Gilets jaunes et CGT : convergences sur les ronds-points
3 JANV. 2019 PAR MORVAN56 BLOG

Depuis le 17 novembre, des militants CGT se rendent à la rencontre des gilets jaunes. Là où le courant passe, ces rapprochements ont fait émerger de nombreuses convergences revendicatives.
NVO -2 janvier 2019 Par Cyrielle Blaire
Quand les gilets jaunes lancent leur premier appel à manifester le 17 novembre, la CGT refuse de prendre part aux cortèges où le Rassemblement national (RN) a décidé de défiler. Pas question de manifester aux côtés de l'extrême droite. « Au début, on était très méfiants », reconnaît Fabrice David, secrétaire de l'union départementale CGT de Loire-Atlantique. Comme ce militant, beaucoup à la CGT voient d'un œil circonspect ce mouvement anti-taxe né sur les réseaux sociaux auxquels de nombreux petits patrons s'associent.
Des gens qu'on n'avait jamais vus
Dans les permanences syndicales, on voit alors débarquer des travailleurs inconnus au bataillon. « Les gens mobilisés chez les gilets jaunes sont des salariés de petites entreprises où l'on est peu présents, des publics précarisés que l'on n'avait jamais vus, relève Pierre Marsein, secrétaire de l'union départementale CGT de Haute-Loire. Sur le département, les salaires sont inférieurs de 20% à la moyenne nationale, on a beaucoup de temps partiel subi, de femmes seules. Les gens se font exploiter, il y a une exaspération totale et une grande colère ».
A Orléans, l'union départementale CGT est contactée après avoir vu passer sur les réseaux sociaux un tract CGT. « Ce sont des jeunes qui ne connaissaient rien aux syndicats, aux bourses du travail. On a eu une discussion passionnante, débattu de l'utilité de l'impôt, s'enthousiasme Aurelio Ramiro, secrétaire de l'UD. Ce qui a fait déborder le vase, c'est qu'ils habitent à 30-40 km de l'agglo orléanaise. La hausse du carburant impactait directement ce qui leur restait à vivre. »
Il y a des secteurs où des fachos se regroupent entre eux. Là, la discussion n'est pas possible, mais dans d'autres ça se passe très bien
François Bonnin, trésorier de l'union locale CGT de Châtellerault.
Partout, des syndicalistes se rendent à la rencontre de ces gilets jaunes qui se sont regroupés pour exprimer leur colère. L'accueil qui leur est réservé diverge selon la composition sociologique de ceux sur les points de blocage.
A Elbeuf dans l'Eure, le syndicat CGT a dû montrer patte blanche pour amorcer un échange avec les « jaunes ». « Ce sont des salariés perdus, qui morflent. Au début ils ne voulaient pas de nos couleurs. On s'est expliqués, on a distribué des tracts. Ils ont vu qu'ils s'étaient trompés d'adversaire» ,raconte Christian Morin le secrétaire de l'union départementale CGT normande.
Défiance ou simple méconnaissance ? Certains gilets jaunes se hérissent à la vue des syndicats. « A la Roche-sur-Yon, on a emmené nos tracts mais on s'est fait jeter. Il y a un rejet du politique et du syndicalisme », déplore Olivier Jacques, en charge de la vie syndicale à l'union départementale CGT de Vendée. Beaucoup de structures déplorent la mauvaise image qu'a pu donner la mobilisation des routiers ; la CGT et FO avaient appelé à la grève le 9 décembre pour le pouvoir d'achat avant de négocier avec le gouvernement. « On nous a traité de vendus » , regrette Nathalie Charron, secrétaire administrative de l'union départementale CGT d'Eure-et-Loire.
Au début, il y avait des vus caricaturales de part et d'autre. Des camarades voyaient les gilets jaunes comme des « populos », un peu fachos. En échangeant, ils se sont rendus compte que c'était le commun des citoyens
Damien Girard, secrétaire de l'union locale CGT de Saint-Nazaire
Après un mauvais démarrage, la situation s'est rapidement débloquée dans les Pyrénées-Atlantiques. « Des camarades sont allées sur les barrages des péages pour nouer des liens. Ils n'ont pas été très bien accueillis. Puis des gilets jaunes sont venus nous voir. On a vite vu qu'ils n'étaient pas hostiles. Ils n'étaient pas très éloignés de nous et avaient une vraie réflexion sur la fiscalité », relate Jean-Claude Zapparty, secrétaire de l'union départementale CGT des Pyrénées-Atlantiques.
