Mort de Nahel : à Nanterre, le recul des forces de l’ordre face à des émeutiers déterminés lors d’une deuxième nuit de violences

Publié le par FSC

Posté par Rolland RICHA habitant et militant à Nanterre :

Des policiers et des pompiers interviennent dans la cité Pablo-Picasso, à Nanterre, dans la nuit du 28 au 29 juin 2023. MICHAËL ZUMSTEIN/VU’ POUR « LE MONDE »

Des groupes très mobiles, parfois accompagnés de jeunes sur des deux-roues pour servir de guetteurs, ont multiplié les incendies, contraignant policiers et pompiers à abandonner la cité Pablo-Picasso.
L’odeur des voitures qui brûlent un peu partout dans la ville. Le bruit des explosions, parfois assourdissantes. Les tirs de feux d’artifice incessants contre les policiers. Certaines places jonchées de cartouches de lacrymogènes. Des incendies par dizaines. Des pompiers obligés de s’enfuir sous les jets de pierres. Et les cris de colère des assaillants, devenus cris de victoire chaque fois que la police a reculé, sirènes hurlantes, sous la pression des assauts ou pour éviter des affrontements plus directs et encore plus dangereux. La ville de Nanterre a connu une deuxième nuit d’émeutes urbaines après la mort de Nahel, tué mardi 27 juin par un policier lors d’un contrôle routier.


Plus grave encore, comme le craignaient les autorités policières et les élus, les incidents et les violences se sont multipliés dans un nombre important de quartiers en Ile-de-France, en banlieue de Lyon, à Toulouse, dans le Nord, rappelant le spectre des émeutes de l’automne 2005, lesquelles avaient contraint le gouvernement de Dominique de Villepin à décréter l’état d’urgence pour rétablir l’ordre.


A Nanterre, dans la nuit de mercredi à jeudi, des groupes très mobiles, visiblement bien coordonnés, extrêmement déterminés, parfois accompagnés de jeunes sur des deux-roues pour servir de guetteurs, ont multiplié les incendies de voitures, de camionnettes, de camions, de poubelles. C’était justement l’inquiétude des élus : voir la ville s’embraser et elle est à nouveau devenue réalité après une première nuit de cauchemar. Les promesses d’une justice impartiale, l’annonce d’une marche blanche jeudi après-midi, les appels au calme, les déclarations du chef de l’Etat Emmanuel Macron, de la première ministre Elisabeth Borne, du maire de Nanterre Patrick Jarry, n’y ont rien fait, la ville a connu une nuit terrible.
En début de soirée, alors que beaucoup de familles finissaient de célébrer l’Aïd-el-Kébir, une fête importante pour la communauté musulmane, un élu de quartier tenait un piquet de vigilance devant une école attaquée la nuit précédente : « La colère est très grande, il suffisait d’une étincelle, c’était si fragile. Et ce gamin qui meurt… On espère, par notre présence, réussir à apaiser un peu les choses. Brûler les écoles ce serait le pire », expliquait Eric Solas, 47 ans, présent avec des parents d’élèves de l’école Miriam-Makeba. Sur leurs portables, ils montraient une vidéo de la veille où l’on apercevait une quinzaine d’hommes jeunes et cagoulés tenter d’entrer dans l’établissement scolaire en brisant la porte. « Ils n’ont pas réussi mais ils sont allés brûler la maison des jeunes juste à côté », se désolait Jean-Yves Sioubalack, délégué des parents en répétant : « C’est tellement triste, c’est tellement triste. »

 

Des parents d'élèves se relayent pour protéger l’école Miriam-Makeba, dans le quartier Pablo-Picasso, à Nanterre, le 28 juin 2023. MICHAËL ZUMSTEIN/VU’ POUR « LE MONDE »

Une dizaine de parents protègent une école


Sur les groupes WhatsApp des parents, qui servent normalement à organiser les kermesses, le militant associatif a tenté de mobiliser un maximum de monde pour sauver les bâtiments publics, à défaut de pouvoir protéger les voitures : « On a besoin de bras », a-t-il répété à des connaissances qui rentraient du travail. Une dizaine de parents sont venus courageusement pour protéger l’école. Un policier, casqué et cordial, s’est arrêté, leur a bien dit de ne pas prendre de risques. Les hommes ont acquiescé. « Les jeunes qu’on connaît, ça va. Le problème c’est ceux qui viennent d’ailleurs », s’est alarmé un des parents.


De l’espoir, un médiateur de 47 ans qui ne veut pas donner son nom n’en avait pas beaucoup. Le bruit avait circulé toute la journée que la nuit serait terrible, et elle l’a été. « On sait que ça va être extrêmement difficile, cela va être très dur. » Du courage oui, l’employé municipal n’en manquait pas. L’homme, solide comme un roc, a été appelé par des habitants pour intervenir boulevard du général Leclerc après que des émeutiers ont érigé une barricade de poubelles qu’ils ont enflammée. Le médiateur, avec ses collègues, a donc fait ce qu’il pouvait. Ce qui est à la fois beaucoup et très peu quand la colère, presque de la rage, s’empare d’une partie de la jeunesse d’une ville aussi grande que Nanterre, préfecture des Hauts-de-Seine. Face aux flammes, on l’a vu s’approcher au plus près. « Notre mission, c’est de faire tampon, éviter les affrontements directs avec la police. »
Les policiers ont suivi, tiré des grenades lacrymogènes sur le parking pour disperser les émeutiers. « Ils arrivent », ont crié des jeunes avant de fuir. A cet instant, ceux-ci ne cherchaient sans doute pas l’affrontement direct. Pas encore. Devant eux, devant les policiers et les pompiers, des habitants, dont certains avec de jeunes enfants, voire des poussettes, ont regardé la scène impassibles – téléphones portables en main pour filmer les événements.
Dans le quartier Pablo-Picasso, où les traces des incidents de la nuit précédente sont nombreuses, les CRS avaient pris position à l’entrée de la cité, sur un rond-point, pour pouvoir intervenir rapidement et en nombre. De loin, on apercevait des hommes cagoulés. Sur les murs des commerces, le long de l’avenue principale, des messages de colère avaient été tagués la veille ou dans la journée : « Justice pour Nahel » et « On va te venger ».

