En 1986, la jeunesse en masse dans la rue contre ... la sélection !

Publié le par FSC

Novembre-Décembre 1986. Les étudiants déferlent contre la loi Devaquet

Tangui Perron, historien
Dimanche, 4 Décembre, 2016
Humanité Dimanche
 
Le 4 décembre 1986, la jeunesse remplit les rues de Paris à travers un défilé géant de 8 km de long entre la Bastille et les Invalides, pour crier « non » au projet Devaquet. Avec le souci de « n'être récupérés par aucun parti ». Photo Patrick Kovarik/AFP

1986, Jacques Chirac arrive à Matignon et tente de faire passer une loi introduisant une sélection à l'entrée de l'université. Portée par Devaquet, la réforme précipite la jeunesse dans la rue. Au ministère de l'Intérieur, Charles Pasqua ordonne aux forces de l'ordre la fermeté. Alors la police se lâche. Malik Oussekine et Abdel Benyahia vont rester sur le carreau. La réforme sera retirée, et Jacques Chirac aura perdu pour longtemps le soutien de la jeunesse.

Commencées comme un joyeux monôme, les manifestations étudiantes et lycéennes de novembre et décembre 1986 se sont achevées par un drame, la mort de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986, et une victoire, forcément amère, le retrait du projet de loi Devaquet qui avait précipité des centaines de milliers de jeunes dans la rue.
Pour toute une génération ­ dont nombre de membres découvraient l'art et la joie de manifester dans les rues des moyennes et grandes villes de France ­, ce fut une expérience politique fondatrice. Le souvenir de ces longs défilés (souvent désorganisés) comme le nom de Malik Oussekine (en fait tué par les forces de l'ordre) restent gravés mais aussi cantonnés dans cette mémoire générationnelle. Moins de deux ans plus tard, des politiciens et des publicistes tentèrent, souvent avec succès, de transformer cette génération généreuse et indignée, généralement peu politisée, en « génération Mitterrand », dans le cadre de la réélection de ce dernier à la fonction de président de la République (à l'âge de 72 ans).
 
« Devaquet si tu savais, ta réforme, ta ré-formeu, Devaquet, si tu savais, ta réforme où on s'la met ! Au-cu, aucune hésitation, sinon c'est la révolution ! » Chanté (ou beuglé) par des milliers de poitrines adolescentes, ce slogan renvoyait à la tradition du chahut étudiant. Les Jeunesses communistes (JC) s'abstenaient généralement de chanter la fin du slogan ­ réforme ou pas réforme, la révolution, eux, ils la souhaitaient ardemment ­ mais ils étaient fort minoritaires. Par contre, beaucoup s'accordaient à analyser cette mobilisation contre la loi Devaquet, certes, comme un refus de la sélection à l'entrée des universités, mais aussi comme une protestation plus diffuse contre un chômage de masse qui n'épargnait pas la jeunesse ­ au contraire. À cette époque, déjà, on commençait à parler de « génération sacrifiée ».
 
Ministre délégué à l'Enseignement supérieur, Alain Devaquet, ancien chercheur en biologie et membre du RPR depuis 1977 (il faisait partie des réseaux chiraquiens parisiens), avait grandement cédé aux libéraux (ceux du syndicat étudiant UNI en particulier). Son projet de loi entendait instaurer une sélection à l'entrée et à la sortie des universités, universités auxquelles il voulait assurer une large autonomie. On comprit assez vite que l'enjeu était d'adapter le monde de l'éducation et de la recherche à celui, précarisé et libéralisé, de l'entreprise, et que les enfants des classes populaires se verraient barrer l'accès aux études prolongées. En outre, le personnel administratif et technique n'avait nullement été consulté pour la préparation de cette réforme, pas plus que les syndicats étudiants classés à gauche (l'Unef-ID, proche du PS ou de groupes trotskistes et l'Unef ­ ou Unef-SE ­, proche des communistes et en voie de minorisation). En bref, il s'agissait d'une pure réforme de droite, prise dans le cadre du premier gouvernement de cohabitation ­ Jacques Chirac avait été nommé premier ministre par François Mitterrand à la suite de la victoire des partis de droite aux élections législatives en mars 1986.
 
Parti des universités, le mouvement gagna rapidement les lycées où n'existait aucune représentation syndicale ­seuls oeuvraient parfois quelques groupes politiques comme les JCR, le MJS ou les JC. Il existe d'ailleurs une différence assez sensible entre villes universitaires et villes non universitaires quant à la direction politique des grèves. Si les universités de Dijon puis de Caen se lancèrent rapidement dans le mouvement, l'université de Villetaneuse (Paris-XIII) en fut l'un des épicentres, avant que, du côté des étudiants, les états généraux du mouvement contre la loi Devaquet se tiennent à la Sorbonne. Le 22 novembre y fut lancé un appel à la grève générale dans les universités. Le lendemain, une manifestation nationale lancée par la Fédération de l'éducation nationale (FEN) et soutenue par les partis de gauche (pour l'avenir de la jeunesse et contre la politique éducative du gouvernement) connut un fort succès ­ on parla de 200 000 manifestants, dont de nombreux jeunes. Les lycéens du Mans furent parmi les premiers à se mobiliser avant que toutes les villes du Grand Ouest ne connussent de très grandes manifestations, en bénéficiant du soutien des syndicats de salariés ­ au passage, on découvrit que la CFDT s'était abstenue lors de la présentation du projet de loi Devaquet au Conseil économique et social.
 
Si ce mouvement jouissait du soutien de l'opinion et du regard bienveillant d'une partie des médias, il dut néanmoins faire face à une rude adversité. Sans même parler de quelques assauts violents de groupuscules d'extrême droite à Paris (du GUD en particulier), il eut à subir le mépris et les insultes d'une partie de la droite et de sa presse, et fut la cible de graves violences policières. L'éditorialiste du « Figaro Magazine » parla ainsi de « sida mental » pour regretter les maux qui s'abattaient sur cette génération. Et ce sont des membres des sinistres brigades de « voltigeurs » (policiers se déplaçant à moto et armés de longs bâtons qui n'étaient pas sans rappeler les « bidules » de la guerre d'Algérie) qui furent responsables de la mort de Malik Oussekine, dans la nuit du 5 au 6 décembre.

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