« Où sont mes enfants ? Où est ma femme ? » : libéré des prisons israéliennes, Haitham Salem découvre que toute sa famille a été tuée à Gaza

Publié le par FSC

Maha Hussaini
L'Humanité du 15 octobre 2025

 

Alors qu’il retrouve enfin la liberté après onze mois de détention en Israël, Haitham Salem ignore que sa femme et ses trois enfants ont été tués dans un bombardement à Gaza.© Saher Alghorra/The New York Times)

 

Les centaines de détenus palestiniens libérés racontent maintenant les tortures et les humiliations. Haitham Salem pensait retrouver ses filles de 2 et 4 ans, son fils de 5 ans et son épouse. Ils ont été tués dans des bombardements israélien quelques jours avant le début du cessez-le-feu.
Dans une cellule israélienne surpeuplée, Haitham Salem est parvenu à trouver un coin pour s’asseoir. Il a pu recueillir suffisamment de brins de coton sur des vêtements pour tresser un minuscule bracelet destiné à sa fille. Le deuxième anniversaire de Layan approchait.
Arrêté par l’armée israélienne lors d’une invasion terrestre de son quartier dans le nord de la bande de Gaza en novembre 2024, il a été informé par les autorités pénitentiaires israéliennes qu’il serait libéré avec des centaines d’autres dans les jours prochains. Il voulait absolument que ce cadeau soit terminé. Il s’en faisait une joie. Il voyait déjà la petite se jeter à son cou avant de lui offrir ce petit bijou qui aurait valu tous les cadeaux du monde.

Après sa détention, l’espoir d’Haitham s’effondre


La nuit précédant ce 13 octobre – le jour où Israël a finalement dû relâcher 2 000 Palestiniens en échange de 20 Israéliens retenus à Gaza –, Haitham n’a pas pu dormir, l’esprit habité par l’idée de retrouver enfin son épouse et ses trois enfants après onze mois de détention.
À l’aube, il s’est préparé, a glissé le bracelet dans sa poche et a suivi les instructions des gardes israéliens pour monter à bord des bus qui les conduiraient à l’hôpital Nasser de Khan Younès, dans le sud de l’enclave. Il ne sait alors pas où il se trouve.
Alors qu’Haitham s’apprêtait à retrouver sa famille et à fêter le deuxième anniversaire de sa fille, il gardait espoir. Mais il ignorait que le retour à la maison dont il avait tant rêvé serait encore plus terrible que ce qu’il avait vécu jusque-là. Sa compagne et ses trois enfants ont tous été tués lors d’une frappe israélienne contre leur tente moins d’un mois plus tôt. L’Humanité a tenté de s’entretenir avec Haitham, mais il n’a pas pu parler, accablé par la douleur. Son traumatisme psychologique est trop fort.


C’est son ami Alaa, 38 ans, qui lui a annoncé la terrible nouvelle et a tenu à nous raconter le calvaire de Haitham. « Le jour de sa libération, je me suis rendu à l’hôpital Nasser pour l’accueillir, explique-t-il. J’étais parmi les premiers, avec mes frères, le père d’Haitham et son frère, vers 9 heures. Lorsque les bus sont arrivés, j’ai commencé à le chercher et aussi deux de mes cousins, également libérés. Mais je me suis concentré sur Haitham car je ne voulais pas que quelqu’un d’autre le trouve en premier. Je savais qu’il ne pourrait pas supporter la nouvelle de la part de quelqu’un d’autre. J’étais le seul à pouvoir le calmer et l’aider. »

L’émotion et le choc après des mois de détention


Finalement quelqu’un a tapé sur l’épaule d’Alaa en lui indiquant le bus dans lequel se trouvait Haitham. « Je me suis retourné et je l’ai vu derrière la vitre, me faisant signe : ”Où sont mes enfants ? Où est ma femme ?” » rapporte Alaa.
Ce dernier a alors joint ses mains et posé sa joue dessus, comme on le ferait pour quelqu’un qui dort. En Afrique du Nord comme au Moyen-Orient, ce signe signifie que quelqu’un est mort. « Il faut que tu sois fort, comme tu l’as toujours été », lui ai-je fait comprendre.
Alaa s’est alors précipité pour coordonner les secours avec la Croix-Rouge afin de faire descendre Haitham du bus, mais lorsqu’ils sont arrivés, il s’était déjà évanoui.
« Nous lui avons apporté un fauteuil roulant et avons réussi à le récupérer à temps. On lui a administré des sédatifs. Il était dans un état terrible, pleurant, tremblant, incapable de se tenir debout », décrit son ami. Torturé, maltraité, Haitham a beaucoup souffert depuis son arrestation. Durant un an, il ignorait tout de ce qui se passait à Gaza, de sa famille et du monde extérieur.

