Des députés et un rapport sur les violences policières
Des députés veulent un état des lieux des pratiques de maintien de l'ordre
Mercredi 29 Juin 2016 à 17:02
Mathias Destal
Des députés de gauche, dont Noël Mamère et Pouria Amirshahi, se mobilisent pour qu'un débat sur les pratiques du maintien de l'ordre s'ouvre en France, comme ils l'ont fait savoir lors d'une conférence de presse organisée à l'Assemblée nationale ce 29 juin. Pour faire entendre leur revendication, ces personnalités politiques, soutenues par des représentants syndicaux et des membres de la société civile, s'appuient sur la publication le même jour d'un recueil de témoignages édifiants réalisé par les journalistes du site Reporterre. Son titre : « Maintien de l'ordre : la dangereuse dérive ».
Des députés montent au créneau. Les écologistes Noël Mamère et Cécile Duflot, ainsi que l'ancien député PS Pouria Amirshahi, entendent bousculer le gouvernement sur la question du maintien de l'ordre et la stratégie déployée dans les manifestations contre la loi Travail ces derniers mois. « Nous avons conscience d'être à contre-courant, mais il est nécessaire de ne rien céder sur des éléments qui sont constitutifs de notre Etat de droit comme celui de la liberté de manifester », a expliqué Noël Mamère, en introduction d'un point presse organisé mercredi 29 juin à l'Assemblée nationale. « Nous faisons face à un changement de doctrine du maintien de l'ordre dans notre pays et ce développement nous apparaît dangereux », a-t-il poursuivi.
Ce rendez-vous, auquel participaient également des représentants syndicaux ainsi que des membres de la société civile (Solidaire, CGT, syndicat de la Magistrature, syndicat national des journalistes, Ligue des droits de l'homme), a été organisé à l'occasion de la publication le même jour d'un rapport au titre coup de poing : « Maintien de l'ordre : la dangereuse dérive ». Elaboré par des journalistes du site Reporterre, ce « rapport d'information sur les actions de maintien de l'ordre menées depuis le début des manifestations d'opposition à la loi sur le travail » compile une centaine de témoignages de manifestants parisiens, rennais, toulousains ou nantais qui racontent leurs expériences avec la police lors des journées de mobilisations au projet de loi du gouvernement.
Violence physique et verbale
Sur près de 80 pages, il est question de violence physique ou verbale ; de mésusages d'armes dites « intermédiaires » ; de « pressions sur les journalistes » ; de « non-assistance à personne en danger ou blessée » ou encore « d'entrave à la prise en charge rapide des blessés ». Certains de ces témoignages ont été glanés sur Internet. D'autres ont été recueillis par quatre journalistes du site dirigé par Hervé Kempf, ancien spécialiste des questions écologiques au journal le Monde (le rapport est téléchargeable ici). Outre les témoignages, le document fait état de « recommandations » précises qu'il faudrait mettre en œuvre pour, est-il écrit, « sortir du climat délétère qui s'instaure en matière de liberté publiques ».
Exemples : « L'interdiction de l'usage des lanceurs de balles de défense (LBD) doit être édictée en France, comme elle l'est dans d'autres pays, à commencer par notre voisin allemand » ; « L'emploi des Compagnies d'intervention devrait être recadré. Il apparaît en effet que leur action sur le terrain conduit à de nombreux actes incontrôlés et dangereux » ; « Une étude par un organisme indépendant du ministère de l'Intérieur doit être menée sur la composition exacte des gaz et produits chimiques utilisés dans les grenades lacrymogènes. La composition du contenu de ces grenades doit être rendue publique. »
"Une volonté politique que ça dégénère"
Parmi les intervenants invités à prendre la parole aux côtés de Noël Mamère, le Monsieur loyal de l'événement, figuraient également Alexandre Langlois de la CGT police. Le fonctionnaire a rappelé qu'il voyait dans le dispositif policier des derniers mois « une volonté politique que ça dégénère ». Il a ensuite déploré que les « donneurs d'ordres », à la différence des policiers de terrain, ne soient jamais inquiétés quand un usage disproportionnée de la force est constaté. « C'est d'autant plus embêtant qu'on a beaucoup moins d'intérêt commun avec la classe dirigeante qu'avec le peuple », a conclu le cégétiste.
Après Alexandre Langlois, ce fut au tour de Laurence Blisson de prendre la parole. Secrétaire générale du syndicat de la Magistrature, la jeune femme a rappelé qu'il existait aujourd'hui de véritables difficultés à connaître les chiffres officiels des plaintes déposées par les manifestants contre la police, tout comme il était impossible de connaître le nombre réel des blessés. Difficultés que la juge d'application des peines impute au fait qu'il n'existe pas de statistiques officielles sur le sujet. Une anomalie, selon elle : « Les policiers sont détenteurs d'un pouvoir particulier, il faut donc pouvoir les critiquer ».
Au-delà de la simple critique, le député Pouria Amirshahi préconise l'ouverture d'un débat national sur l'institution policière et ses prérogatives. Un débat qu'il aimerait voir engager au travers de deux questions simples : « Qu'est-ce qu'une police démocratique ? » et « Qu'est-ce qu'une police subordonnée aux citoyens ? » A ce débat est venue s'ajouter la volonté des participants que soit ouverte prochainement une mission d'information parlementaire sur la question du maintien de l'ordre en France. Mais dans le climat actuel, tous se sont accordés sur un point : c'est loin d'être gagné.
