Comment ne pas avoir la gauche la plus bête du monde ? 

Publié le par FSC

La situation politique en France et la préparation des prochaines élections dans la métropole du Grand Lyon
, par  Pierre-Alain MILLET

Les polémiques à gauche autour des débats parlementaires et notamment de la censure interrogent de nombreux militants sur le grand écart entre les débats médiatiques notamment parlementaires et la vie concrète des gens « d’en bas »… On sait que la droite est largement majoritaire en France, certes divisée entre macronistes, LR et extrême-droite, mais au total représentant les deux tiers des électeurs et les deux tiers de l’assemblée. Ce n’est pas parce-que certains ont répété sans cesse et très médiatiquement « la gauche a gagné, elle doit gouverner » que ça change quoi que ce soit.

D’autant que ce rapport de forces politique correspond au rapport de forces social. Les syndicats ne mobilisent que moins de 10% des actifs dans les plus grandes journées de mobilisation sur les retraites, 3 millions dont beaucoup de retraités, même si une majorité de salariés les soutenait… dans les sondages. Et remontent du terrain les difficultés de mobilisation pour l’emploi, les salaires, le logement, les droits. Dans le dernier cycle d’élections professionnelles, on atteint 83% des entreprises de moins de 50 salariés qui n’ont pas de candidats aux élections, et même 56% de celles de 50 à 300 salariés, en nette hausse… Dans la fonction publique en 2022, la participation chute à 44% [
1], et en 2024 pour les TPE, la participation n’est que de 5%.

Bref, la gauche et le mouvement social sont en crise, mais des députés de gauche se regardent entre eux et dénoncent leur voisin… jusqu’aux insultes traitant Fabien Roussel de Doriot, Olivier Faure d’extrême-droite, des insoumis de complices du terrorisme…

La préparation des prochaines élections locales poussent à la concurrence pour se placer en bonne position et dans cette course à la tête d’affiche, Jean-Luc Mélenchon met la barre très haut, annonçant attaquer les maires sortants de gauche dans 140 villes où LFI fait un score élevé aux législatives. Comme les accords NUPES puis NFP leur ont accordé la quasi totalité des villes de banlieue, ils sont prêts à attaquer la gauche presque partout. Pour gagner quoi ? Pas faire reculer l’extrême-droite, qui a pourtant fait un score élevé dans 270 villes ! pas empêcher un retour de la droite dans les grandes agglomérations gagnées par la gauche en 2020 !

Pourtant, les dernières partielles sont inquiétantes pour la gauche dans son ensemble et pour LFI en particulier. Dans l’Isère, LFI perd un siège de député contre un macroniste ! A Villeneuve (Val de Marne), LFI passe de 40% aux européennes a seulement 25% dans une élection tirée par le député sortant où LFI a mobilisé toutes ses forces… Et c’est vrai de toute la gauche, dans la métropole de Lyon, la vice-présidente écologiste perd 14 points sur 2020 dans une municipale partielle !

Tous ceux qui croient préparer 2026 comme une bataille entre forces de gauche sont irresponsables ou aveugles. Au moment ou une véritable internationale d’extrême-droite s’organise autour de Trump, où la totalité des grandes plateformes numériques US suivent Musk dans une véritable guerre médiatique des réseaux sociaux au service de cette extrême-droite, où l’exaspération populaire peut conduire à un raz-de-marée à droite, il y a urgence à rassembler les forces populaires autour d’un projet progressiste !

« Quand les blés sont sous la grêle/ Fou qui fait le délicat/ Fou qui songe à ses querelles/ Au cœur du commun combat »

Ouvrir les yeux sur la dérive à l’extrême-droite

Car il ne faut jamais oublier la crise démocratique profonde qui est le cadre dans lequel les élections se situent, une crise démocratique occidentale et pas seulement française, avec une véritable internationale brune qui se constitue autour du retour de Trump avec Milei, Meloni, Orban, Zemmour aux cotés de Trump, Elon Musk de l’AFD… Inutile de reprendre les chiffres terribles depuis le choc de 2002 et l’arrivée de Le Pen père au deuxième tour de la présidentielle. Depuis, l’extrême-droite est devenue la première alternative populaire à Macron ! Et il a fallu un « front républicain » avec les droites macronistes et républicaines pour l’empêcher d’arriver au pouvoir, sauvant les macronistes au passage, et créant cette situation parlementaire ingérable.

