Eh toujours le deux-poids-deux mesures ... aussi en matière de droit international !
Philippe Jacqué et Hélène Sallon
Le Monde du 08 mars 2025
Les quelques pays du Vieux Contient qui ont salué l’initiative des pays arabes, comme la France, la Belgique ou l’Espagne, en ont néanmoins souligné les limites, notamment en matière de gouvernance.
Il fut un temps où les Européens auraient réagi sans tarder pour saluer le plan de la Ligue arabe, présenté mardi 7 mars au Caire, visant à lancer la reconstruction de la bande de Gaza tout en maintenant l’ensemble des Gazaouis sur place. Un plan destiné à contrer la vision du président américain Donald Trump, qui veut transformer le territoire en nouvelle Riviera, nettoyée de ses habitants. Mais Josep Borrell, l’ancien chef de la diplomatie, toujours en première ligne sur le Proche-Orient, a cédé sa place fin 2024 à Kaja Kallas. L’ex-première ministre estonienne a fait de l’Ukraine et du réarmement du continent l’alpha et l’oméga de sa communication.
Alors qu’Israël a balayé d’un revers de main le plan et que les Américains estiment qu’il ne « répond pas aux attentes » – même si l’émissaire américain pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, juge qu’il s’agit d’« un premier pas de bonne foi » –, l’Europe soutient politiquement la démarche, assure-t-on toutefois à Bruxelles.
La preuve, le président du Conseil européen, Antonio Costa, était présent au Caire pour accompagner l’initiative des Etats arabes. Dès mardi, il la saluait sur X : « L’Union européenne s’est pleinement engagée à contribuer à la paix au Moyen-Orient et est prête à apporter un soutien concret à ce plan. L’ensemble de la communauté internationale devrait travailler à sa mise en œuvre. »
Mais ni Kaja Kallas ni Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, invitée également au Caire, où elle avait demandé à M. Costa de la représenter, n’ont réagi, ni même soutenu le message de ce dernier, relèvent plusieurs observateurs. Plusieurs Etats du Vieux Continent ont néanmoins salué le travail des Etats arabes, à l’image de la Belgique, de l’Espagne ou de la Norvège. Pour cette dernière, ce plan « devrait bénéficier d’un large soutien international ».
« Le Hamas doit être désarmé »
Jeudi, la France a finalement réagi, saluant « une base sérieuse et crédible pour répondre dès aujourd’hui aux besoins de reconstruction, de gouvernance et de sécurité à l’issue de la guerre à Gaza », selon le porte-parole du Quai d’Orsay, Christophe Lemoine. Paris a néanmoins souligné les points qui méritent, à ses yeux, d’être renforcés. « Ce plan doit exclure entièrement le Hamas de la gouvernance de Gaza, où il doit être désarmé, et apporter de solides garanties de sécurité à Israël », a-t-il ajouté.
Ce projet prévoit que la bande de Gaza sera administrée durant une période transitoire par un comité de technocrates palestiniens, avant que l’Autorité palestinienne en reprenne le contrôle. « La France prendra toute sa part si ce plan devait être adopté », a ajouté M. Lemoine, qui a souligné la nécessité de « revitaliser l’Autorité palestinienne ». Il a insisté sur le fait que le Hamas avait « vocation à être désarmé dans une logique de pacification de la bande de Gaza ».
A Bruxelles, la première analyse du document arabe est mitigée, selon une source européenne. Beaucoup de projets immobiliers, rien sur le reste… De fait, l’essentiel du plan d’une centaine de pages est consacré à ce volet, détaillé par le menu, tandis que seules huit pages abordent les questions de gouvernance et de sécurité au sein de l’enclave. Des divergences subsistent sur ces volets, dont la finalisation bute encore sur les réalités du terrain, notamment les points concernant la mise à l’écart du Hamas et sa démilitarisation.
« Le rejet immédiat par Israël du plan de la Ligue arabe, alternative au projet de “Riviera” du président Trump, pourrait expliquer le silence de Bruxelles », interprète Jérôme Bellion-Jourdan, ancien diplomate européen, auteur de notes confidentielles invitant le leadership européen à changer d’approche au Moyen-Orient. « Plutôt que d’utiliser ses leviers pour faire respecter le droit international et pousser à une résolution du conflit, l’UE persiste à vouloir satisfaire le gouvernement Israélien, relève-t-il. Le tapis rouge déroulé à Israël lors de la réunion du Conseil d’association du 24 février et le communiqué du 2 mars venant légitimer la décision d’Israël de stopper l’aide humanitaire à Gaza en sont les dernières illustrations. »
Par ailleurs, plusieurs pays européens n’entendent pas ouvrir un autre front avec l’administration Trump, afin d’éviter son courroux alors que l’Ukraine concentre toutes les attentions. Néanmoins, la France, qui a suivi l’élaboration du plan égyptien, est associée à la démarche arabe sur le volet politique – la relance du processus de paix entre Israël et les Palestiniens –, qui est vu comme une condition du succès du plan.
En juin, Paris et Riyad présideront aux Nations unies une conférence sur la solution des deux Etats, inscrite dans une résolution onusienne. Cette initiative avait été relancée en avril 2024 par l’Arabie saoudite, en partenariat avec l’Union européenne et la Norvège.