Pour l’ambassadeur de la Palestine en Espagne : « L’Europe pourrait jouer un rôle décisif en faveur de la paix »
L'Humanité du 25 mai 2024
Tout en reconnaissant la position courageuse du gouvernement de Pedro Sanchez au sein des instances européennes, l’ambassadeur de la Palestine en Espagne, Husni Abdel Wahed, regrette que les 27 soient limités dans leur action, notamment à cause d’une trop grande « dépendance à l’égard de la politique américaine ».
Quel est le poids des positions de l’Espagne au sein de l’Union européenne dans la défense de la Palestine ?
Husni Abdel Wahed
L’Europe est un acteur très important, mais qui a longtemps été semi-paralysé sur la question palestinienne. Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par le complexe de culpabilité de l’Europe à l’égard de son histoire avec le peuple juif. Ce complexe s’est transformé en une position pro-israélienne aveugle, au point de devenir un dogme.
Nous sommes alors confrontés à une situation paradoxale : ce continent qui a historiquement éclairé le monde souffre d’aveuglement sur cette question, et le résultat est que ses principes et ses valeurs lui sont exclusivement destinés ; les Palestiniens en sont exclus. Heureusement, certains dirigeants se distinguent en ne tombant pas dans le piège et en essayant de défendre les principes européens.
Le gouvernement espagnol en est-il un exemple ?
Husni Abdel Wahed
Je voudrais souligner le rôle de l’Espagne et de son gouvernement, qui font partie de ceux qui ne se sont pas laissés entraîner vers des positions anti-palestiniennes. Ils ont su garder raison, clarté et sagesse en ce qui concerne la situation en Palestine depuis le 7 octobre de l’année dernière jusqu’à aujourd’hui.
D’une certaine manière, cela honore l’Europe où il y a malheureusement peu de pays qui maintiennent une position cohérente avec les principes et valeurs de ce continent. Outre l’Espagne, nous pouvons citer l’Irlande, la Slovénie, Malte, la Belgique… aussi la Norvège, qui ne fait pas partie de l’Union européenne, ainsi que d’autres pays qui s’expriment plus timidement.
Comment interpréter ce panorama ?
Husni Abdel Wahed
Une fois de plus, l’Europe, avec les États-Unis, montre son double discours. Alors qu’ils ne ménagent pas leurs efforts sur la question de l’Ukraine, ils font l’inverse dans le cas du peuple palestinien. Rien ne justifie cela et ne nous demandez pas d’être compréhensifs, car il n’y a rien à comprendre.
Dans ce contexte, quelle est l’importance pour la Palestine que les pays européens franchissent le pas de la reconnaissance de l’État palestinien ?
Husni Abdel Wahed
Ne soyons pas dupes : la reconnaissance n’est pas un objectif en soi. Le plus important est que la reconnaissance se traduise par des actions concrètes. La reconnaissance de notre État n’est qu’une étape vers la réalisation d’un concept qui séduit beaucoup en Occident : la solution à deux États. Il s’agit d’un concept trompeur, car parler de deux États revient à parler de deux parties égales, ce qui n’est pas le cas sur le terrain.
La reconnaissance de l’État doit avant tout se matérialiser sur le terrain, ce qui implique nécessairement la fin de l’occupation israélienne du territoire qu’elle occupe depuis 1967. Cependant, il ne fait aucun doute que traiter la Palestine sur un pied d’égalité est une condition préalable pour progresser vers une solution.
Mais la reconnaissance de la qualité d’État peut être un levier pour faire avancer les négociations…
Certains acteurs affirment qu’une solution doit être le fruit d’un processus de négociations. Mais d’autres demandent : négocier quoi si nous avons absolument tout négocié depuis la conférence de Madrid de 1991 ? Et Israël a utilisé les négociations pour imposer un fait accompli, entendez pour consacrer l’occupation sur le terrain, et la perpétuer. Négocier quoi si Israël annonce à l’avance qu’il ne permettra pas un État palestinien indépendant, s’il annonce qu’il ne se retirera pas des terres occupées ? Alors, qu’allons-nous négocier avec eux ? Ils n’ont pas besoin de négocier pour perpétuer l’occupation…
Vous mentionnez la conférence de Madrid de 1991… L’Espagne a historiquement joué un rôle important dans le processus de paix au Moyen-Orient. Récemment, alors qu’Israël a porté de fortes accusations contre l’UNRWA et poussé plusieurs pays occidentaux à suspendre leur financement envers cette agence de l’ONU, l’Espagne s’y est refusée et a, au contraire, annoncé un supplément d’aide de plusieurs millions d’euros. Est-ce là une position courageuse ?