Le rapprochement entre syndicalistes et gilets jaunes a fait émerger des débats de fond.
« Nous avons eu des discussions sur la nécessité d'augmenter les salaires sans rogner sur les cotisations sociales, sur le fait qu'il faut que ce soit les patrons qui paient et pas l'État », détaille le secrétaire de l'union départementale CGT de Haute-Loire. Des échanges semblables ont émergé à Châtellerault, renouant avec la tradition syndicale de l'éducation populaire. « On leur a expliqué pourquoi on revendiquait du salaire brut alors qu'eux parlent en net, qui est ce qu'ils voient sur leur fiche de paie, commente François Bonnin, secrétaire de l'union locale CGT viennoise. Sur les cotisations sociales – qu'ils appellent « charges » -, on a fait un travail pédagogique pour montrer que ça servait à financer la santé, les hôpitaux. Ils nous ont entendus ».
80 à 90% de revendications communes
Sur le terrain, des revendications ont été listées de part et d'autre, faisant apparaître de nombreuses convergences. « On est en train de regarder leur cahier de doléance. On est d'accord à 80%, même s'il y a encore des trucs qui nous choquent, par exemple sur la revendication d'un revenu pour les femmes aux foyers », signale Jérôme Delmas, secrétaire de l'union départementale CGT du Lot.
Aux dires des syndicats, les cahiers de doléances auraient beaucoup évolué depuis le début du mouvement. « On a dépassé la taxe sur le carburant. On voit qu'on a des revendications communes sur le pouvoir d'achat, les retraites, le chômage, la fiscalité… », énumère Sylvain Moreno, secrétaire CGT du groupe Lafarge, qui a appelé à rejoindre les gilets jaunes.
Les revendications ont évolué, elles rejoignent beaucoup ce que l'on porte. Les contacts avec la CGT y sont sans doute pour quelque chose
Jean-Claude Zapparty, secrétaire de l'union départementale CGT des Pyrénées-Atlantiques
Localement, les syndicats se sont appuyés sur ces convergences pour lancer des actions aux côtés des gilets jaunes. « Ils réclament le retour des commerces de proximité. On leur a proposé de bloquer le Auchan, où les salaires sont très bas et qui touche beaucoup de CICE sans créer d'emploi. Ça leur a tout de suite parlé », témoigne Matthieu Viellepeau, secrétaire de l'union locale CGT de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne).
A Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, chasubles jaunes et rouges se sont rassemblés le 1er décembre devant la gare pour réclamer d'une même voix la réouverture de la ligne SNCF de train voyageurs Pont-Saint-Esprit-Avignon-Nîmes. « Les gens sont obligés de prendre la voiture pour aller jusqu'à Avignon. Les gilets jaunes se sont réappropriés cette revendication portée par la CGT », se réjouit Patrick Lescure, secrétaire de l'union locale CGT de Bagnols.
Gilets jaunes, gilets rouges : souvent le même combat !
Ce mouvement hétéroclite de salariés précarisés, de chômeurs, de retraités et de petits patrons tous éprouvés par des fins de mois difficiles, beaucoup de syndiqués l'ont rejoint spontanément, n'hésitant pas à enfiler une chasuble fluo pour aller bloquer barrages et ronds-points. « Les gens n'en peuvent plus. Ils ont des vies de merde, ils sont usés. Et en plus on les prend pour des gueux, des gens qui ne réfléchissent pas. Là on a l'occasion de montrer que la CGT n'est pas la caricature véhiculée par les médias. Il faut y aller », estime Christophe Chrétien, secrétaire du syndicat CGT Sanofi Tour, très impliqué dans le mouvement.
La couleur n'a pas d'importance. Le but c'est la convergence des luttes, c'est ce pour quoi on se bat
Matthieu Viellepeau, secrétaire de l'UL de Fontenay-sous-Bois.
L'ARTICLE de la NVO