Les lois sur l'histoire quelque soit le prétexte invoqué sont destinées à imposer un récit anticommuniste officiel
SOURCE : Le site de Gilles QUESTIAUX
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Si on examine l’histoire des sciences, on constate que la viabilité de la théorie de l’évolution darwinienne n’a pas été affaiblie mais renforcée par les attaques des créationnistes. Les interdire sous prétexte qu’elles rallieraient les suffrages d’intégristes religieux d’extrême-droite qui font la police dans les écoles outre-atlantique aurait précisément obtenu l’effet inverse à celui souhaité.
Ce n’est pas semble-t-il l’analyse - ni l’intention - de ceux qui ont promulgué en Europe et particulièrement en France des lois mémorielles qui interdisent de remettre en cause certains récits historiques. Ce qui est visé explicitement c’est le négationnisme de la Shoah, mais l’opprobre s’étend aussi au révisionnisme historique en général qui pourrait y conduire, craint-on.
Or le révisionnisme de théories traditionnelles ou dépassées est la démarche qui consiste à reconsidérer un récit historique vu les progrès de la recherche, et qui est si on y réfléchit l’essence même du travail de l’historien. L'idée qu’il y a des faits et des interprétations historiques définitivement acquises, à tort ou à raison et que ça plaise ou non est étrangère à la mentalité de l’historien scientifique professionnel.
Presque aucun récit historique un peu complexe n’est prouvé à 100 %. et on peut même se demander si une telle exigence aurait un sens. Mais cette particularité de la science et du récit historique qui en diffuse le résultat n’est pas bien comprise même d’un public a priori plus sagace ; j’avais tenté un jour (en vain) d’expliquer ce point de vue au philosophe Jacques Bouveresse après une de ses leçons au Collège de France et il m’avait renvoyé avec colère, devinez à quoi ? Au négationnisme d’extrême-droite.
Cela dit, les faits historiques concernant la Shoah sont parmi les mieux établis ; l’interdiction du négationnisme et la remise en cause du révisionnisme ont donc été non seulement inutiles, mais ils ont introduit dans le public des soupçons et alimentés les argumentaires paranoïaques des antisémites, complètement marginalisés depuis 1945, qui n’en demandaient pas tant.
La meilleure façon soit dit en passant de lutter contre les théories et les interprétations irrationnelles ou malveillantes est de les laisser se développer pour pouvoir les réfuter explicitement.
Mais la loi Gayssot, du nom d’un communiste repenti des années de la mutation du PCF - célèbre bien malgré lui pour s’être, littéralement , tiré une balle dans le pied dans une partie de chasse, qui est censée empêcher l’expression des idées des négationnistes des camps de la mort et des chambres à gaz nazies est en fait dirigée contre les communistes eux-mêmes.
Ce fait paradoxal s’explique aisément si l’on réfléchit à l’importance prise dans la philosophie et dans l’histoire enseignées aujourd’hui par une catégorie de pensée ad-hoc imaginée en 1945 par Hannah Arendt (principalement) et conjointement avec les théories de Georges Orwell et de Karl Popper, pour amalgamer communisme et nazisme, le « totalitarisme ».
S’il est interdit par la loi de nier l’existence de crimes nazis il va forcément l’être aussi de nier les crimes généreusement imputés au communisme par la pensée hégémonique depuis la chute du Mur de Berlin, qui reprend telles-quelles les assertions de la propagande nazie et occidentale développées puis 1917 avec une imagination digne de Stefen King – lequel aurait bien voulu devenir un porte plume de la propagande ukrainienne, soit dit en passant. Puisque nazisme et communisme sont censés être les deux faces de la même chose horrible.
La loi Gayssot a eu peu d’effet contre les fascistes patentés qui n’ont aucun souci de cohérence – ainsi on les trouve souvent reprocher le pacte germano-soviétique à Staline, alors que ce devrait être sa seule qualité de leur point de vue ; mais elle affecte indirectement les communistes parce qu’elle les gène pour utiliser le bilan réel de l’URSS et des autres pays socialistes dans leur argumentaire, sans provoquer des amalgames hystériques.
Toute tentative de réfuter les légendes urbaines qui courent les rues concernant Lénine, Staline, et qui déforment de manière tératologique l’histoire réelle des famines, du Goulag, des purges, l’histoire de l’économie de l’URSS, de la Chine maoïste, etc. peuvent être aisément stigmatisées comme une forme de révisionnisme, et du coup de négationnisme totalitaire.
Ainsi l'historienne Annie Lacroix-Riz a-t-elle fait l’objet d’une tentative de diabolisation et de « cancellation » -de la part des sympathisants des nazis d'Ukraine, en ce qu’elle contestait la légende du Holodomor. Ce n’est pas comme on voit une affaire sans importance car le discours victimaire des néo-nazis ukrainiens est maintenant devenu une pièce maîtresse de la propagande belliciste et impérialiste pour prolonger le massacre qui se déroule en ce moment.
La théorie du totalitarisme et la tentative de proscrire et de criminaliser les idéologies stigmatisées comme totalitaires, non seulement porte atteinte aux libertés de pensée, d’expression et de recherche, mais risque de nous conduire tout droit à la troisième guerre mondiale.
Au fait, une tentative de censure des esprits ab ovo du même genre est en cours actuellement pour criminaliser la critique du sionisme, et de protéger l'existence de l'État d'Israël de toute critique par une loi d’exception qui en ferait un délit d'opinion. Les grands esprits de l'impérialisme se retrouvent.
GQ, 4 novembre 2023
PS Toute autre tentative de sanctuariser ou de renverser par la loi ou par des règlements universitaires un récit historique, avec de bonnes intentions, serait tout aussi mal inspirée. Comme celle de ces révolutionnaires de campus qui repoussent Marx et Lénine hors du champ des études, parce qu'ils seraient des mâles blancs de plus cinquante ans.
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