Lze pouvoir macronien aligé sur l'extrême droite israélienne
A Marseille, une militante palestinienne de 72 ans en voie d’expulsion
Par Gilles Rof
Le Monde du 16 octobre 2023
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| Mariam Abudaqa, 72 ans, membre du Front populaire de libération de la Palestine, au commissariat de Noailles, à Marseille, le 16 octobre 2023. CHRISTOPHE SIMON / AFP |
La tournée en France de Mariam Abudaqa, 72 ans, militante reconnue du droit des femmes à Gaza et membre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), sous l’alias d’Abu Daqqa, n’ira pas à son terme. Après être intervenue à Paris, Lyon, Saint-Etienne, Metz, Martigues (Bouches-du-Rhône) et Marseille, en marge parfois de réunions interdites par les préfectures locales, Mme Abudaqa s’est vue signifier lundi 16 octobre dans cette dernière ville un arrêté d’expulsion « en urgence absolue » pris le 14 octobre par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin.
Son visa de courte durée de cinquante jours, délivré par le consulat de France à Jérusalem le 7 août et qui courait jusqu’au 24 novembre, lui a été retiré. Face au délai nécessaire pour organiser le départ de Mme Abudaqa, une assignation à résidence, de 22 heures à 6 heures dans un hôtel du centre-ville de Marseille, a également été prononcée.
Pour le ministre de l’intérieur, l’appartenance de Mme Abudaqa au FPLP – « organisation inscrite sur la liste de l’Union européenne faisant l’objet de mesures restrictives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme » précise l’arrêté d’expulsion – est une cause de la décision. Pour l’État français, la « participation largement médiatisée » de Mme Abudaqa à des événements et des manifestations « est de nature à attiser les tensions, la haine et la violence entre communautés et de créer des graves troubles à l’ordre public » dans le contexte actuel.
Pêle-mêle, l’arrêté d’expulsion évoque « l’attaque du Hamas sur Israël », « le nombre important de victimes et d’otages exposés à un risque d’exécution », « les violents affrontements toujours en cours [au Proche-Orient] » mais aussi des prises de position de Mme Abuqada en faveur de la libération du terroriste libanais Georges Ibrahim Abdallah, condamné en 1987 par la justice française à la réclusion criminelle à perpétuité. Pour expliquer sa décision, le ministre de l’intérieur cite aussi « l’attaque terroriste au sein du lycée Gambetta-Carnot d’Arras » et « la prégnance de la menace terroriste en France ».
Depuis quelques jours dans la région marseillaise où elle a pris la parole à trois reprises à Marseille et Martigues devant des assistances importantes les 14 et 15 octobre, Mme Abudaqa a été arrêtée lundi 16 octobre peu après 6 heures alors qu’elle se rendait à la gare en compagnie de Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la paix. Elle devait rejoindre Toulouse pour poursuivre, dans la soirée, sa tournée de conférences. Des interventions à Montauban, Pau, La Roche-sur-Yon étaient également au programme avant un départ prévu le 11 novembre.
Depuis son arrivée en France, Mariam Abudaqa a vu plusieurs de ses interventions être interdites par les autorités. Dont celle programmée à l’Assemblée nationale le 9 novembre à l’invitation du groupe La France insoumise (LFI), annulée à la demande de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet (Renaissance). A Marseille, le député du Rassemblement national (RN) Franck Allisio a écrit au préfet de Région le 11 octobre pour demander l’interdiction d’une conférence à Martigues. Selon le parlementaire, la prise de parole de M. Abudaqa est « une indignité… alors qu’Israël subit actuellement le plus terrible massacre depuis la seconde guerre mondiale ».
Lundi, à nouveau libre de se déplacer dans la journée, Mariam Abudaqa a reçu le soutien d’une trentaine de sympathisants de la cause palestinienne, devant le commissariat Noailles où elle était convoquée. La septuagénaire, visiblement choquée, a exprimé son incompréhension face à la décision des autorités, mais aussi son souhait de quitter la France au plus vite. « Je suis venue ici légalement, avec un visa. Des amis m’ont invitée à intervenir pour parler des femmes et des droits de l’homme », expliquait-elle. Si elle reconnaît avoir pris la parole dans des rassemblements interdits, elle réfute toute parole tombant sous le coup de la loi. « J’ai perdu ma maison et 29 membres de ma famille depuis le début des bombardements sur Gaza… Je ne peux pas en parler ? Où est la démocratie ? » s’étonne-t-elle.
Pour Pierre Stambul, qui l’accompagnait, la décision du ministère de l’intérieur est « une gigantesque violation de la loi, qui utilise un argumentaire où il mélange tout ». « Mariam n’a jamais porté de voile, elle défend la cause des femmes, se bat contre le patriarcat dans sa société. On lui reproche de soutenir son peuple ? », dénonce-t-il, annonçant que son organisation allait « contester farouchement l’expulsion ».
A Marseille, où Mariam Abudaqa était invitée pour participer à un colloque intitulé « 30 ans après les accords d’Oslo, où en sommes-nous ? », l’ensemble des manifestations de soutien à la Palestine a été interdit. Dimanche 15 octobre, plusieurs militants, dont une membre de l’Union juive française pour la paix, ont été arrêtés alors qu’ils participaient à un de ces regroupements non autorisés par la préfecture de police.
Parallèlement, le MuCem, musée national situé sur le Vieux-Port, a décidé de reporter une journée consacrée à la Palestine le 19 octobre, durant laquelle le metteur en scène Mohamed El Khatib devait lire des entretiens avec l’ex-représentante en France de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) Leïla Shahid. « Pour éviter tout souci » assure la direction de la communication du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, qui assure que l’événement se tiendra au premier semestre 2024.