Husni Abdel Wahed
Oui, c’est peut-être un bon mot pour décrire la position espagnole, courageuse, mais je dirais aussi sage et cohérente, contrairement à plusieurs de nos amis occidentaux qui ont interrompu l’aide simplement à cause de l’accusation d’Israël – sans preuve – que 12 fonctionnaires individuels de l’UNRWA avaient participé à l’opération du 7 octobre. Par la suite, une commission indépendante (présidée par l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna) a démontré de manière concluante que l’accusation d’Israël était infondée.
Cet épisode démontre une fois de plus que, pour certains pays, tout ce qui vient d’Israël est sacré, incontestable, alors même qu’il s’agissait de l’UNRWA.
Parler de cette agence, c’est toucher à la question des réfugiés palestiniens, c’est-à-dire entrer dans la question du nettoyage ethnique et de l’extermination du peuple palestinien, qui est l’objectif d’Israël dans ce génocide. Que penser alors de certains pays qui, d’une part, fournissent des armes à Israël, d’autre part, interrompent l’aide humanitaire au peuple palestinien ? Cela va au-delà de la simple complicité et on peut les considérer comme des acteurs du génocide qui est en train de se dérouler.
Heureusement, comme je l’ai dit, l’Espagne, avec d’autres pays, a adopté une position courageuse, sage et cohérente, faisant preuve d’une grande capacité à maintenir sa propre ligne. Cela en dit long sur son gouvernement et ses principes.
De leur côté, les citoyens espagnols se sont également mobilisés en faveur de la Palestine…
Husni Abdel Wahed
Oui, en effet, le peuple espagnol a fait preuve d’une solidarité inconditionnelle. C’est un peuple qui a maintenu une position très claire de solidarité, d’amitié et de fraternité avec la Palestine, et c’est quelque chose que nous apprécions beaucoup.
Certains peuvent penser qu’il ne sert à rien de se mobiliser et d’exprimer publiquement son soutien, mais ils se trompent : c’est très utile, surtout pour un peuple qui subit l’extermination. Savoir qu’il y a d’autres personnes qui ressentent sa douleur, qui sont conscientes de ce qui se passe, aide et peut donner de la force à un peuple qui subit l’oppression.
Quel poids peut être celui de l’UE en faveur de la paix ?
L’UE pourrait jouer un rôle décisif. Malheureusement, certains acteurs européens ralentissent, voire bloquent cette capacité d’action. Il est regrettable que l’UE se soit liée doublement les mains, ce qui l’empêche d’agir de manière décisive. Ce premier lien est le dogme pro-israélien que j’ai mentionné précédemment et le second est la dépendance à l’égard de la politique américaine. Ces deux éléments empêchent l’Europe d’assumer le rôle de leader qu’elle pourrait jouer.
Cependant, nous pensons que l’Europe pourrait en être capable. Je voudrais envoyer un message aux gouvernements qui s’opposent à la reconnaissance de la situation palestinienne. Qu’ils réfléchissent : s’ils ne le font pas par principe, qu’ils le fassent au moins par intérêt. Qu’ils le veuillent ou non, nous sommes voisins, nous sommes tout proches, de part et d’autre de la Méditerranée. Ce qui se passe dans notre région a automatiquement des répercussions en Europe.
Sur cette base, qu’ils agissent non pas pour le peuple palestinien, mais pour eux-mêmes, les Européens, et sur la base de leurs propres valeurs universelles qu’ils aiment évoquer dans leurs discours.
Qu’ils ne tombent pas dans la posture raciste et anti-palestinienne qui prévaut chez de nombreux dirigeants occidentaux. Je pense que les peuples européens en sont conscients et qu’ils continueront à soutenir notre cause.