Hommage - Décès de Pierre Audin, mathématicien, fils de Maurice Audin
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| Pierre Audin de retour «chez lui » en Algérie. |
Il avait poursuivi les combats de ses parents, Josette et Maurice Audin, torturé et tué par l'armée française pendant la guerre d'Algérie en 1957. Pierre Audin est décédé le 28 mai à l'âge de 66 ans. L'Humanité lui avait consacré un portrait il y a tout juste un an, alors qu'il conduisait une délégation dans le pays de son enfance.
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Rosa Moussaoui
L'Humanité du 28 mai 2023
Pierre Audin, le goût de l’Algérie et des mathématiques
Le fils du mathématicien communiste, torturé et assassiné en 1957 par l’armée française, conduit à Alger, Oran, Constantine, une délégation de l’Association Josette-et-Maurice-Audin. Une visite placée sous le signe de la mémoire et de la coopération scientifique.
Il savoure ces moments ; son regard, comme celui de son père, pétille d’espièglerie. « Je me sens chez moi. Il faut dire qu’Alger est la plus belle ville au monde », sourit-il. Avec une délégation de l’Association Josette-et-Maurice-Audin, créée au tournant des années 2000 pour perpétuer le combat du Comité Audin pour la vérité, il sillonne le pays, fait étape à Oran, Mostaganem, Constantine, enchaîne les rencontres officielles et les échanges avec la société civile, intellectuels, journalistes, militantes féministes.
Lorsqu’il rejoint, rue Didouche-Mourad, juste en face de la faculté où enseignait son père, une rencontre avec des moudjahidates – des anciennes combattantes de la guerre d’indépendance algérienne –, Fatiha Briki fond en larmes en étreignant son ami d’enfance, son compagnon de jeu. Leurs mères, amies et camarades, ont partagé durant la guerre les mêmes peines, quand Josette Audin, sans nouvelles de son mari, accompagnait Djamila Briki à la prison de Barberousse pour rendre visite au sien, Yahia, journaliste d’ Alger républicain, membre des commandos communistes du Grand Alger en 1956, arrêté et condamné à mort, finalement libéré en 1962. Fatiha et Pierre partagent aujourd’hui encore les mêmes idéaux.
L’Algérie a aujourd’hui les moyens d’avancer vers une société solidaire, grâce à sa première richesse : la jeunesse. Pierre Audin
L’incarcération arbitraire de Fatiha Briki, figure de la défense des droits humains en Algérie, intellectuelle discrète et respectée, avait soulevé, voilà un an, une vague d’indignation. Dans l’assistance, d’autres anciens détenus d’opinion sont là : le journaliste Khaled Drareni, le producteur Mehdi Benaïssa. Ces dernières années, Pierre Audin a donné de la voix pour défendre les principes démocratiques et la liberté de la presse. Une façon pour lui d’assumer le legs politique de ses parents : « Mon père se décarcassait pour le journal du Parti communiste algérien, Liberté . Après cent trente-deux ans de colonialisme avec un peuple bâillonné et contraint de courber l’échine, après sept ans d’une guerre sauvage, violente, l’Algérie aurait dû être la première sur les droits humains et les libertés, résume-t-il . Elle a aujourd’hui les moyens d’avancer vers une société solidaire, grâce à sa première richesse : la jeunesse. »
Avec la solidarité entre les peuples algérien et français, les mathématiques sont l’autre fil rouge de cette visite. À Sidi Abdallah, devant les étudiants de l’École supérieure des mathématiques et de l’intelligence artificielle, Pierre Audin partage la tribune avec son collègue René Cori, pour une conférence ludique et pleine d’humour, devant un amphithéâtre féminin aux trois quarts. À chaque escale, ils reproduiront l’exercice. « Avec le prix Audin récompensant des lauréats des deux rives, les mathématiciens n’ont pas attendu pour créer des ponts, des coopérations concrètes entre les deux pays. La création en Algérie d’une chaire Maurice-Audin de mathématiques pour accueillir un chercheur français comme il en existe une en France accueillant un chercheur algérien est en bonne voie », se réjouit Pierre Mansat, président de l’Association Josette-et-Maurice-Audin.
L’exigence de vérité ne se tarit pas
Le travail mémoriel se trame au présent : soixante ans après la conquête de son indépendance par le peuple algérien, l’exigence de vérité ne se tarit pas. Au fond d’une gorge sèche, dans le paysage des monts Nekmaria, creusés de ravines, couverts de lentisques et d’oliviers, Pierre Audin et ses compagnons découvrent la grotte où, le 18 juin 1845, le colonel Pélissier massacra par enfumade la tribu des Ouled Riah, hostile au nouvel ordre colonial. Combien d’hommes, de femmes, d’enfants morts asphyxiés ici ? Leurs ossements jonchent encore le fond de cette caverne qui s’est muée en crypte. De ces martyrs du Dahra au supplice de Maurice Audin, la même barbarie coloniale a semé l’effroi, la terreur, la haine.
« En 2018 et 2021, Emmanuel Macron reconnaissait la responsabilité de l’État français et de l’armée dans l’inhumain système tortionnaire qui coûta la vie à Maurice Audin et à l’avocat Ali Boumendjel. Cette avancée appelle l’ouverture d’un chantier pour rechercher enfin les dépouilles des milliers de disparus de l’ère coloniale », remarque l’historien Alain Ruscio. Josette Audin est décédée sans connaître le lieu où les bourreaux ont fait disparaître le corps de son époux. Elle avait demandé aux autorités algériennes d’entreprendre des fouilles. Pierre Audin renouvelle aujourd’hui cette demande : il n’est pas homme à ployer sous le poids de l’oubli.
