L’armée israélienne intensifie ses frappes sur Gaza, plongeant les civils dans la terreur et la faim

Publié le par FSC

SOURCE : Par Jean-Philippe Rémy et Madjid Zerrouky
Le Monde du 06 novembre 2023

Des Gazaouis portent le corps d’un homme tué après un bombardement dans le camp de réfugiés de Maghazi, le 5 novembre à Gaza. MOHAMMED SALEM / REUTERS

L’enclave a été coupée en deux par les militaires israéliens alors que la population du Nord est sommée de fuir au Sud, sans garantie sur sa sécurité. Dix-huit agences de l’ONU demandent « un cessez-le-feu humanitaire immédiat » face au « choc et à l’horreur » suscités par « le nombre de vies perdues et ravagées ».

Les protestations officielles et les manifestations des derniers jours à travers le monde n’y ont rien changé, pas plus que le communiqué commun et rare des dix-huit principales agences de l’ONU appelant à « un cessez-le-feu humanitaire immédiat » face « au choc et à l’horreur » suscités par « le nombre de vies perdues et ravagées » dans la bande de Gaza : durant le week-end, les frappes de l’armée israélienne sur l’enclave ont encore augmenté, alors que s’engage une phase décisive des opérations militaires, qui mène les forces israéliennes au cœur de la zone urbaine dense de la ville de Gaza.


Les frappes, elles, ne visent pas seulement ce secteur, au nord de l’enclave. Samedi à minuit, un bombardement a frappé le camp de Maghazi, situé au sud du wadi Gaza, le cours d’eau désigné par l’armée israélienne comme la frontière entre la zone de combat et les régions où les habitants sont sommés de fuir. Cette frappe a causé la mort de 50 personnes, selon le ministère de la santé de Gaza.


L’armée israélienne dit avoir frappé 2 500 cibles depuis le début des opérations terrestres, lancées un peu plus d’une semaine plus tôt. Pendant plusieurs jours, ses forces ont progressé depuis le nord de l’enclave et depuis l’est, parvenant au cours du week-end à encercler la ville de Gaza. C’est là que, selon les Israéliens, se trouve le plus gros des structures du Hamas, installées en grande partie sous terre. Des bombardements d’une intensité encore inédite dans ce conflit ont eu lieu sur la ville. « Des frappes significatives sont maintenant en cours » dans la bande de Gaza, et « elles se poursuivront cette nuit et dans les jours à venir », a déclaré, dimanche soir, le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari.


Le Hamas a affirmé qu’Israël menait « d’intenses bombardements » autour de plusieurs hôpitaux, dont l’hôpital Al-Shifa, le plus grand du territoire. L’organisation islamiste a appelé sur sa chaîne Telegram le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, à former « une commission d’enquête internationale » pour venir à Gaza dans les hôpitaux afin d’y passer au crible les « narrations fallacieuses des occupants [israéliens] » qui assurent que le Hamas s’en sert comme boucliers pour ses installations.

La population paniquée et affamée


L’agglomération de Gaza est plongée dans le noir. L’accès à Internet et les lignes téléphoniques ont été coupés. « Nous avons malheureusement perdu tout contact avec nos équipes dans Gaza avec cette troisième coupure des communications depuis le début de l’escalade », a déclaré le Croissant-Rouge palestinien. Peu après ce black-out, l’armée israélienne a concentré ses bombardements d’ampleur sur la ville, en ciblant le camp de réfugiés d’Al-Chati, en bord de mer, non loin de l’hôpital Al-Shifa, devenu le refuge de milliers de personnes, à moins de 3 kilomètres des positions israéliennes les plus proches.


Dimanche matin, dans une série de messages diffusés sur Instagram, Bisan Owda, une cinéaste qui documente au quotidien la vie dans l’hôpital, tentait de décrire, sans pouvoir retenir ses larmes, la situation de plus en plus critique des Gazaouis : une population paniquée et désormais affamée, alors que les dernières boulangeries ont fermé après des tirs contre les panneaux solaires qui leur permettaient encore de fonctionner. « Nous avons survécu aux bombardements, au phosphore blanc, mais il n’y a plus de nourriture, il n’y a plus d’eau. Il ne nous reste plus que l’eau salée de la mer », témoignait-elle.