Malheureusement, beaucoup à gauche font comme si la gauche n’avait pas été surclassée aux élections de 2024, qu’elle ne mobilisait pas que moins d’un électeur inscrit sur 5, un plus bas historique. On ne voit pas pourquoi en continuant à faire ce qu’elle fait, elle pourrait renverser cette tendance.

Certains théorisent sur une extrême-droite périphérique ne concernant pas les agglomérations et villes populaires. Mais quels sont les rapports de forces dans la métropole de Lyon que beaucoup à gauche croient immunisée contre le RN ? La gauche victorieuse au premier tour des métropolitaines de 2020 atteignait 100 000 voix dans la métropole, l’extrême-droite mobilise en 2024 près de 130 000 voix ! Certes, il faut tenir compte des abstentions. L’électorat d’extrême-droite ne se mobilise pas nécessairement pour une élection locale. A Villeneuve, elle dépassait 27% aux européennes mais était absente à la municipale partielle [
2]. Cela dit, un choc à droite en 2026 dans la métropole de Lyon ne peut être exclu. Le résultat de Francheville montre l’absence totale de soutien populaire à la métropole et ses représentants, alors qu’elle frôlait la victoire au deuxième tour en 2020.

les batailles politiciennes à gauche sont un jeu perdant au détriment des mobilisations populaires

Faire reculer le vote d’extrême-droite et reconstruire un espoir populaire à gauche sont deux faces d’un même problème, sortir de la division du peuple, faire reculer le racisme et donc au fonds l’acceptation de la concurrence, du chacun pour soi, du repli communautaire, et tisser des liens de solidarité, d’actions communes, sur tous les sujets qui divisent, logement, emploi, santé, droits…

La gauche a perdu la bataille idéologique et politique contre l’extrême-droite depuis des décennies. On ne fera pas l’analyse critique de cet échec dans une guerre entre forces de gauche, même si le bilan des responsabilités passées est nécessaire. C’est la capacité à parler d’un monde de paix et de solidarité qui manque, à porter une réelle alternative à l’internationale brune qui se regroupe derrière Trump, et donc un discours ouvert au monde, au sud global, à la solidarité des peuples. C’est la capacité de la gauche à porter un projet de société alternatif au capitalisme qui soit positif, qui ne déguise pas la rigueur en sobriété, qui refuse l’injustice sociale et affirme le droit de tous au bonheur…

Le chantier est immense. Ouvrons un débat avec toutes les forces sociales et politiques qui veulent reconstruire une capacité de résistance au capitalisme et à ses dérives fascistes.

Assumer le débat à gauche et valoriser un bilan solide des majorités locales

Le débat à gauche est nécessaire et urgent pour tirer les leçons des échecs passés, de Mitterrand à Hollande, échec d’une gauche qui promettait de « changer la vie », de « s’attaquer à la finance », mais qui a toujours accompagné la crise du capitalisme, fragilisant les services publics, privatisant, précarisant le travail et les milieux populaires… Il ne s’agit pas de désigner des coupables, de dire, « rejetons les libéraux à gauche et tout sera réglé  ». Notre peuple perçoit confusément qu’aucun gouvernement ne peut forcer le capitalisme à accepter de meilleurs salaires, des dépenses publiques, sans un autre rapport de forces dans la société. L’insoumis Tsipras en Grèce a fait la même chose que le socialiste Mitterrand face aux exigences de la finance et ses instances européennes. Il a cédé ! Et quand le socialiste Allende a refusé de céder, il a été bombardé et exécuté !

La violence de Trump ne fait que rendre plus visible à tous que le capitalisme ne cédera rien lui-même. Croire que la démocratie est le pouvoir du peuple est un idéalisme qui ne résiste pas au réel !

C’est le premier débat nécessaire à gauche. Comment reconstruire un rassemblement populaire capable de s’imposer par un mouvement social de l’ampleur des grandes grèves de 1936 ou des années 60 [
3] ? Comment gagner une ébullition militante capable de construire une véritable hégémonie idéologique dans les milieux populaires, dans le monde du travail, résistant à la fois à la division des idées d’extrême-droite et au chacun pour soi de la concurrence de tous contre tous ?