Stocks considérables de feux d’artifice


La vengeance est effectivement montée d’un cran après 23 heures, mercredi. Les émeutiers avaient constitué des stocks considérables de feux d’artifice – des caisses de « crackling crisantheum », selon les nombreux restes trouvés sur place, une marque de mortiers fabriqués en Europe de l’Est, puissants et pas très chers. Avec un mode opératoire maîtrisé : d’abord une barricade avec des poubelles et des barrières, puis des voitures, incendiées au milieu de la route. Et enfin, parce que les policiers sont arrivés face aux jeunes, des tirs de feux d’artifice – en l’air mais aussi en tirs directs contre les fonctionnaires dans un bruit assourdissant. Des centaines de tirs ont ainsi eu lieu pendant la soirée.


Le mode opératoire des policiers est tout aussi réglé. Par petits groupes, ils reprennent alors le terrain, flash-balls et lanceurs de grenades lacrymogènes en mains. Avec le risque, dans le noir, de voir surgir des jeunes qui connaissent les lieux par cœur. « Vous êtes vigilants, les gars ! », a crié un gradé à ses hommes et aux quelques femmes fonctionnaires pas très loin de la place de la Boule. Avant de leur ordonner de se placer derrière les arbres : « On est en milieu urbain. Ici vous avez un visuel et une protection. »
Des habitants n’ont cessé de filmer depuis leurs fenêtres et dans la rue – une partie des images, spectaculaires, brutales, se retrouveront probablement sur les réseaux sociaux, pour la fierté des émeutiers, et la colère ou l’inquiétude de beaucoup d’autres face à ce déferlement de violences. Certains habitants sont allés garer leur voiture plus loin. Mais partir, non. C’était la fête de l’Aïd-el-Kébir. Et c’est leur quartier, disent-ils.
Dans le bruit des sirènes, on croise des hommes et des femmes qui promènent leur chien. Au milieu de la soirée, une vieille dame avec une canne traverse difficilement l’avenue entre les policiers et les voitures qui brûlent. Elle est malvoyante et ne peut avancer qu’en appuyant sa main sur le mur pour se guider le long de la rue. Une policière veut l’aider, mais non, elle ne veut pas. Elle disparaît dans le noir de la cité, là où de toute façon la fonctionnaire n’aurait jamais pu la suivre. A quelques mètres, une autre femme fait une crise d’angoisse et ses proches ont toutes les peines du monde à la calmer. Le réveil sera terrible pour Nanterre, et bien au-delà en réalité.

Pompiers caillassés


C’est que les explosions de toute nature n’ont pas cessé. Dans le quartier Pablo-Picasso, une cité relativement épargnée lors des émeutes de 2005 – parce que les dealers du quartier n’avaient alors pas voulu d’incidents nocifs pour leur business – les affrontements sont encore montés d’un cran. Face aux vagues d’émeutiers qui fonçaient vers eux, on a vu les camionnettes remplies de policiers casqués s’enfuir, à toute vitesse. Derrière eux, des jeunes cagoulés, armés de pierres et d’objets impossibles à reconnaître parce qu’il fallait courir aussi pour fuir. Les cris de victoire ont résonné plus fort dans les rangs des jeunes chaque fois que la police a reculé ou a cédé un point qu’elle tenait depuis le début de la soirée.
A 2 heures du matin, certaines parties du quartier n’étaient plus sous le contrôle de la police depuis longtemps. « N’y allez pas, surtout n’y allez pas », prévenaient les habitants. Des pompiers ont bien tenté d’éteindre les nombreux incendies de voitures. Mais ils ont été pris à partie et caillassés à leur tour. Eux aussi, sirènes hurlantes, ont dû reculer pour se protéger.
Quand ils sont revenus aux portes du quartier, plus tard, des jeunes leur ont demandé d’intervenir en urgence parce qu’il y avait un blessé plus loin dans la cité. « On vous ouvre le chemin, on vous garantit la sécurité », a promis un des leaders. Mais les pompiers n’ont pas voulu traverser cette partie du quartier Pablo-Picasso, là où les affrontements avaient été particulièrement violents.
Les voitures et le mobilier urbain ont donc brûlé longuement. Des émeutiers ont continué de détruire systématiquement les feux de signalisation, des voitures et les abribus qui n’avaient pas été dévastés la nuit précédente. Jeudi matin, des dizaines de véhicules brûlées, jonchaient l’avenue Pablo-Picasso. « Jusqu’où cela va aller ? », s’interroge un habitant devant nous. La colère, l’angoisse et le cauchemar de Nanterre, tout à la fois.

Par Luc Bronner
Le Monde du 29 juin 2023

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