Les urgences de Caen privées d’internes
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Le CHU a vu son agrément lui permettant d’accueillir des étudiants en médecine aux urgences suspendu pour six mois. Une décision rarissime qui traduit une nouvelle étape dans l’effondrement de l’hôpital public en plein contexte d’austérité budgétaire.
L a crise des urgences a franchi un cap inquiétant. Depuis lundi 3 novembre, plus aucun interne n’est accueilli au sein du service du CHU de Caen (Calvados). Faute de médecins titulaires suffisants pour les encadrer, l’établissement a perdu l’agrément de stage pour six mois. Du jamais-vu depuis un cas similaire au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), en 2021. Si la décision était déjà connue pour les 14 postes d’interne en médecine générale, ceux de 16 autres internes en spécialités, dont les urgentistes, sont aussi concernés. Ces derniers ont été transférés vers d’autres établissements.« C’est très rare de voir ça, constate Mélanie Debarreix, présidente de l’InterSyndicale nationale des internes (Isni).Nous avons été saisis par les étudiants pour d’importantes surcharges de travail. Certains voyaient leur santé mentale impactée mais n’osaient pas demander un arrêt de peur que le travail retombe sur leurs camarades. Nous avons donc contacté l’agence régionale de santé (ARS), le CHU, le doyen… Comme aucune solution n’a été trouvée, l’agrément a été suspendu. »Les docteurs juniors en dernière année et les externes (en quatrième et cinquième années) sont aussi concernés.
« Un suicide tous les dix-huit jours »
Avec 13,5 équivalents temps plein de médecins dans le service (en incluant le Samu) alors qu’il en faudrait 42, la pénurie de titulaires rendait l’équation impossible pour l’accueil des étudiants.« Il y avait un seul encadrant pour quatre ou cinq internes,explique Mélanie Debarreix.Si on ajoute à cela la prise en charge des urgences vitales, ils étaient laissés seuls face à leurs responsabilités alors qu’ils sont là pour se former. En France, un interne se suicide tous les dix-huit jours et 66 % d’entre eux souffrent de burn-out. On nous utilise à tour de bras, avec des semaines allant de soixante à cent dix heures avec un salaire de 1 700 euros, pour tenir l’hôpital. Nous ne sommes pas des robots. »Selon le doyen de l’unité de formation et de recherche (UFR) santé de Caen, Paul-Ursmar Milliez, interrogé par l’AFP, cette suspension ne pourrait être levée qu’après la présentation d’un nouveau projet pédagogique« convaincant »en mai 2026, avec notamment« 15 embauches nécessaires »pour parvenir à un senior encadrant pour un interne (contre un pour deux internes aujourd’hui).
En plein débat sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), avec des économies à hauteur de 7,1 milliards d’euros sur la santé prévues pour 2026 et un objectif national des dépenses de l’assurance-maladie en berne pour les établissements de soins, en hausse de seulement 2,1 %, cette annonce a fait l’effet d’une bombe. Pour tenter de déminer le terrain, la ministre de la Santé Stéphanie Rist a déclaré sur BFMTV avoir« fait mobiliser la réserve sanitaire pour que des médecins en renfort puissent arriver »,promettant que les urgences du CHU allaient fonctionner même« sans interne »et continuer d’accueillir les patients.
Cette situation n’est pas isolée. Au CHU de Toulouse (Haute-Garonne), les capacités d’accueil des internes ont également été restreintes lundi et au moins jusqu’à fin décembre faute d’effectifs suffisants. Conséquence : la prise en charge des patients sera recentrée sur ceux nécessitant des soins hospitaliers ou une hospitalisation.
l’hôpital fait figure de repoussoir
La régulation systématique des urgences en appelant le 15, vendue par la Macronie comme LA solution pour pallier le manque de personnel, semble avoir atteint ses limites. Si la pénurie d’urgentistes en France est estimée à 30 % par le syndicat Samu-urgences de France, les spécialistes formés continuent de fuir l’hôpital, qui fait figure de repoussoir.
De son côté, la CGT du CHU de Caen alerte depuis des années sur cette dégradation des conditions de travail et d’accueil des malades.« En 2019, nous avions déjà déposé un droit d’alerte pour danger grave et imminent,rappelle Déborah Lelièvre, secrétaire de la CGT du CHU.Nous avions aussi interpellé l’ARS au printemps. Les urgentistes et internes s’étaient mis en grève durant l’été 2024. Il est compliqué de discuter avec ces derniers : ils ont peur des représailles, mais on avait senti le mal-être. »Dans ce contexte budgétaire, Déborah Lelièvre espère que cette décision radicale va enclencher une prise de conscience de l’exécutif :« C’est la politique nationale qui nous a menés jusqu’ici. On ne peut plus continuer à faire des économies. Au regard des solutions très provisoires proposées par la ministre, on ne voit pas comment la situation ne pourrait pas encore empirer à Caen et partout ailleurs. »