Dans le centre de Gaza, un abri de déplacés anéanti par une frappe israélienne
Par Jean-Philippe Rémy
Le Monde du 07 juin 2024
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Une école de l’ONU touchée lors d’un bombardement israélien à Nousseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 6 juin 2024. BASHAR TALEB / AFP |
Neuf enfants figurent parmi les 37 victimes du bombardement qui a touché une école onusienne dans le camp de Nousseirat. L’Etat hébreu assume son attaque en arguant que l’établissement cachait « une base du Hamas ».
A Nousseirat, au milieu de la bande de Gaza, l’enfer s’est déchaîné au cœur de la nuit. Un peu avant 2 heures du matin, jeudi 6 juin, une frappe a touché une école de l’UNRWA, l’agence de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens, au sud de la ville de Gaza, un vaste ensemble de bâtiments dans lequel plusieurs milliers de personnes chassées par la guerre d’autres parties de l’enclave palestinienne avaient trouvé refuge, installées tant bien que mal dans des locaux désaffectés. La direction de l’hôpital Al-Aqsa de Deir Al-Balah, situé à proximité de Nousseirat, qui a vu affluer les victimes du bombardement, faisait état, jeudi soir, d’au moins 37 morts, dont trois femmes et neuf enfants.
Depuis plusieurs jours, les opérations militaires israéliennes gagnaient en intensité dans cette région centrale de Gaza, notamment entre Al-Boureij et Nousseirat, deux camps de réfugiés séparés de quelques kilomètres. L’essentiel des personnes qui se trouvent dans ce secteur sont des déplacés d’autres parties de Gaza visées par des opérations de l’armée israélienne, à la poursuite d’éléments du Hamas.
Karin Huster, conseillère médicale de Médecins sans frontières (MSF) à Gaza présente dans l’hôpital Al-Aqsa, évoquait déjà, mercredi, sur le réseau X une « escalade insensée des hostilités » et qualifiait la situation d’« apocalyptique ». L’établissement est un « navire en train de couler », affirmait-elle. Entre mardi et mercredi, avant même le bombardement de l’école de Nousseirat, 70 morts et 300 blessés avaient été amenés à l’hôpital.
Sur X, le chef de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a précisé que la frappe de jeudi n’a été précédée d’aucun « avertissement préalable, ni aux personnes déplacées ni à l’UNRWA ». Il a rappelé que l’ONU « partage les coordonnées de toutes [ses] infrastructures avec l’armée israélienne et les autres parties au conflit ». « Attaquer, cibler ou utiliser des bâtiments de l’ONU à des fins militaires témoigne d’un mépris flagrant du droit humanitaire international », s’est indigné M. Lazzarini, ajoutant que « plus de 180 structures de l’UNRWA ont été touchées » depuis le début de la guerre à Gaza.
« Panique la plus totale »
L’armée israélienne a revendiqué l’attaque aérienne au motif que l’école de Nousseirat abritait « une base du Hamas » et a affirmé que « plusieurs terroristes » ont péri dans l’explosion. Un porte-parole de l’armée, le colonel Peter Lerner, a déclaré lors d’un briefing à la presse que de vingt à trente membres du Hamas et du Jihad islamique étaient regroupés dans trois salles de classe au moment de la frappe. Le colonel Lerner n’a cependant pas fourni d’éléments à l’appui de ces accusations.
« L’école abritait 6 000 déplacés quand elle a été touchée. Les allégations selon lesquelles des groupes armés auraient pu se trouver à l’intérieur de cet abri sont choquantes », a affirmé Philippe Lazzarini, tout en précisant lui-même ne pas être en mesure de vérifier ces dires. Le contre-amiral Daniel Hagari, un autre porte-parole de l’armée israélienne, a assuré que neuf « terroristes », dont certains ont participé à l’attaque du 7 octobre 2023, ont péri dans le bombardement. Il s’est engagé à rendre bientôt public leurs noms. Le Hamas, pour sa part, a condamné une « guerre continue d’extermination et de nettoyage ethnique » contre le peuple palestinien.
La population gazaouie, ballottée d’un secteur à l’autre de la bande de Gaza au gré des attaques de l’armée israélienne, ne sait plus où s’enfuir. « Il n’y a plus la moindre voie de sortie, nous sommes dans la panique la plus totale, raconte Ahmed, le nom d’emprunt d’un journaliste joint par Le Monde à Nousseirat. On vit dans la peur d’être touchés par une frappe visant un bâtiment si on ne bouge pas, ou d’être tués sur la route si on s’en va. On est venus ici en tuk-tuk, j’ai payé 40 dollars [37 euros] pour faire 3 kilomètres, mais là, on a le sentiment qu’on n’a plus nulle part où aller. »
Ces derniers mois, Ahmed vivait à Rafah, dans l’extrémité sud de la bande de Gaza, en lisière du Sinaï égyptien. Il y était arrivé avec les siens au terme d’une longue errance, dans l’espoir d’échapper aux bombardements alors concentrés sur des localités plus au nord, comme la ville de Gaza et Khan Younès. Mais début mai, l’entrée des chars israéliens dans Rafah l’a forcé à fuir une nouvelle fois. Il s’est replié alors sur Al-Boureij, un endroit à peu près calme jusqu’à mardi, lorsque l’armée israélienne y a entrepris de nouvelles opérations. Il a donc fallu s’en aller encore une fois, en toute hâte, et c’est ainsi qu’Ahmed a échoué à Nousseirat, où la guerre n’a pas tardé à le rattraper.
« On va tous y passer »
Il se dit aujourd’hui « horrifié » par la violence des frappes, ne sachant plus distinguer les tirs des chars, de ceux des avions ou des drones. « Il n’y a plus de nourriture, il n’y a même plus d’eau, se désole-t-il. Franchement, il faut que cette guerre prenne fin ou sinon, on va tous y passer. Ce n’est pas une situation pour des êtres humains. » Selon le ministère de la santé, affilié au Hamas, « le nombre de malades et de blessés qui a besoin de quitter la bande de Gaza pour des soins atteint à présent 25 000 personnes ».
La frappe sur l’école de Nousseirat survient au milieu des efforts américains pour pousser Israël et le Hamas à accepter un plan de cessation des hostilités, accompagné d’échanges d’otages et de prisonniers. « Le gouvernement israélien a indiqué qu’il allait publier davantage d’informations sur cette frappe, y compris les noms des personnes qui y ont trouvé la mort. Nous attendons d’eux qu’ils soient pleinement transparents en rendant ces informations publiques », a déclaré à la presse le porte-parole du département d’Etat, Matthew Miller.
Joe Biden et seize autres dirigeants, principalement d’Europe et d’Amérique latine, ont exhorté, jeudi, le Hamas à accepter l’accord de cessez-le-feu avec Israël actuellement sur la table des négociations. « Il est temps que cette guerre se termine et cet accord est un point de départ nécessaire », a déclaré la Maison Blanche dans un communiqué conjoint avec la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Canada et des pays sud-américains comme l’Argentine. « En ce moment décisif, nous appelons les dirigeants d’Israël et du Hamas à faire les derniers compromis nécessaires pour conclure cet accord et soulager les familles de nos otages, ainsi que ceux qui se trouvent des deux côtés de ce terrible conflit, y compris les populations civiles », affirme le texte.