Cela ne peut se faire en masquant les différences, les contradictions même.

  • Oui, il y a désaccord de fonds sur les ZFE, autant par l’inefficacité des Crit’Air qui valident une Ferrari et excluent une Twingo, que par l’injustice sociale de dispositifs qui transforment les bas revenus en coupables ! Mais c’est bien la loi qu’il faut changer et il doit être possible de trouver des compromis locaux pour ne pas installer un péage urbain anti-pauvres.
  • Oui, il y a désaccord dans la métropole de Lyon sur le plan de mobilités, le niveau de développement nécessaire des transports en commun, métro, trams, bus et innovation publique dans les mobilités à la demande. Mais il faut reconnaître que la gauche a déjà doublé le niveau d’investissement, et que le fonds du débat est bien le financement par les entreprises, doubler le versement transport, faire contribuer les centres commerciaux, un débat où la gauche peut se rassembler.
  • Oui, il y a désaccord sur la défense des hôpitaux publics et notamment Henry Gabrielle, mais ce ne sont pas les élus locaux qui vont par magie transformer les politiques publiques de santé, les objectifs de l’ARS ou des HCL, même si on souhaiterait que le maire de Lyon, président des HCL soit plus exigeant.
  • Oui, il y a discussion sur l’effort insuffisant pour les collèges, et la priorisation des investissements, dont la part vélo a sans doute été excessive, et pourtant tout le monde attendait un « changement de braquet » pour le vélo et son impact sur le cadre de vie, une fois les chantiers passés, est évident.
    Ce sont des exemples de la métropole de Lyon, mais sur beaucoup de sujets, les positions à gauche peuvent être contradictoires ; énergie, industrie et réindustrialisation, financement SECU et CSG, réponses à l’insécurité, solutions face au mal logement, à l’indignité de vie de trop de migrants…

Pour rassembler dans la clarté des débats à gauche, il y a deux exigences

  • il ne peut y avoir un discours unique, ni en cachant les difficultés, ni en imposant le discours d’une force se considérant comme seule légitime. Nous avons l’expérience du piège qu’a constitué le programme commun qui a renforcé les illusions et la délégation de pouvoir.
  • et en même temps, personne ne doit chercher à régler ses comptes à gauche, à tenter de sortir gagnant d’une confrontation entre forces de gauche qui laisserait le champ libre aux droites !
    Il y a donc une certitude qui peut être partagée. Partout où une majorité de gauche gère une collectivité, elle a beaucoup réalisée depuis 2020, malgré le covid, le confinement, la crise énergétique et financière. A l’échelle de la métropole, les réalisations sont impressionnantes. La régie de l’eau est un succès évident et permet aujourd’hui d’affronter en toute transparence les crises liées aux pollutions et au changement climatique. L’augmentation des investissements dans les transports et les mesures de gratuité ou de tarifs sociaux apportent des réponses à des milliers d’habitants. Les efforts pour le logement, les réhabilitations ont permis d’amortir partiellement le choc de la crise de l’immobilier…

Ce doit être une ligne de conduite partout. Quand la gauche dirige, elle travaille dans l’intérêt de tous, dans l’intérêt public, et c’est bien ce que la dérive à l’extrême-droite, y compris de la droite, veut mettre en cause, comme le montre la terrible gestion d’une ville comme Béziers par le RN.

Valoriser les acquis de nos majorités et reconnaître l’aggravation de la crise sociale

Mais une fois réglé la question de l’unité dans le débat à gauche, il reste le fonds du problème, les raisons de la dérive à droite, des progrès constants de l’extrême-droite. Il ne suffit pas de valoriser les bilans pour faire reculer la colère politique nourrie par les inégalités, les injustices, les précarités, la crise du mal logement, les restructurations industrielles qui s’accumulent souvent dans le silence, où même l’affaiblissement continue des services publics sous exigence de baisse des dépenses, comme le montre la fermeture du centre des impôts de Vénissieux, là même ou le préfet a signé un contrat de ville métropolitain qui affirme la nécessité de renforcer la présence des services publics !

