A Gaza, une nouvelle catastrophe humanitaire pour des habitants exténués par la guerre
Par Laure Stephan
Le Monde du 27 mars 2025
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Des Palestiniens attendent la distribution de nourriture à Beit Lahya, dans le nord de la bande de Gaza, le 16 mars 2025. ABDEL KAREEM HANA / AP |
Des humanitaires s’alarment du blocus en cours et dénoncent l’entrave à leur travail due à l’absence de garanties de sécurité par Israël, alors que les besoins sont immenses.
Plus de 142 000 Gazaouis ont été déplacés en une semaine, selon les Nations unies, depuis que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou a rompu le cessez-le-feu dans l’enclave palestinienne, le 18 mars. Une fuite forcée, dans la confusion et le dénuement, au gré des ordres d’évacuation émis par l’armée israélienne, à laquelle est soumise une population exténuée par seize mois d’une guerre brutale, d’octobre 2023 jusqu’à l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 19 janvier.
Les Palestiniens « ne savent pas où aller. Il n’y a pas de lieu sécurisé à Gaza, ni même de semblant de lieu sécurisé », avertit, depuis ce territoire, Gavin Kelleher, de l’ONG Norwegian Refugee Council, lors d’une conférence de presse commune organisée à distance avec d’autres organisations humanitaires, mercredi 26 mars.
Les autorités israéliennes interdisent toujours l’accès de l’enclave à la presse étrangère. Des familles ont déjà été déplacées à deux reprises en l’espace d’une semaine, relève-t-il. Les tentes manquent cruellement. Des familles se tassent dans des couloirs d’écoles transformées en abris et déjà bondées. D’autres se réfugient près de ce qui reste d’immeubles effondrés, essayant à tout prix de « mettre quelque chose entre eux et le ciel, la nuit ».
La reprise des hostilités suscite l’effarement des civils à Gaza, qui voient leur calvaire renouvelé, notent plusieurs humanitaires. Elle effrite ce qu’il restait d’espoir. Le retour des frappes aériennes a été précédé par un blocus, depuis le 2 mars, de l’aide humanitaire : Israël a fermé les points de passage, escomptant faire plier le Hamas, qui détient toujours des otages.
Au blocage de l’entrée de nourriture, de médicaments et de carburant, s’ajoutent d’autres défis : la difficulté de fournir de l’eau propre, en raison de la destruction des infrastructures, et le maintien en fonction de la quinzaine de boulangeries encore actives, dont l’alimentation en farine est menacée d’ici à la fin du mois de mars, selon Gavin Kelleher.
« Pas le temps de faire leur deuil »
« Quand nous organisons une distribution de nourriture, une foule immense se presse, car chacun à Gaza dépend de l’aide pour survivre », note Alexandra Saleh, de l’organisation Save the Children. Elle qualifie les ordres d’évacuation de « condamnations à mort » pour les enfants en état de malnutrition : les déplacements empêchent des familles d’accéder à des soins.
Des médecins volontaires continuent d’entrer dans l’enclave pour prêter main-forte dans les hôpitaux, après un processus laborieux pour obtenir le permis des autorités israéliennes. Mais ils interviennent dans des structures démunies en ressources médicales, au sein d’un système de santé démantelé.
Les Gazaouis n’ont pas eu le temps de panser leurs traumatismes. Les deux mois d’accalmie ont été marqués par le choc, pour beaucoup, provoqué par l’ampleur des destructions, sur leur lieu d’habitation. Signe du coût humain des mois d’offensive, les fauteuils roulants font partie des trois requêtes prioritaires de la population, selon une évaluation menée par l’organisation Save the Children dans le sud de l’enclave. Des situations effroyables vécues par les plus jeunes risquent d’entraîner des dégâts psychologiques irréversibles chez les enfants, s’alarme Alexandra Saleh, citant l’exemple d’un garçon qui a vu des cadavres humains dévorés par des chiens.
Les Gazaouis n’ont « pas eu le temps de faire le deuil de leurs proches tués », ou d’apprendre à vivre avec un enfant amputé – un drame d’ampleur dans l’enclave –, souligne le psychiatre Yasser Abou Jamei, directeur du programme de santé mentale de la communauté de Gaza. « Les gens sont terrorisés, dit-il. Il faut un cessez-le-feu permanent. »
La trêve de deux mois avait permis aux humanitaires de déployer davantage de personnel. L’heure est désormais à la réduction des effectifs en raison du danger et de la difficulté à intervenir. « Les incidents graves [exposant les humanitaires] sont en hausse depuis la reprise des hostilités », s’alarme Clémence Lagouardat, d’Oxfam international.
« Les forces israéliennes refusent de nous donner des garanties de sécurité pour se déplacer à Gaza, tout en lançant des attaques directes sur des installations humanitaires dont elles connaissent [la présence] », accuse Gavin Kelleher. Lundi, un bâtiment du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Rafah a été ciblé ; l’armée israélienne a reconnu le tir, tout en affirmant que ses troupes ignoraient que le centre appartenait au CICR, qui identifie pourtant « auprès de toutes les parties » les coordonnées de ses installations.
La décision des Nations unies, annoncée lundi, de réduire leur personnel à Gaza « pour des raisons sécuritaires et opérationnelles » risque également de compliquer la coordination et le travail des ONG sur place.