État palestinien : une reconnaissance symbolique mais pas que
Gwenaelle Lenoir
Médiapart du 27 avril 2024
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Des Palestiniens brandissent des drapeaux dans la ville de Gaza, le 15 juin 2021. © Photo by Mohammed Abed / AFP |
La reconnaissance d’un État palestinien possède une forte connotation symbolique. Mais elle a également des significations politiques et pourrait déboucher sur des mesures concrètes.
L'Histoire des nations et des peuples est faite – en partie – de symboles. En mai 2015, l’Autorité palestinienne avait décidé d’émettre des passeports avec la mention « État de Palestine » et non plus, comme il était de mise depuis les accords d’Oslo de 1993, « Autorité palestinienne ». L’annonce avait soulevé un certain enthousiasme dans les rues de Cisjordanie.
Il s’agissait de la part des autorités de Ramallah d’un rare geste de confrontation avec Israël qui, depuis la mise en place de l’Autorité palestinienne, refusait cette mention. Les accords d’Oslo, de fait, ne créaient pas un État de Palestine, laissant cette question pendante durant une période intérimaire… toujours en cours.
Aujourd’hui, les Palestinien·nes des territoires occupés voyagent toujours avec un « document de voyage » émis non par l’« État » palestinien mais par l’« Autorité » palestinienne.
Même si la jaquette noire porte aussi la mention « passeport », la personne détentrice du document n’est reconnue comme citoyenne que dans les pays qui reconnaissent l’État palestinien, soit cent quarante et un à ce jour. Or, être admis dans un pays étranger comme citoyen d’un État n’est pas si anecdotique qu’il pourrait y paraître à première vue.
La décision de désigner les territoires palestiniens comme un État s’inscrit, pensent les Palestinien·nes, dans la marche vers l’autodétermination et l’indépendance.
« C’est une question de dignité, de reconnaissance du peuple palestinien et de refus de l’occupation militaire, affirme Anwar Abu Eisheh, professeur de droit à l’université Al-Quds de Jérusalem et ancien ministre de la culture de l’Autorité palestinienne. Ça ne changera rien sur le terrain dans l’immédiat. Nous le savons bien. Mais reconnaître l’État de Palestine, c’est reconnaître aux Palestiniens le droit d’en créer un. »
La première pierre d’un État a été posée par Yasser Arafat. Le 15 novembre 1988, devant le Conseil national palestinien réuni à Alger, le chef de l’OLP proclame l’établissement de l’État de Palestine. Il répète l’annonce devant l’Assemblée générale de l’ONU réunie en décembre de cette année-là à Genève. C’était il y a trente-six ans et la question de la reconnaissance secoue toujours les instances internationales et les cercles dirigeants occidentaux. C’est donc bien qu’elle dépasse le stade purement symbolique.
« Même s’ils sont conscients des limites, les Palestiniens pensent que ce geste peut avoir un impact sur le long terme, analyse Leila Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherche et d’études politiques (Carep). Les symboles comptent et peuvent avoir des effets concrets quelques années plus tard. »
« Honnêtement, quand j’ai entendu la proclamation de Yasser Arafat à Alger, je me suis dit : “Et alors ?”, se souvient Anwar Abu Eisheh. Un État ? Nous avions un peuple, certes, une terre, certes, mais occupée, mais aucun signe de souveraineté. Nous étions loin de l’État. En fait, c’était un beau coup politico-médiatique. »
Droit à l’autodéfense
Avec la question de l’État, l’OLP, bousculée par un soulèvement – la première Intifada, qui secoue les territoires palestiniens occupés depuis décembre 1987, mais qu’elle n’a pas déclenchée elle-même –, reprend le devant de la scène, et son chef charismatique avec elle.
Dans la semaine qui suit la déclaration d’Alger, près de cent pays reconnaissent l’État palestinien : ceux de la Ligue arabe, ceux du bloc d’Europe de l’Est, la plupart des capitales africaines et asiatiques. « Les représentants de l’OLP sont devenus, dans ces pays, des ambassadeurs et ont été traités comme tels, c’est-à-dire reçus dans des instances dont ils étaient absents jusque-là », poursuit Anwar Abu Eisheh.
C’est une marche à petits pas au long des années. « Finalement, Israël a dû accepter l’idée que les Palestiniens sont un peuple et qu’ils ont peut-être droit à un État, constate Alain Gresh, directeur du journal en ligne Orient XXI et auteur de Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir (éditions Les liens qui libèrent, mai 2024). Même les Américains s’y sont résolus : en mars 2002, le Conseil de sécurité appelle à une solution à deux États. » La résolution 1397 préconise en effet « deux États, Israël et la Palestine, [qui] viv[raient] côte à côte, à l’intérieur de frontières reconnues et sûres ».
Pourtant, si la Palestine est aujourd’hui membre à part entière de certains organismes transnationaux, comme l’Unesco ou la Cour pénale internationale, si elle participe sous sa propre bannière aux Jeux olympiques, elle échoue toujours à obtenir une adhésion pleine et entière aux Nations unies. Une nouvelle fois, le 18 avril dernier, les États-Unis ont mis leur veto à cette demande devant le Conseil de sécurité.
« Si l’État palestinien était reconnu par l’ONU dans les frontières de 1967, il y aurait une conséquence concrète : cela voudrait dire qu’Israël occupe un État membre des Nations unies et donnerait, du point de vue légal, un certain nombre d’arguments aux Palestiniens », analyse Alain Gresh. Selon certains juristes, cette reconnaissance ouvrirait de nouveaux droits, comme celui à un territoire et à l’autodéfense.
Les gains politiques apportés par des reconnaissances bilatérales ne relèvent évidemment pas du même champ. Ils sont avant tout « une caution politique et diplomatique et un élément supplémentaire d’isolement d’Israël », selon Alain Gresh.
Ils peuvent aussi conduire chaque État à prendre des mesures à l’égard d’Israël, puissance occupante. Mais rien n’est automatique et il faut pour cela une volonté politique supplémentaire. On pourrait imaginer, dans le cas de l’Union européenne, une suspension de l’accord d’association avec Israël. « Mais ça, il y a très très peu de chances que ça advienne », conclut Alain Gresh.