CENSURE ... et répression à Sciences Po
Par Soazig Le Nevé
Le Monde du 07 mai 2024
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Des étudiants manifestent devant Sciences Po, à Paris, en soutien aux Palestiniens, le 7 mai 2024. JOHANNA GERON / REUTERS |
Par deux fois, des étudiants ont tenté de bloquer l’accès à l’école parisienne où se tient cette semaine la session finale des examens. Un important rassemblement se tenait mardi soir, place de la République, en soutien à Gaza.
Les interventions policières se succèdent rue Saint-Guillaume, à Paris, sur ordre de la préfecture de police. Après l’évacuation, le 6 mai, de tentes installées sur le trottoir par des militants du comité Palestine Sciences Po, deux autres opérations ont suivi, mardi matin et en début d’après-midi.
Deux étudiants ont été interpellés vers 9 h 30 lors de l’intervention des forces de l’ordre, et placés en garde à vue pour rébellion, participation à une manifestation en dissimulant son visage, participation à un attroupement malgré sommations de se disperser, précise le parquet de Paris. « En fonction des éléments dont il nous sera rendu compte, le parquet analysera la matérialité et la qualification pénale des faits, ainsi que l’orientation à y donner », ajoute-t-il.
A midi, une centaine d’étudiants se sont rassemblés pour dénoncer ces deux arrestations et réaffirmer leur souhait que la direction de l’école mette en place un groupe de travail pour « investiguer » les partenariats académiques et économiques de Sciences Po avec des institutions israéliennes. Se sont joints au cortège deux autres groupes, l’un composé de plusieurs dizaines de salariés et enseignants de Sciences Po, à l’appel du syndicat FO, et l’autre d’une cinquantaine d’étudiants de Sorbonne université, qui avaient bloqué mardi matin leur campus de Clignancourt.
« All eyes on Rafah »
Brandissant une pancarte affirmant que « Les étudiants nous donnent de l’espoir », Flora Chanvril, salariée de l’école et représentante de FO au CSE, rejoint la revendication d’un groupe de travail sur les partenariats. « Pour nous, couper les partenariats n’est pas une bonne idée, mais nous estimons en revanche qu’il est indispensable d’en discuter sur le fond et de fixer de vrais critères, quel que soit le pays, qui ne soient pas basés uniquement sur des considérations écologiques », a-t-elle expliqué.
A quelques mètres des étudiants, le chef de file de la liste Les Républicains aux élections européennes, François-Xavier Bellamy, était présent. « Je suis venu là pour être la voix de tous les étudiants qui ne veulent pas voir Sciences Po réduit à ces blocages permanents. Il faut que les étudiants qui bloquent les examens soient privés d’examens, il faut que les étudiants étrangers qui contribuent à ces troubles soient reconduits dans leur pays », a-t-il lancé. Venu à sa rencontre, Louis Boyard, député La France insoumise, lui a rétorqué : « Vous passez à chaque fois de prétexte en prétexte pour ne jamais parler du fait qu’il y a un génocide à Gaza. »
A 14 h 15, après sommation, boucliers en avant, les gendarmes et policiers ont repoussé Louis Boyard et le cortège d’une cinquantaine d’étudiants encore présents qui brandissaient des panneaux en carton avec les inscriptions « All eyes on Rafah », « 7 mai 1954, Vietnam a vaincu, Palestine vaincra ».
Treize étudiants en grève de la faim
Dans ce contexte fortement perturbé, les examens ont pu se tenir « comme prévu », affirme la direction, hormis sur les campus délocalisés de Sciences Po, à Reims et au Havre, en raison de blocages. Lundi, aucune épreuve n’avait pu avoir lieu à Reims, ce qui a conduit la direction à délocaliser à la faculté des sciences les épreuves prévues mardi. « A 6 h 10, nous étions une cinquantaine à bloquer les lieux pour imposer un rapport de force avec la direction et un quart d’heure plus tard, on s’est retrouvé face à une quarantaine de policiers, relate Louis (il n’a pas souhaité donner son nom), étudiant en deuxième année. Un policier m’a menacé lorsque je lui ai dit qu’il me faisait mal au poignet. Il m’a dit “obéis, sinon je te casse l’autre”. »
Treize étudiants poursuivent une grève de la faim, pour certains depuis cinq jours. « Pour la plupart, ils sont chez eux et en contact avec une équipe d’infirmiers et de médecins », indique la direction de Sciences Po. Une affirmation que contredit Louis : « Les trois étudiants de Reims qui ne se sont pas alimentés depuis plus de cent heures, consultent leur propre médecin, on leur a refusé l’accès au pôle santé du campus », affirme-t-il.
Des blocages étaient également en cours mardi à Strasbourg, à l’université, et sur le site de l’école de journalisme. « Nous tenons à rappeler que le blocage pacifiste que nous menons est un outil de contestation non violent », ont déclaré dans un communiqué les élèves du Cuej, refusant « l’assimilation entre lutte pour un cessez-le-feu et antisémitisme ». En fin de journée, des étudiants ont par ailleurs annoncé occuper un amphithéâtre de l’université de la Sorbonne, à Paris. Leur évacuation par les forces de l’ordre était en cours dans la soirée.
Place de la République à Paris, mardi soir, des centaines d’étudiants se sont à nouveau rassemblés pour crier « Stop au génocide ! ». Dans une tribune diffusée par Mediapart au même moment, 1 000 anciens élèves de Sciences Po ont apporté leur soutien à ceux qui leur ont succédé rue Saint-Guillaume. « Nous condamnons fermement la position ambiguë de Sciences Po à l’égard du génocide en cours, et son refus de dénoncer l’armée israélienne pour ses crimes et son insoumission à la Cour internationale de justice », écrivent-ils avant d’ajouter à l’adresse des étudiants mobilisés : « A l’image des étudiants engagés contre la guerre au Vietnam et contre l’apartheid en Afrique du Sud qui étaient tout aussi réprimés en leur temps, l’histoire vous donnera raison. »