C’est le chacun pour soi, né de la concurrence pour le logement, l’emploi, la santé, les droits qui est au cœur du racisme et du vote RN, et qui peut être récupéré par une droite extrême se présentant comme l’opposition à la majorité métropolitaine. Dans ce contexte, le « dégagisme » ne peut être que favorable à la droite et tous ceux qui tenterait un populisme anti-élus sortants ne feraient que le favoriser.

Il y a un enjeu particulier autour des questions de l’immigration et de la religion qui sont le terrain de jeu de l’extrême-droite. Il est urgent pour lui résister de tisser des liens entre communautés, origines, de ne rien stigmatiser, mais de montrer les intérêts communs, le besoin de solidarité.

Quand l’urgence est à la défense de l’école publique, premier outil de conquête de leurs droits pour les enfants de nos quartiers issus de l’immigration, entrer dans la polémique avec l’extrême-droite sur le lycée musulman de Décines pour prendre en apparence la défense des musulmans est une impasse dangereuse. Le probable candidat RN à Vénissieux publie chaque jour un message dénonçant l’islam, affirmant que la ville serait submergée par la religion. Mais ce message n’est vu que par ses proches, avec qui il est inutile de parler. Mais des milliers d’habitants, croyants ou non croyants veulent vivre dans le respect de tous et s’inquiètent d’une « guerre de religion » renforçant les divisions de notre peuple, ce que montrait les signatures de Vénissians musulmans contre la disparition de tout commerce non hallal aux minguettes. Refusons cette guerre de religion que l’extrême-droite veut imposer.

La réponse politique centrale de la droite et de son extrême face à la crise sociale, c’est d’enfermer chacun dans une communauté, un chacun pour soi qui transforme l’autre en ennemi, en concurrent.

La réponse politique d’une gauche rassemblée doit être au contraire une main tendue vers la solidarité, le respect des droits de tous, l’unité populaire sur des bases progressistes, laïques, républicaines au sens de cette république sociale qu’espérait tant de républicains et que n’ont construite aucune des républiques françaises.

Ne pas avoir la gauche la plus bête du monde…

Bien évidemment, ces principes généraux doivent être mis en œuvre avec intelligence dans des situations qui peuvent être très différentes, des villes où la gauche est très majoritaire, à celles ou la droite est très majoritaire, et des villes qui peuvent basculer, même si on peut s’attendre partout à un glissement à droite. Il y a des villes où le risque RN est fort.

Il y a dans la majorité métropolitaine des maires élus avec une partie de la droite contre une liste de gauche. La situation est forcément différente et on ne peut raisonner en théorie. Aux acteurs locaux d’apprécier localement ces situations diverses dans le dialogue avec toutes les forces progressistes, mais en faisant tout pour contribuer à freiner, voire inverser le glissement à droite.

On ne peut aborder l’élection métropolitaine sans faire vivre les diversités de situations locales, et sans faire apparaître la diversité politique dans la majorité sortante. Si la métropole est une collectivité avec sa légitimité propre, et donc un débat nécessaire sur le projet métropolitain qui n’est pas l’addition des projets municipaux, il serait dangereux de ne pas tenir compte de cette diversité des communes dans un contexte où la droite va mobiliser localement contre la métropole, pas seulement sur le projet politique, mais contre une métropole qui serait gérée contre les communes. De ce point de vue, la formule communiste d’une « métropole des communes et des citoyens » est une contribution que toute la gauche doit débattre.

On dit depuis longtemps que la droite française est la plus bête du monde, car elle s’est presque toujours divisée. Il ne faudrait pas que l’affaiblissement de la gauche la conduise à devenir la gauche la plus bête du monde. Que ce soit en tentant une guerre entre forces de gauche pour gagner sur les autres, tout en laissant le glissement à droite continuer, ou en utilisant des situations locales diverses pour jouer la métropole contre les communes ou l’inverse, ou en faisant des contradictions politiques réelles à gauche un moyen de jouer perso tout en contribuant à l’affaiblissement global de la gauche.

Nous devons construire partout le rassemblement populaire contre les idées d’extrême-droite, qu’elles soient portées directement par l’extrême-droite ou par la droite extrême !

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