29 juin 2016 /Camille Martin (Reporterre)
Adresse pour acéder au rapport:
https://reporterre.net/Violences-policieres-le-rapport-qui-dit-les-faits
Le maintien de l'ordre a pris en France un tour dangereux pour les libertés publiques et le droit de manifester. Animée par Reporterre, une Mission civile d'information a mené une enquête approfondie sur les dérives de l'action policière depuis le début des manifestations contre la loi travail. En voici le rapport. Il témoigne d'une dérive dangereuse pour la démocratie.
La situation devenait insupportable : manifestation après manifestation, nous observions des violences de plus en plus nombreuses de la part des forces de police, bien au-delà de ce que pourrait exiger le maintien de l'ordre. C'est pourquoi, fin avril, avec l'appui initial de plusieurs députés, nous avons lancé une Mission civile d'information sur les actions de maintien de l'ordre menées depuis le début, en mars 2016, des manifestations d'opposition à la loi sur le travail.
Ce rapport, établi par les correspondants de Reporterre à Nantes, Rennes, Toulouse et Paris, nous le présentons ce mercredi 29 juin, alors qu'à l'Assemblée nationale, une conférence de presse réunit des députés, des organisations des droits de l'homme et de la société civile, des syndicats de salariés et de policiers, pour tirer l'alarme sur la dérive dangereuse en matière de maintien de l'ordre.
Les enquêteurs ont rassemblé les témoignages attestant de pratiques dangereuses de maintien de l'ordre — plus d'une centaine recueillis directement, à quoi s'ajoute la reprise d'une quarantaine de faits émanant de sources fiables. Nous avons par ailleurs demandé aux autorités publiques (ministère de l'Intérieur et préfectures) de répondre à nos questions. Ces autorités ne l'ont pas souhaité, ce que nous regrettons. Des entretiens avec des représentants syndicaux des personnels de maintien de l'ordre ont par ailleurs été réalisés.
Nous avons conduit cette mission avec le souci d'assurer que le droit de manifester soit pleinement respecté. Notre démarche est animée par le souhait que les principes de la démocratie et du respect de l'État de droit soient respectés, et s'imposent au pouvoir exécutif comme à quiconque.
Le rapport que vous lirez ci-dessous confirme que l'action de maintien de l'ordre a pris en France un tour très dangereux, qui menace l'intégrité physique de nombreux citoyen(ne)s pacifiques, parfois de mineurs et même d'enfants. L'usage des lanceurs de balles de défense est devenu courant alors qu'il devrait être exceptionnel, voire interdit. Les tirs tendus de grenades se multiplient de manière inacceptable. L'utilisation de policiers en civil non identifiables pour des actions d'interpellation ou de répression est devenue systématique. Le non-respect du droit des journalistes à couvrir sans crainte les événements est devenu habituel.
De nombreux indices conduisent de surcroît à penser que le maintien de l'ordre est conduit de façon à exciter les violences, dans l'intention de détourner l'attention de l'opinion publique des questions que posent les manifestant(e)s.
Nous formulons dans la conclusion de ce rapport plusieurs recommandations, dont l'application paraît indispensable pour sortir du climat délétère qui s'instaure en matière de libertés publiques. Si l'ordre est un pilier essentiel de l'application de la loi décidée démocratiquement, son maintien doit viser au respect de la démocratie et des libertés, pas à terroriser celles et ceux qui expriment leur opinion par des moyens pacifiques. Nous invitons fermement les responsables politiques à revenir à des méthodes de maintien de l'ordre respectueuses des lois et des règlements en vigueur, afin d'éviter de blesser les personnes qui manifestent.
Romain Dussaux a été touché à la tête par la déflagration d'une grenade de désencerclement, le 26 mai, à Paris.
1 – L'interdiction de l'usage des lanceurs de balles de défense (LBD) doit être édictée en France, comme elle l'est dans d'autres pays, à commencer par notre voisin allemand.
2 – L'interdiction absolue des tirs tendus de grenade doit être impérativement rappelée aux membres des forces de l'ordre par l'autorité responsable, qui doit veiller à ce que ces consignes soient strictement respectées par les unités engagées.
3 – L'utilisation des grenades dites de « désencerclement » doit être interdite, ou à tout le moins très strictement limitée à des usages prévus par la définition de cette arme de dégagement d'une unité en difficulté.
4 – L'emploi des Compagnies d'intervention devrait être recadré. Il apparaît en effet que leur action sur le terrain conduit à de nombreux actes incontrôlés et dangereux.
5 – L'emploi de policiers en civil devrait être strictement limité. L'emploi de policiers en civil sans signe visible d'identification de leur qualité devrait être interdit.
6 - Une étude sur l'application des principes de « désescalade » en situation de maintien de l'ordre doit être menée auprès des autorités d'autres pays qui les pratiquent.
7 - Les personnes assurant des fonctions de secouristes au sein de manifestations ne doivent pas être privées de leur matériel de premiers soins ni être la cible d'attaques, de menaces ou de pressions lors des actions de maintien de l'ordre.
8 – Le respect impératif par les policiers et les gendarmes de la liberté des journalistes d'observer les manifestations et autres mouvements sociaux doit être assuré.
9 - Des études doivent être entreprises par des organismes indépendants sur les effets sanitaires de l'inhalation et de l'exposition cutanée des produits lacrymogènes, et autres composés chimiques utilisés dans les actions de maintien de l'ordre.
10 – Une étude par un organisme indépendant du ministère de l'Intérieur doit être menée sur la composition exacte des gaz et produits chimiques utilisés dans les grenades lacrymogènes. La composition du contenu de ces grenades doit être rendue publique.