriers augmenteraient leur volume horaire avec possibilité de travailler plus tard le soir et dix samedis par an. Une prime exceptionnelle de 1 000 euros serait versée en deux fois à tous les salariés, doublée d’une augmentation mensuelle de 120 euros brut pour tous. Ce lissage reviendrait mécaniquement à augmenter le temps de travail de 12 % et les salaires de 6 %.

Trente-neuf heures payées 37 : estimant que le compte n’y était pas, trois des quatre syndicats représentés sur le site (CGT, CFDT, CFTC) s’y sont opposés d’emblée, début juin. La direction a contourné l’écueil en lançant, en septembre, une consultation de l’ensemble du personnel. Ce référendum, très médiatisé en plein débat sur la loi Macron, s’était soldé par un « oui » à 56 %. Une ligne de fracture s’est toutefois dessinée entre les « modulants », surnom donné ici aux opérateurs de la chaîne de montage, opposés à 61 % à ce que la CGT qualifie de « régression sociale », et les cadres et salariés des autres services, qui y ont souscrit à 74 %. Mais la CGT et la CFDT, forts de leur 53 % de représentativité, ont fait valoir, le 30 novembre, leur « droit d’opposition » au projet.

Sourde frustration

Dès le lendemain, Joachim Betker, directeur général, a durci le ton lors d’un comité central d’entreprise, suivi d’un « forum » avec le personnel où il a présenté son « plan B » : la mise en place unilatérale de l’augmentation du temps de travail, soumise à accord individuel. Il y a quelques jours, chaque salarié a donc reçu de son supérieur un avenant à son contrat de travail prévoyant le retour progressif aux 39 heures voulu par la direction. « Libre à chacun de se déterminer, en toute sérénité », assure Jean-Yves Schmitt, porte-parole de l’entreprise.

« Personne n’a signé de gaieté de cœur, la méthode a déplu mais tout le monde est conscient qu’au niveau boulot, c’est chaud. Quand on en a un, mieux vaut le garder »

Mais la CGT et la CFDT dénoncent « un chantage à l’emploi » et des « pressions » sur les salariés. « Annette Winkler et le patron de l’usine ont été on ne peut plus clair, rapporte Jean-Luc Bielitz, ouvrier à l’atelier de mise en peinture (CGT). Ils nous ont expliqué que si 75 % des salariés n’avaient pas signé leur avenant, un plan social serait lancé, l’usine fermerait et la production de la quatrième version de la Fortwo serait délocalisée en 2018 à Novo Mesto, en Slovénie, où le groupe produit déjà la Smart Forfour. »

« Personne n’a signé de gaieté de cœur, la méthode a déplu mais tout le monde est conscient qu’au niveau boulot, c’est chaud. Quand on en a un, mieux vaut le garder », commente un salarié. « Un sacrifice sur quatre ans, ce n’est pas la fin du monde, tempère Mario Mutzette, délégué CFE-CGC. Notre combat, c’est l’emploi. »

Le plébiscite annoncé masque une frustration sourde. « Qui va marner jusqu’à onze heures du soir et les samedis ? Pas les cadres… La chaîne, c’est épuisant. Physiquement, on va le sentir », peste un opérateur. « La grande famille de la Smart que la direction nous vend est divisée, l’ambiance est plombée. On s’est senti pris à la gorge juste avant Noël », déplore Patrick Hoszkowicz, « modulant » et délégué CFDT. « Mon chef m’a conseillé de signer tout de suite en m’expliquant que ceux qui auront dit non auraient moins de pauses et des plannings différents », témoigne un de ses collègues.

En tout cas, le passage aux 37 heures dès le 4 janvier paraît scellé ; pour l’heure, aucun recours n’est envisagé par les syndicats. « J’ai signé mais je n’en pense pas moins, souffle encore un ouvrier. Au fond, j’étais contre mais je ne veux plus y penser ni même en parler. »

 

Nicolas Bastuck (Metz, correspondant)

 

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