Pourquoi des salariés ne déclarent pas leurs accidents de travail

Publié le par FSC

 

Danielle nous communique :

 

« Accidents du travail » (3/3). Une partie non négligeable des problèmes de santé au travail passe sous les radars du fait de stratégies de contournement chez les salariés : manque d’information, peur de perdre son emploi… 

Près de la moitié des accidents du travail ne sont pas déclarés dans le secteur privé, du fait de dysfonctionnements de l’Assurance-maladie, et parfois à cause des stratégies de camouflage par les employeurs

Chute chez les couvreurs, coupure et brûlure en cuisine, allergies et tendinites chez les coiffeurs, jusqu’aux naufrages chez les marins… « Ce sont les risques du métier » est une phrase qui revient souvent pour justifier les accidents du travail des professions très exposées. « De toute façon, on est obligé de le faire, le travail, si on a une douleur on fait avec, ça passe et puis c’est tout », résume un cuisinier de 27 ans interrogé dans le cadre de l’enquête sociologique SANTPE.

Publié en août 2022, le rapport d’études reprenant cette enquête met en évidence que dans la coiffure, la restauration et le bâtiment les travailleurs des entreprises de moins de dix salariés vont plus mal que ce qu’en disent les données officielles. « On a très vite vu qu’il y avait moins d’accidents du travail déclarés dans les TPE, que la santé y était déclarée bonne, alors que paradoxalement on y trouve davantage de risques professionnels, et la prévention est très mal développée », soulève Emilie Legrand, maîtresse de conférences en sociologie et responsable scientifique de SANTPE. Un décalage qui s’explique par le fait que les salariés choisissent souvent eux-mêmes de cacher leurs problèmes de santé.

La commission d’évaluation de la sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles, présidée par un magistrat de la Cour des comptes, a estimé dans son rapport 2021 que près de la moitié des accidents du travail n’étaient pas déclarés dans le secteur privé, du fait de dysfonctionnements de l’Assurance-maladie, et parfois à cause des stratégies de camouflage par les employeurs.

Elle relève aussi un déficit d’information des salariés sur la santé et la sécurité au travail, et pas seulement dans les très petites entreprises. Par manque de culture de prévention dans leur entreprise, de nombreux salariés ne sont pas au courant des risques auxquels ils sont exposés, ou ignorent que toute lésion survenue dans le cadre du travail est un accident du travail qui doit être déclaré à l’employeur sous vingt-quatre heures.

La crainte de déclarer un AT

« En 2022, on compte 37 déclarations d’accident du travail sur 2 800 agents [de Pôle emploi] en Normandie », note Florence Lépine, conseillère et déléguée CGT de l’opérateur public à Rouen. Elle met en regard ce chiffre avec le nombre d’agressions, qui a augmenté, entre 2019 et 2021, de 72 % par téléphone et de 13 % dans les zones d’accueil. « C’est très peu, ce ne sont pratiquement que des accidents physiques et malaises, et aucun pour burn-out ou crise d’angoisse, car les conseillers ne pensent pas qu’une agression verbale est un accident. Alors que cela peut aller jusqu’à des menaces de mort. »

Au-delà de ce problème de qualification des accidents, la principale raison de ne pas déclarer un accident du travail est la peur des conséquences, en matière d’image auprès de ses collègues ou de ses supérieurs. Craignant un non-renouvellement de contrat ou de mission, les intérimaires ou les salariés en CDD auront tendance à minimiser leurs accidents. « Le salarié se dit que dans la hiérarchie ça ne fait pas bien, surtout quand on est en CDD, observe Florence Lépine. Il y a la peur que la direction réponde : “On n’est pas des assistantes sociales.” »

L’étude SANTPE montre que l’attachement au travail explique d’autres postures d’autocensure : c’est, par exemple, l’envie de ne pas laisser ses collègues se débrouiller seuls alors que les conditions de travail sont difficiles. De ce fait, même les passages en simple arrêt maladie sont rares.

En établissement d’hébergement de personnes âgées dépendantes (Ehpad), « souvent, on se fait mal en portant ou en manipulant un résident, on ressent un craquement au niveau du dos, des épaules, explique Anissa Amini, secrétaire générale adjointe de la Fédération SUD-Santé-Sociaux et aide-soignante à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis). Mais beaucoup de femmes ne déclarent pas d’accident du travail par conscience professionnelle : dans les équipes on est de moins en moins nombreux, la charge augmente. Donc, on va moins s’arrêter, pour soutenir ses collègues. »

Dans certains secteurs, ne pas se plaindre est un signe d’excellence professionnelle. La valorisation de l’endurance est un enjeu de respectabilité

Dans certains secteurs, ne pas se plaindre est un signe d’excellence professionnelle. La valorisation de l’endurance est un enjeu de respectabilité, formant, selon Emilie Legrand, un « ethos de l’endurance » : « C’est mal vu de se plaindre, il y a une forme d’abnégation. »

Rejetant les outils de prévention, qui peuvent être conseillés par les spécialistes, par exemple, les préventeurs des caisses régionales d’Assurance-maladie (Carsat), les dirigeants et salariés de TPE en particulier peuvent alors préférer les arrangements « maison ». « A la rigueur, on pose un jour de congé, ou on intervertit avec un collègue, mais on va rarement chez le médecin, résume Emilie Legrand. En coiffure et restauration, si on voit une douleur chez un collègue on prend sa place, on le met derrière le comptoir. »

« Les gens ont des sciatiques et continuent d’aller bosser, en passant du service à l’accueil par exemple, ajoute Annick Pinot, secrétaire adjointe de SUD-Hôtellerie-Restauration. Moi, je dis souvent : “Faites une déclaration”, mais les salariés ont du mal à l’entendre. Ils ne voient pas les conséquences de leurs pépins. »

La non-déclaration est pourtant lourde de conséquences, et crée un cercle vicieux : si les accidents sont « invisibles », il n’y a pas de risques professionnels, et les conseillers de prévention – déjà peu nombreux au regard du nombre de TPE (29 % des 37 000 visites réalisées en 2021 par les Carsat concernaient des TPE) – n’interviennent pas. Elle prive aussi le salarié du remboursement à 100 % des soins et d’une rente pour incapacité permanente en cas de séquelles.

Jules Thomas

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article