Israël face au retour des Palestiniens dans le nord de la bande de Gaza

Publié le par FSC

Par Samuel Forey
Le Monde du 29 janvier 2025

 

 

Plus de 300 000 Gazaouis sont déjà rentrés dans cette partie de l’enclave, ravagée par les combats. Cette arrivée massive rendra la reprise des combats plus difficile pour Israël, mais la guerre peut continuer sous d’autres formes et sur d’autres terrains.
En ouvrant le nord de Gaza au retour des Palestiniens, lundi 27 janvier, selon les termes de l’accord de cessez-le-feu conclu entre Israël et le Hamas, l’Etat hébreu a renoncé à l’une de ses principales opérations dans la guerre de quinze mois menée contre le mouvement palestinien.

L’armée israélienne avait imposé l’évacuation de cette zone, la plus peuplée du territoire avec 1,3 million d’habitants, au début de la guerre qui s’est ouverte par le massacre du 7-Octobre. L’immense majorité de la population avait fui au Sud, pour s’entasser dans une zone dite humanitaire, pendant quinze mois. Le nord de l’enclave, en partie vidé de ses habitants et largement détruit par les frappes israéliennes, paraissait l’être pour longtemps, voire devenir un nouvel espace pour des installations militaires ou, selon les projets de certains groupes de colons, d’implantations juives.


En quarante-huit heures, quelque 376 000 personnes ont pu rejoindre le Nord, selon le Bureau des affaires humanitaires des Nations unies, assurant la coordination humanitaire, en franchissant le corridor de Netzarim, un no man’s land que l’armée israélienne avait aménagé pour couper l’enclave en deux. Une conséquence de l’une des clauses – avec la libération de 33 otages détenus par le Hamas – de la première phase de l’accord entré en vigueur le 19 janvier, à laquelle peu de commentateurs croyaient, selon Mairav Zonszein, analyste pour le groupe de réflexion International Crisis Group sur Israël-Palestine :

« Dépeupler cette partie de l’enclave était la première vraie action de l’armée israélienne dans cette guerre. Maintenant que les Palestiniens rentrent et que la trêve tient, la dynamique change, avec un puissant soutien [en Israël] pour le retour des otages, d’autant plus que plus personne ne croit aux promesses de “victoire totale” [sur le Hamas] faites par Benyamin Nétanyahou. Cela va devenir plus compliqué pour Israël de reprendre le combat. »


Dans un sondage publié par le quotidien Israel Hayom le 24 janvier, plus de 77 % des personnes interrogées se prononcent pour que l’accord soit exécuté dans sa totalité. Les Israéliens retiennent plus les images de leurs otages libérés que celles des combattants du Hamas paradant dans l’enclave. Malgré la déclaration de l’ex-ministre de la sécurité nationale, le suprémaciste d’extrême droite Itamar Ben-Gvir, qualifiant ce retour des Palestiniens de « reddition totale », le mouvement islamiste palestinien a été amplement diminué.

Ambivalence de Trump


Si le public israélien semble las de la guerre la plus longue de l’histoire de l’État hébreu, Ksenia Svetlova, ancienne députée à la Knesset et membre du groupe de réflexion américain Atlantic Council, se montre prudente : « Il y a une réelle fatigue dans l’armée israélienne. Les soldats qui rentrent chez eux recommencent leur vie. La reprise de la guerre à une haute intensité semble impossible. Mais cela ne veut pas dire qu’Israël ira au bout de l’accord, ou passera à la phase 2. »


La phase 2 de l’accord, qui doit voir un nouvel échange d’otages et de prisonniers et la poursuite du retrait des forces israéliennes de Gaza, devrait commencer le 6 mars, à la suite d’un cycle de négociations qui débute le 4 février. Ce jour-là, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, sera reçu par Donald Trump ; il sera ainsi le premier dirigeant étranger à être accueilli à la Maison Blanche par le président américain depuis sa prise de fonctions.


Donald Trump s’est jusqu’à présent montré ambivalent sur la réussite, ou non, de l’accord. Il a d’abord affirmé : « Ce n’est pas notre guerre, c’est leur guerre. Je ne suis pas confiant. » Il a ensuite rappelé qu’il voulait que les otages soient de retour, tout en suggérant l’expulsion de 1,5 million de Palestiniens hors de l’enclave, vers l’Egypte ou la Jordanie, pour « faire le ménage », proposition immédiatement critiquée dans le monde arabe et en Europe. Sa priorité pour la région demeure une normalisation des rapports entre Israël et l’Arabie saoudite. Mardi, le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, a affirmé, lors de conversations téléphoniques avec son homologue égyptien et le premier ministre qatari, que les plans de l’après-guerre à Gaza devaient exclure toute présence du Hamas dans la gouvernance de l’enclave.

Sous la menace de l’extrême droite


Benyamin Nétanyahou a lui insisté sur le caractère « temporaire » du cessez-le-feu, et assuré : « Si nous devions reprendre le combat, nous le ferons par des moyens nouveaux et avec une grande force. » Le premier ministre reste sous la menace des partenaires d’extrême droite dans sa coalition. Itamar Ben-Gvir l’a déjà quittée, conditionnant son retour au gouvernement à une reprise de la guerre au début de la phase 2 de l’accord. Si les combats ne recommencent pas, Bezalel Smotrich, actuel ministre des finances et autre figure de l’extrême droite, a averti, le 24 janvier : « Je ne quitterai pas le gouvernement, je le démantèlerai. Je ne plaisante pas. »


Mais la guerre peut continuer à Gaza sous une autre forme. L’armée israélienne peut actuellement manœuvrer à sa guise dans l’enclave sans avoir à en assurer une occupation permanente et coûteuse en ressources. Le conflit peut aussi être porté sur d’autres terrains. L’étau se resserre sur la Cisjordanie, où l’armée israélienne multiplie les opérations dans plusieurs villes et quadrille le territoire par de nombreux checkpoints.


Si Benyamin Nétanyahou se résout à poursuivre la trêve, il pourra compter sur le soutien de partenaires extérieurs à sa coalition, comme celui du parti du centriste Yaïr Lapid. Au-delà du nord de Gaza, il reste au premier ministre d’autres leviers de négociation : le retrait du corridor de Philadelphie, à la frontière avec l’Egypte, également prévu lors de la première phase, ou encore les conditions de la reconstruction de Gaza. Benyamin Nétanyahou avance entre guerre et paix, en tentant de rester le maître du jeu.
 

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