Dimanche, l’aviation israélienne a largué de nouveaux tracts appelant les habitants à quitter la ville de Gaza : « L’Etat d’Israël vous demande de préserver vos vies et de quitter vos maisons immédiatement dans la zone de combat. Vous devez évacuer entre 10 heures et 14 heures par la route Salah Al-Din et vous diriger vers la zone humanitaire dans le sud. » « Nous permettons encore un passage pour les civils du nord de Gaza et de la ville de Gaza vers le Sud », a confirmé Daniel Hagari, qui précise que le territoire est coupé en deux par les troupes israéliennes, alors que 300 000 à 400 000 personnes se trouveraient encore dans la zone nord.

« Destruction des infrastructures »


La route Salah Al-Din partage, sur l’axe nord-sud, l’enclave en son milieu. Une semaine auparavant, elle avait déjà été envisagée comme corridor sûr, mais une vidéo de char israélien y ouvrant sans sommation le feu sur un véhicule civil avait dissuadé les Gazouis de l’emprunter. La route côtière, autre voie potentielle pour fuir le nord, a été le théâtre d’horreurs. De nombreux civils y ont été tués, sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude qui a été à l’origine de leur mort. Le Hamas est accusé d’ouvrir le feu sur les civils pour les empêcher de quitter l’enclave, et l’armée israélienne est accusée de tirer depuis ses bâtiments, en mer, sans discrimination. La presse internationale est toujours interdite d’entrée dans l’enclave par les autorités israéliennes.


Dans le court laps de temps imparti aux civils pour fuir la ville de Gaza, dimanche, des centaines de personnes ont fait mouvement vers le sud, se réfugiant dans et aux alentours de l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa, selon les services médicaux, qui disent avoir reçu « 53 victimes et des dizaines de blessés » après les frappes contre les camps de Maghazi, mais aussi de Al-Bourej, au sud du wadi Gaza.


L’objectif des opérations militaires affiché par l’armée est « la destruction des infrastructures » – notamment souterraines – du Hamas, voies de passage, centres de commandement, casernes et stocks d’armes. Dans ces tunnels, se trouveraient aussi les otages détenus par le Hamas depuis son attaque du 7 octobre. L’armée israélienne affirme accumuler des informations pour les localiser.


Dimanche, Daniel Hagari a présenté des éléments destinés à convaincre que le Hamas avait, de longue date, conçu ses installations souterraines à proximité d’hôpitaux, mais aussi que le groupe qui contrôle Gaza avait stocké d’importantes quantités de carburant et y confisquait toute forme d’approvisionnement. A l’appui de sa démonstration, il a fait entendre des enregistrements de conversations téléphoniques difficilement vérifiables, et diffusé des images satellites destinées à signifier la proximité entre installations du Hamas et établissements hospitaliers. Des clichés montrent des phases des travaux de l’Hôpital indonésien, par exemple, où apparaît l’entrée d’un tunnel. Cette démonstration semble avoir pour but de préparer à l’idée que ces hôpitaux pourraient constituer des cibles dans un avenir proche.


En s’engageant dans une zone dense, la perspective de combats plus meurtriers pour les militaires israéliens se profile. Depuis le 7 octobre, l’armée israélienne a perdu 29 hommes dans l’opération terrestre à Gaza, et 231, au total. Pendant une semaine, l’armée a déployé des forces avec des blindés dans une zone relativement dégagée, mais en entrant dans le tissu urbain, il va lui falloir avancer avec des fantassins, et s’exposer aux embuscades. De son côté, le Hamas a privilégié une stratégie de harcèlement des forces armées au cours des derniers jours, le groupe islamiste bénéficiant de sa position de défense, et de sa mobilité. Les vidéos qu’il a diffusées dimanche montrent des petites unités (souvent en binôme), frappant à coups de lance-roquettes RPG les véhicules blindés israéliens, des chars Merkava aux transports de troupe Namer.

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