La confrontation avec les combats à Gaza


Sur les réseaux sociaux, une vidéo largement diffusée illustre la violence du choc pour Haitham qui s’effondre à l’hôpital Nasser après avoir appris la nouvelle, en larmes, le regard perdu et appelant ses enfants. Avant son arrestation, les forces israéliennes ont bombardé l’immeuble résidentiel de plusieurs étages où il vivait.
Une attaque qui a coûté la vie à 37 membres de la famille. Les survivants ont été déplacés de force. Lorsque, à l’occasion d’une trêve, ils ont finalement réussi à rentrer et à effectuer des réparations sommaires, les soldats israéliens ont de nouveau encerclé la zone, les laissant soudainement pris au piège sous les tirs.


« Le jour de l’arrestation d’Haitham, en novembre 2024, nous étions chez nous et le siège s’était fortement renforcé. Des chars approchaient de notre zone et des frappes étaient lancées partout autour de nous. Nous avons donc décidé de partir, raconte Alaa. Des drones israéliens ont largué des tracts nous ordonnant de nous diriger vers la place Cheikh Zayed. À notre arrivée, ils ont séparé les femmes et les enfants des hommes, les laissant poursuivre leur chemin, tandis que les hommes étaient détenus à l’école Al-Kuwait. »


Après des heures d’humiliation, d’inspections et de fouilles, les soldats israéliens les ont obligés à passer devant des caméras et des chars. Sans doute pour mieux faire sentir leur pouvoir. « Les soldats criaient les noms de ceux qu’ils voulaient arrêter. Ils ont appelé Haitham et son frère Mohammed, les emmenant avec plusieurs autres hommes. Ils nous ont laissés partir moi et d’autres. L’arbitraire le plus total sans que nous ne puissions rien dire et surtout pas protester. Ils étaient capables de nous tuer sur place », a-t-il ajouté.
Quelque temps plus tard, l’armée s’est retirée et Alaa a pu rentrer. « Peu après, Mohammed a été libéré. ​​À sa sortie, il nous a dit qu’Haitham était vivant et en bonne santé, mais qu’ils ignoraient tout de ce qui se passait dehors. Mohammed ignorait même que de nombreux membres de sa famille avaient été tués, ni que notre maison avait été complètement détruite. »

Torturé sans motif dans les prisons israéliennes


Selon Alaa, Haitham devait être libéré peu après sa détention sans inculpation. Mais son frère Mohammed a été longuement torturé et a été contraint de faire de faux aveux selon lesquels Haitham avait travaillé comme ingénieur électricien pour le Hamas.
« Haitham était effectivement ingénieur électricien, mais il était employé par la municipalité de Beit Lahia (au nord de la bande de Gaza – NDLR) et n’était affilié à aucun groupe politique. Son frère n’a pas supporté la torture », a précisé Alaa.


Durant deux semaines entières, Haitham a alors été violemment torturé. Ils ont lâché des chiens policiers sur lui, l’ont placé à l’isolement pendant une semaine et lui ont donné très peu à manger, juste une cuillère de confiture de fraises ou un demi-œuf par jour. « Lorsqu’il a demandé des soins pour une blessure à l’épaule, ils lui ont répondu : ”C’est tout ce qu’on a pour les terroristes.” », précise Alaa.
Pendant sa détention, sa femme, Entissar, et leurs enfants vivaient avec son père et ses cousins. Entissar était constamment inquiète à son sujet. Même après que Mohammed lui a dit qu’Haitham allait bien, elle n’a cessé d’être soucieuse car elle n’avait aucune nouvelle de son mari.

Une tente bombardée, une famille décimée


« Elle a enduré la famine et pris soin des enfants, attendant le jour où leur père serait libéré et les verrait en bonne santé », se souvient Alaa. Mais quelques semaines avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, la tente où Entissar et ses enfants s’abritaient, dans le quartier d’al-Nasr à Gaza, a été bombardée.
Ses deux filles, Iman, 4 ans, et Layan, presque 2 ans, ont d’abord été tuées sur le coup. Son fils, Baraa, 5 ans, a été légèrement blessé, mais il est décédé plus tard d’une intoxication causée par des éclats d’obus. Quelques jours plus tard, Entissar a également succombé à ses blessures.
À l’instar d’Haitham, des centaines d’autres prisonniers palestiniens, à Gaza comme en Cisjordanie occupée, ne parviennent pas à savourer cet instant. En novembre 2023, Israël a libéré 240 prisonniers palestiniens en échange de prisonniers israéliens détenus par le Hamas dans l’enclave, dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu temporaire. Quelques semaines plus tard, les forces d’occupation ont de nouveau arrêté 30 d’entre eux.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article