Sophie Binet, des avocats et des inspecteurs du travail dénoncent le licenciement illégal de Christian Porta

Publié le par FSC

 

Dans une tribune publiée sur Mediapart, un ensemble de juristes, d'avocat·es, de syndicalistes et d'inspecteurs du travail dénonce la tentative de licenciement illégal du syndicaliste, et appellent à défendre les droits syndicaux.

Tribune

Crédits photo : O Phil des Contrastes

Tribune publiée initialement dans le Club de Mediapart.

Les atteintes à l’État de droit dont s’inquiète Amnesty International dans son dernier rapport annuel ne sont pas l’apanage des gouvernements, elles concernent aussi les entreprises, où se cumulent recul légal des droits protecteurs pour les salariés et refus de respecter la législation en vigueur pour les droits toujours existants.

Les 22 et 23 avril dernier, Christian Porta, délégué syndical central de la boulangerie industrielle Neuhauser, filiale du groupe InVivo, a été notifié coup sur coup du refus par l’inspection du travail d’autoriser son licenciement puis de son licenciement. Au lendemain de la publication d’une décision longuement motivée, invalidant l’argumentaire de l’entreprise qui accuse le syndicaliste CGT de « harcèlement » envers sa direction, InVivo a tout simplement décidé de passer outre le code du travail.

Ce choix de se placer consciemment dans l’illégalité est l’aboutissement d’un bras de fer d’une intensité rare entre la direction du groupe ayant racheté Neuhauser en 2021 et Christian Porta, représentant du personnel depuis près de 10 ans. Dans le secteur de l’agro-alimentaire, le site de Folschviller où il exerce se distingue par une importante implantation de la CGT, qui a recueilli 74% des suffrages aux dernières élections professionnelles, et par les conquêtes accumulées : 32 heures payées 35, embauches en CDI, lutte victorieuse contre la fermeture de sites et la mise en œuvre d’un PSE, réintégration de salariés injustement licenciés, etc.

Une contre-tendance au recul des droits des salariés face à laquelle la direction du groupe InVivo assume explicitement vouloir en finir avec la CGT. Pour cela, dès février dernier, à la veille d’une grève de revendication sur les salaires, elle a mis à pied son délégué syndical en l’accusant de « harcèlement » sur la base d’une pseudo-enquête interne disqualifiée par l’inspection du travail. À l’époque déjà, la décision d’interdire à Christian Porta d’entrer dans son usine y compris pour exercer son mandat avait été invalidée par le tribunal judiciaire de Sarreguemines pour « atteinte à l’exercice des droits syndicaux » et en l’absence « d’éléments probants » concernant les accusations de la direction.

Ces premières défaites judiciaires n’ont pas empêché InVivo de poursuivre son offensive. Bien que les collègues du syndicaliste lui aient exprimé une large solidarité, non seulement par la grève mais également en signant majoritairement une pétition de soutien, et alors que l’inspection du travail a refusé d’autoriser son licenciement, InVivo poursuite sa politique de répression syndicale, jusqu’à violer l’article L.2411-5 du code du travail qui consacre la protection des représentants du personnel. Ce licenciement contra legem, par un géant européen de l’agroalimentaire, porte à l’extrême le mépris des droits syndicaux et du service public de l’inspection du travail et rappelle que le syndicaliste, en période de régression des droits, est à ce point vital pour l’organisation collective de la revendication qu’il reste l’homme à abattre.

Comme le rappelle la Cour de cassation depuis des décennies, la protection des élus du personnels « a été instituée non dans le seul intérêt de ces derniers mais dans celui de l’ensemble des salariés ». Par cet acte de défi, un patronat décomplexé s’affranchit de la loi et méprise ouvertement une décision administrative de l’inspection du travail pour passer outre la protection des représentants du personnel. C’est le projet assumé de la direction d’InVivo, dont le DRH n’hésite pas à affirmer publiquement vouloir « attaquer l’État » si son licenciement illégal était rendu impossible.

Alors que les inspecteurs du travail et syndicalistes font l’objet de contre-réformes constantes qui réduisent toujours plus leurs moyens et leurs prérogatives, nous, juristes, avocats et Inspecteurs du travail souhaitons rappeler l’évidence : licencier un salarié protégé sans autorisation de l’Inspection du travail est interdit. L’exercice des mandats syndicaux est protégé par le Préambule de la Constitution du 1946 qui affirme d’une part, la liberté syndicale (alinéa 6) et d’autre part, le principe de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail (alinéa 8). Le représentant du personnel est protégé car il est exposé, au service de la défense des intérêts des travailleurs.

La protection des représentants du personnel est la condition de l’exercice des droits des salariés, et sa remise en cause opère un retour vers le XIXème siècle pour déstabiliser l’ensemble de l’édifice des droits des salariés dans l’entreprise, arrachés au travers longues luttes. Plus que jamais, le droit du travail est une conquête collective que les avocats, inspecteurs du travail, syndicalistes et forces politiques doivent défendre dans le cadre du combat plus large pour s’opposer au recul des droits démocratiques dans le pays.

Signataires :

Savine Bernard, avocate au barreau de Paris, spécialiste en droit du travail, présidente de la commission droit social du Syndicat des Avocats de France

Sophie Binet, Secrétaire générale de la Confédération générale du Travail (CGT)

Ralph Blindaueur, avocat au barreau de Metz

CGT SNTEFP, Syndicat National Travail Emploi Formation Professionnelle CGT

Karim Chagroune, vice-président section industrie du Conseil des Prud’hommes du Havre

Marie-Laure Dufresnes-Castet, avocate au barreau de Paris

Michel Estevez, président du Conseil des Prud’hommes de Metz

Gérard Filoche, inspecteur du travail

Manuela Grévy, avocate au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation

Julien Huck, secrétaire Général FNAF CGT

Judith Krivine, avocate au barreau de Paris, présidente du Syndicat des Avocats de France

Reynald Kubecki, délégué syndical CGT Sidel et Vice-président section industrie du Conseil des Prud’hommes du Havre

Mornia Labssi, inspectrice du travail

Gérald Le Corre, syndicaliste CGT et inspecteur du travail

Elsa Marcel, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis

Sébastien Menesplier, Secrétaire général FNME CGT

Pascal Moussy, directeur de publication de la revue Chroniques ouvrières

Fiodor Rilov, avocat au barreau de Paris

Antony Smith, inspecteur du travail

Isabelle Taraud, avocate au barreau de Paris

Cyril Wolmark, professeur de droit à l’Université Paris Nanterre

Publié par REVOLUTION PERMANENTE

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L
Du totalitarisme financier au fachisme il n'y a qu'un pas !!! ( de trop ! ) .<br /> Ce lundi 27 mai 2024 à 17h45?
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