L’effarement à Gaza, où règne « un niveau de destruction absolue »
REPRIS de : https://assawra.blogspot.com/2023/11/leffarement-gaza-ou-regne-un-niveau-de.html
SOURCE : Le Monde du 25 novembre 2023
Par Madjid Zerrouky
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| Dans la ville de Gaza, le 24 novembre 2023, alors que le cessez-le-feu temporaire entre Israël et le Hamas est entré en vigueur. MOHAMMED HAJJAR/AP |
Profitant de la suspension des bombardements, les habitants de l’enclave palestinienne ont circulé dans les rues, jalonnées d’immeubles en ruine et de cadavres en état de décomposition.
Vendredi 24 novembre à l’aube, quand les frappes israéliennes sur la bande de Gaza se sont interrompues, après quarante-neuf jours de bombardements, et que le bourdonnement des drones dans le ciel s’est tu, des dizaines de milliers de déplacés dans le sud de l’enclave ont repris le chemin du centre et du nord du territoire. Pour regagner leurs quartiers et s’enquérir de ceux qui n’ont pas voulu ou pu fuir ; de l’état de leur domicile ou pour tenter de retrouver des affaires parmi les ruines. Pour d’autres, il s’agissait d’inhumer leurs proches.
« C’est un soulagement. Il règne un calme absolu dans les rues, il n’y a plus de bruits de bombardements », témoigne depuis la ville de Rafah Ali (il n’a donné que son prénom), un ambulancier originaire de la ville de Gaza et déplacé à deux reprises dans le Sud depuis le début de la guerre, déclenchée le 7 octobre par l’attaque du Hamas contre l’Etat hébreu. « C’est comme un retour à la vie, mais nous avons peur que cela recommence dans quatre jours [la durée pour l’instant négociée de la trêve]. C’est un mélange de joie et de tristesse, car beaucoup de gens cherchent avant tout à récupérer les corps de leurs proches pour les enterrer. »
Ce périple est à nouveau périlleux. Peu avant l’entrée en vigueur de la trêve, l’aviation israélienne larguait des tracts rappelant que « la guerre n’est pas finie ». « Un retour vers le nord est interdit et très dangereux. Votre sécurité et celle de vos familles sont entre vos mains. » Vers midi, au moins deux personnes ont été tuées et un certain nombre blessées par des tirs venus des positions israéliennes dans le quartier de Tal Al-Hawa. Deux nouveaux morts qui viennent s’ajouter aux 14 854 personnes, dont 6 150 enfants, qui ont péri sous les bombardements israéliens, selon le ministère de la santé de l’enclave palestinienne.
Des corps aux abords des hôpitaux
A Khan Younès, dans le Sud, le journaliste Ayman Algedi constatait également, avec effarement, le visage de désolation qu’offrait une partie de la ville : « C’est un niveau de destruction absolue. Nous avons vécu quatre, cinq guerres, mais nous n’avons jamais vu autant de destructions. » Sur les images qu’il filme, des habitations ratatinées succèdent à des rues défoncées. Maigre consolation : un filet d’eau s’échappe d’un tuyau qui sort d’un immeuble effondré. « Nous avons tellement soif… », dit-il.
« Je me suis promené dans la ville de Gaza peu après le début de la trêve. La destruction est totale. Maisons, bâtiments, mosquées, jardins publics, écoles, conduites d’eau, poteaux électriques, écrit l’éditeur Refaat Alareer. J’ai essayé d’atteindre l’hôpital d’Al-Rantissi, mais il y avait deux chars. Etonnamment, il n’y a pas d’envahisseurs israéliens à l’hôpital Al-Shifa.
Les chars n’ont pas cessé de tirer sur les gens près d’Al-Rantissi et à Tal Al-Hawa. A Tal Al-Hawa, il y a des snipers près du jardin de Barcelone. Ils ont tiré sur quelqu’un qui s’approchait de sa maison », décrit-il.
Sur la route côtière, qui va du nord vers le sud, empruntée par ceux qui ont fui les quartiers assiégés par l’armée israélienne, on aperçoit de nombreux corps en décomposition. « Nous demandons à des ambulances de venir les récupérer. Nous devons quitter cet endroit, c’est trop dangereux », s’exclame un jeune qui les filme.
Les hôpitaux de Gaza, dont vingt-quatre sur trente-deux ont cessé de fonctionner, exhibent les stigmates des quarante-neuf jours de frappes : les vitres de l’hôpital Al-Awda ont volé en éclats ; les troisième et quatrième étages, où sont morts trois soignants dont deux membres de Médecins sans frontières (MSF) le 21 novembre, sont réduits à l’état de gravats. La façade de l’hôpital indonésien est éventrée, des corps gisent à ses abords, sous des couvertures, que des badauds soulèvent pour reconnaître un visage. Scènes identiques à l’hôpital Al-Shifa, qui fut le plus important de la bande de Gaza avant son évacuation partielle, le 18 novembre.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a affirmé vendredi ne disposer d’aucune information sur le sort du directeur de cet établissement, arrêté le 22 novembre, ainsi que cinq autres soignants, alors qu’ils participaient à une mission onusienne pour évacuer des patients. L’opération a duré vingt heures, « dont six heures à un point de contrôle où l’équipe et les patients ont été contrôlés par les forces de défense israéliennes. Et ce, malgré un accord initial prévoyant de ne contrôler les participants qu’au point de départ, à l’hôpital Al-Shifa », ajoute l’OMS, précisant que les arrestations ont eu lieu à ce moment-là.
200 camions chargés d’aide
Israël avait annoncé jeudi l’arrestation de Muhammad Abu Salmiya, ainsi que celle d’un chef de service de l’hôpital. « Nous l’interrogeons [M. Abu Salmiya] sur le fait qu’il était directeur d’un hôpital qui se trouvait au-dessus de tout un réseau terroriste », a affirmé samedi un porte-parole de l’armée israélienne, Doron Spielman. L’Etat hébreu avait accusé l’établissement d’abriter un centre de commandement du Hamas, ce que M. Abu Salmiya avait à plusieurs reprises nié.
Selon le médecin et député indépendant Mustafa Barghouti, figure de la société civile palestinienne, qui dirige une association regroupant des dizaines de ses confrères à Gaza, l’armée israélienne s’est retirée de l’hôpital Al-Shifa après avoir détruit les générateurs électriques, les générateurs d’oxygène et les appareils à rayons X et d’imagerie médicale.
La trêve doit permettre l’entrée d’un plus grand nombre de convois d’aide dans le petit territoire surpeuplé où, selon l’ONU, 1,7 million d’habitants, sur une population de 2,4 millions de Gazaouis, ont été déplacés par la guerre. Vendredi, 200 camions chargés d’aide sont entrés à Gaza, selon le ministère de la défense israélien.
Israël s’est engagé, au terme de cette trêve de quatre jours, à « poursuivre » les combats contre le Hamas. « Prendre le contrôle du nord de la bande de Gaza est la première étape d’une longue guerre, et nous nous préparons pour les prochaines phases », a déclaré le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari.
