Capitalisme, impérialisme, société du spectacle et esprit de croisade
SOURCE : Réveil Communiste de Gilles QUESTIAUX
Certains défenseurs de la Russie dans l’actuelle guerre d'Ukraine expliquent l’engagement occidental au profit de ce dernier pays comme le résultat d’un fanatisme idéologique « gauchiste » des élites, qu’ils interprètent de manière erronée comme d’origine marxiste, provoquant un aveuglement collectif empêchant de juger sainement et de manière réaliste du meilleur intérêt géopolitique et économique de ces pays. Voir notamment ce qu’en pensent les animateurs grecs anglophones, qui se présentent comme des conservateurs partisans des « valeurs traditionnelles », de la chaîne YouTube The Duran, excellent média par ailleurs dans sa critique exhaustive du discours des médias mainstream et de la propagande de guerre occidentale qui est présentée frauduleusement partout comme information pluraliste.
Ils n’en croient pas leurs yeux dans leur étonnement de voir la bêtise collective, suicidaire et anti-patriotique, des classes politico-médiatiques des diverses nations occidentales qui se bombardent elle-mêmes avec les sanctions économiques, comme elles racontent à qui veut encore l’entendre que les Russes le font avec des obus à la centrale nucléaire de Zaporojie, en Ukraine, et qui quand elles touchent le fond de l’incohérence continuent de creuser. C'est en effet que l’idéologie libérale-démocratique de l’ingérence mondiale est essentielle à l’impérialisme et n’est pas le résultat de la diffusion inexpliquée, si ce n’est par le plan de Satan, de théories universitaires fumeuses wokistes postmodernes ou semblables.
Michel Foucault est un trop petit démon pour expliquer l’apocalyptique déchaînement de la bêtise néo-impérialiste et ses graves conséquences matérielles.
Effectivement, comme au Moyen-Âge, l’Occident se caractérise par son esprit de croisade. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que cette idéologie expansionniste qui est une caractéristique très ancienne de cette partie du monde est nécessaire à la perpétuation de l’impérialisme unipolaire ou globaliste moderne que l’on critique par ailleurs. l’Occident ne peut pas devenir un pôle parmi d’autre d’un monde pluriel par les cultures et les civilisations, d’une part parce que le monde entier partage en réalité la même civilisation – capitaliste et bourgeoise, mais évidemment ça peut se discuter – mais surtout parce que le type d’Empire qu’est devenu l’Occident en fin de partie n’est plus un exportateur de capital en quête d’espace vital, en concurrence avec d’autres, comme en 1914, mais un importateur net de capital, sous forme apparente d’emprunts et sous forme effective de tribut économique - et humain - qui vient combler les gouffres toujours renouvelés des déficits budgétaires et commerciaux et des dettes privées. Le modèle économique occidental a régressé pour devenir un Empire parasitaire purement politico-militaire, assez comparable à l’Empire romain, toutes choses égales par ailleurs, qui en fait de règles règne par voie de fait, et extorque une rente vitale au reste du monde ou plus exactement aux travailleurs exploités du reste du monde . En dernière analyse, ce sont les interventions militaires permanentes des armées américaines dans le monde - pour les bonnes cause mises en avant tour à tour par des médias et les ONG qui sont des instruments importants de cet empire - qui permettent de solder toutes les dettes en imprimant des dollars.
Or le seul moyen de perpétuer le versement de ce tribut est la guerre et le chaos permanents, qui ne peuvent être semés dans le monde qu’au nom de la lutte du bien contre le mal, bien qui prend maintenant la forme de la démocratie et de l’individualisme, du libéralisme et des droits de l’homme (ceux de 1789 et non, comme en Chine, ceux de 1948), et de la libération des mœurs des années 1960 comme normes de la civilisation la plus achevée, suivant un renversement dialectique des Lumières en Ténèbres qui était apparent dès l'époque de la Révolution française.
La nôtre manifeste de manière éclatante l’identité des contraires : la guerre au nom de la paix, les massacres au nom des droits de l’homme, le nazisme au nom de la démocratie et l’antiracisme et le féminisme au nom du capitalisme sauvage.
L’auto-aveuglement de l’Occident est donc une conséquence nécessaire et inévitable de sa structure économique, où la production matérielle a été sacrifiée au profit des manipulations financières, et de la production culturelle. Il doit produire et diffuser son spectacle parce qu’il n’a littéralement rien d’autre à proposer, et pour que chacun participe spontanément et volontairement à la diffusion du spectacle et du récit du meilleur des mondes, il faut qu’il y croie. Et certes beaucoup de ces croyants sont en effet « de gauche ». Mais ce n’est certainement pas leurs naïves idées qui causent tant de destruction.
Pour réduire l’Afrique en esclavage et exterminer l’Amérique, il a fallu mettre à contribution beaucoup de saints.
Donc rien ne peut retenir aujourd’hui l’Occident qui roule sur la pente du néant en poussant des cris joyeux : « Slava Ukraïna » !
GQ, 8 novembre 2022, relu le 28 juillet 2023
PS : Sur la théorie de la société du spectacle : l’erreur de Guy Debord fut de penser le stade du développement le plus récent du capitalisme vers 1960, qu’il baptisait ainsi, comme supérieur et plus achevé que la société industrielle, et donc plus révolutionnaire, alors qu’il s’agit, à l’instar du fascisme – dont il est incapable de penser la spécificité - d’un long épisode de régression historique.
Il n'a pas compris non plus que les sociétés socialistes qu'il haïssait en tant que petit bourgeois bohème qui refuse le travail ne cadraient pas dans son schéma théorique.