« Écrits sur la Palestine » d’Abraham Serfaty : comprendre les racines idéologiques du conflit israélo-palestinien
Pierre Barbancey
L'Humanité du 15 octobre 2025
| Écrits sur la Palestine. Éditions Syllepse 256 pages. 19 €. |
Communiste, juif, Marocain, enfermé pendant 17 ans dans les geôles d’Hassan II, il avait écrit de nombreux textes sur la Palestine jusqu’à sa mort en 2010 aujourd’hui réédités grâce à son petit-fils, Théo Serfaty.
On ne peut que louer l’initiative de Théo Serfaty d’avoir fait rééditer les Écrits sur la Palestine de son grand-père Abraham Serfaty (1926-2010). Un révolutionnaire marocain. Juif marocain ou, comme il le revendiquait, juif arabe. Non pas qu’il aimait compartimenter les êtres humains dans des cases étiquetées mais la puissance des origines et de la culture, les manipulations historiques faites en leur nom l’a poussé à écrire sur la question palestinienne.
Qu’un homme comme Serfaty qui a passé plus de 17 ans dans les prisons du roi du Maroc, Hassan II, se soit penché sur la libération du peuple palestinien ne doit pas étonner. « Loin des clichés, l’œuvre d’Abraham Serfaty s’attache à montrer le sionisme pour ce qu’il est et véhicule : une idéologie raciste, colonialiste et impérialiste », écrit son petit-fils.
Une réflexion sur le sionisme et la situation des Juifs arabes en Israël
Quarante-trois ans après, alors que le peuple palestinien subit un génocide, la lecture de la pensée d’Abraham Serfaty apparaît comme indispensable. Non seulement sur la réflexion qu’il propose sur le sionisme – qu’il rejette évidemment – mais également sur la situation des juifs arabes en Israël et plus particulièrement des juifs marocains.
Sans dogmatisme mais fort d’une analyse idéologique marxiste il propose une pensée d’une étonnante actualité. Ainsi quand il écrit, à propos des objectifs « inaliénables » que doit se fixer l’OLP après les accords d’Oslo (État souverain, droit au retour des réfugiés, Jérusalem-est comme capitale).
« Seule cette bataille, et la fermeté dans cette bataille, permettra de regrouper l’ensemble des forces de l’OLP en tant que représentant unique du peuple palestinien, y compris la gauche aujourd’hui dissidente, et d’y rallier le mouvement islamiste. »
Cet ouvrage prend tout sens dans la période actuelle alors qu’un cessez-le-feu a enfin été décrété dans la bande de Gaza en ce mois d’octobre 2025. Qu’aurait écrit Abraham Serfaty lui qui, dans un de ses textes intitulé De Deir Yassine à Jénine soit deux lieux de massacres perpétrés, le premier en 1948 par les milices juives de l’Irgoun et du Lehi, le second en 2002, par l’armée israélienne dénonce des « crimes commis au nom du « peuple juif » »
La pensée de Serfaty pour décrypter le conflit actuel
Qu’aurait-il dit devant le génocide entrepris par Israël, devant le nettoyage ethnique toujours en cours dans la bande de Gaza ?
Dans sa préface à l’ouvrage, le réalisateur palestinien Michel Khleifi note : Nous avions nos idoles de l’époque, dont ce militant marocain qui rassemblait en lui tant d’identités possibles qu’on pensait impensable de trouver chez un seul homme : communiste, arabe et juif à la fois, et surtout marocain du fond de l’âme. » Il ajoute : « Oui, Abraham Serfaty a pressenti l’évolution de l’entreprise colonialiste en Palestine dans la continuation du colonialisme occidental qui ne cesse de ravager le monde. »
Un livre qui n’est pas que témoignage mais permet de mieux comprendre les processus qui ont abouti à ce que l’on connaît aujourd’hui. Et pose, in fine, la question de l’existence d’Israël débarrassé du sionisme, à laquelle les juifs d’Israël et ceux qui vivent ailleurs, pourraient être confrontés rapidement.