Joe Biden annonce un arrêt des livraisons d’armes offensives à Israël en cas d’intervention militaire massive à Rafah

Publié le par FSC

Par Piotr Smolar
Le Monde du 09 mai 2024

Joe Biden à bord de l’hélicoptère Marine One, le 8 mai 2024. MANDEL NGAN / AFP

Dans un entretien à CNN diffusé mercredi soir, le président américain a reconnu que des civils avaient été tués à Gaza par des bombes fournies par les Etats-Unis. La Maison Blanche a confirmé mardi la suspension d’une livraison d’armes à l’Etat hébreu.

Les Etats-Unis ont franchi un pas inédit, mercredi 8 mai, dans leur relation étroite mais complexe avec Israël. L’administration Biden a confirmé la suspension, la semaine dernière, d’une livraison d’armes à son allié, engagé depuis sept mois dans une guerre meurtrière dans la bande de Gaza. Il s’agissait de 1 800 bombes de 2 000 livres (907 kg) et de 1 700 bombes de 500 livres (226 kg). D’autres livraisons prévues prochainement devraient être réexaminées, en fonction des événements à Rafah.
Il s’agit là d’un avertissement clair, mis en scène par des fuites dans la presse, adressé à Benyamin Nétanyahou. « Je l’ai dit clairement à Bibi et au cabinet de guerre : ils n’auront pas notre soutien s’ils vont dans les centres de population », a averti Joe Biden, dans un entretien à CNN diffusé dans la soirée.
Le président américain a souligné que pour l’heure, les Israéliens avaient pris seulement le poste-frontière de Rafah, causant ainsi « des problèmes » avec l’Egypte, interlocuteur essentiel de Washington dans cette crise. Mais en cas d’opération d’envergure, « nous ne fournirons pas d’armes et d’obus d’artillerie », a dit Joe Biden. Il s’agit d’un tournant, mais pas d’une rupture stratégique, dans le soutien total de l’administration américaine à Israël depuis le 7 octobre 2023.
Début mars, le Washington Post avait révélé que près de cent livraisons d’armes avaient déjà été organisées en six mois, soit un véritable pont aérien. Le 24 avril, Joe Biden a signé une loi votée au Congrès qui accordait 15 milliards de dollars (14 milliards d’euros) d’aide supplémentaire à Israël et aux Palestiniens. Sur cette somme, 5 milliards étaient destinés aux trois systèmes de défense antimissiles de l’Etat hébreu.

Exaspération, appréhension, interrogation


Il n’est pas question de remettre ce paquet en question. Il est vu comme crucial, à l’aune de la récente attaque de l’Iran contre Israël, par drones et missiles. En revanche, les Etats-Unis mettent en question la livraison de bombes massives utilisées de façon indiscriminée par Israël. Très tardivement, sept mois après le début du conflit, l’administration utilise enfin ce levier de pression, alors qu’on ne connaît pas l’état des stocks israéliens.
Cette décision traduit à la fois une exaspération causée à Washington par le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, une appréhension quant aux conséquences d’une opération massive à Rafah et enfin une interrogation juridique sur la responsabilité américaine. « Des civils ont été tués à Gaza à cause de ces bombes [américaines] et d’autres moyens utilisés pour attaquer des zones peuplées », a reconnu Joe Biden sur CNN.
Ce même jour, le département d’Etat a annoncé qu’il reportait la remise d’un rapport très attendu au Congrès. Il doit établir si, oui ou non, Israël a violé le droit humanitaire international à Gaza. Dans ce cas, les livraisons d’armes offensives pourraient être interrompues. Selon le porte-parole du département d’Etat, le rapport devrait être finalisé « dans les prochains jours ». Dans les arcanes du ministère, un débat intense se développe depuis des mois sur cette notion de responsabilité par association dans des crimes de guerre.
Le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, a confirmé mercredi le gel récent de la livraison d’armes, devant une commission sénatoriale. Selon lui, les Etats-Unis auraient été clairs « depuis le départ qu’Israël ne devait pas lancer une attaque majeure dans Rafah » sans que les civils qui sont réfugiés dans le sud du territoire ne soient protégés, ou évacués.

Logique de l’étreinte critique


« Depuis le départ » est une formule exagérée : Washington a refusé pendant des semaines d’exprimer publiquement son hostilité à une telle opération, prétendant attendre des consultations plus précises sur les intentions israéliennes. Puis la Maison Blanche a plaidé pour des raids ciblés contre le Hamas. Or il semble que la prise du poste-frontière de Rafah, mardi, à un moment capital des négociations en vue d’un cessez-le-feu temporaire, ait pris l’administration par surprise.
Cette séquence s’inscrit dans la logique de l’étreinte critique choisie par Joe Biden vis-à-vis d’Israël, depuis l’attaque du 7-Octobre par le Hamas. D’une part, il affiche un soutien total, décliné en actes, à la sécurité de l’Etat hébreu. De l’autre, il essaie d’infléchir les intentions bellicistes les plus extrêmes du cabinet de guerre, d’encourager à une réflexion plus politique sur le futur de Gaza.
Dans un discours prononcé mardi au Capitole, à l’occasion de la journée annuelle du souvenir de l’Holocauste, Joe Biden a estimé que le Hamas avait « ramené à la vie » la haine antisémite, et regretté que « les gens oublient déjà » les événements du 7-Octobre. Le président américain est convaincu qu’il s’agit là d’une question de clarté morale.


 

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« A huis clos ».


Pour le porte-parole de l’armée israélienne, l’aide des Etats-Unis est « sans précédent »
Dans une interview accordée au site d’information Ynet, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a affirmé que « l’aide des Etats-Unis était sans précédent ».
Faisant référence à la suspension de la livraison de bombes par Washington, selon le média, M. Hagari a expliqué que « lorsqu’il y a des différends, ils sont réglés à huis clos ».

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