GAZA : L'autre face des crimes de guerre, comment Israël veut asphyxier l'agence onusienne des réfugiés
SOURCE : Elisabeth Fleury
Rosa Moussaoui
L'Humanité du 13 février 2024
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| L’arrêt des financements de l’UNRWA pourrait provoquer « un effondrement humanitaire » à Gaza, a prévenu le secrétaire général de l’ONU. © Jaafar ASHTIYEH / AFP |
Principal soutien aux réfugiés palestiniens, l’agence onusienne est la cible d’accusations – non vérifiées – de complicité avec le Hamas ayant conduit les plus gros pays donateurs à suspendre leur aide. Derrière ces manœuvres, c’est le principe même du droit au retour qui est attaqué.
L’UNRWA, « totalement infiltrée par le Hamas » ? L’accusation vient de Benyamin Netanyahou et de ses ministres, qui se relaient, ces dernières semaines, pour tirer à boulets rouges sur l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens. Le 26 janvier, le jour même où la Cour internationale de justice (CIJ) ordonnait à Israël de prendre des mesures pour « empêcher des actes de génocide » à Gaza, de graves accusations visaient l’agence : 12 de ses employés étaient mis en cause pour leur participation présumée aux attaques du 7 octobre qui ont coûté la vie à 1 160 Israéliens.
Allégation prise très au sérieux : les intéressés étaient aussitôt licenciés et une enquête était confiée au bureau des services de contrôle interne de l’ONU. Dans la foulée, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, demandait à l’ex-cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, de prendre la tête d’une commission indépendante pour évaluer la « neutralité » de l’UNRWA.
Des mesures qui n’ont pas empêché 17 pays, dont les plus gros donateurs – États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Suède – de suspendre leurs financements. « Un effet domino, constate Johann Soufi, l’ancien chef du bureau juridique de l’UNRWA, une réaction de panique inexplicable. » L’ancien porte-parole de l’agence, Chris Gunness, ne mâche pas ses mots : « Des gens vont mourir de faim à Gaza. Est-ce que ces donateurs veulent être jugés par l’Histoire comme les complices d’un génocide potentiel ? »
L’UNRWA pourrait se retrouver contrainte de cesser ses activités à la fin février
Chris Gunness
D’autres donateurs, comme la Norvège, maintiennent leur aide, tandis que certains l’augmentent : Espagne, Portugal. Mais le tarissement annoncé de ses ressources place l’agence dans une situation impossible : elle pourrait se trouver contrainte de cesser ses activités à la fin du mois de février. Avec des conséquences désastreuses pour la population de Gaza et des répliques dans tout le Moyen-Orient, où l’UNRWA fournit des services essentiels (santé, éducation, aide alimentaire) à 6 millions de personnes.
Le gouvernement israélien promet, dans cette séquence, de faire toute la lumière sur « les liens de l’UNRWA avec le terrorisme ». Problème : il n’a rendu publique aucune preuve. À Washington, le secrétaire d’État Antony Blinken juge ces allégations « hautement, hautement crédibles ». Mais, de son aveu même, il se contente de croire Benyamin Netanyahou sur parole : « Nous n’avons pas eu la possibilité d’enquêter nous-mêmes. »
L’agence onusienne elle-même n’a jamais eu accès à la moindre preuve étayant ces accusations – fondées, selon le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, sur des interceptions de smartphones et des cartes d’identité saisies. En fait, l’agence a dû réagir sur la base de fuites dans la presse internationale d’une « évaluation » des services de renseignements israéliens. Or, même le très sérieux Financial Times, qui a consulté ces éléments, affirme qu’ils ne fournissent aucune preuve.
Bien qu’inédite par son ampleur, cette tempête n’est pas la première dans l’histoire de l’agence, sujette à un sous-financement chronique et cible privilégiée de la droite israélienne. À Washington, depuis des années, les auditions se succèdent au Capitole pour accabler l’UNRWA et appeler à sa refonte structurelle, voire à son démantèlement et à son absorption par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
De hauts fonctionnaires onusiens régulièrement les cibles de campagnes de dénigrement
Chris Gunness
Dernier épisode en date : l’audition par le Sénat américain, le 31 janvier, de Hillel Neuer, directeur de UN Watch, un think tank pro-israélien. Tempo parfaitement choisi, à la veille de l’examen d’une loi débloquant une enveloppe d’aides à Israël, tout en interdisant d’allouer des fonds à l’UNRWA. « Nous ne devrions pas être surpris par ce qui s’est passé le 7 octobre car c’est le message que ces Palestiniens ont reçu pendant plus de soixante-dix ans dans les écoles de l’UNRWA », a plaidé ce jour-là cet avocat canadien.
Créée en 1993, UN Watch s’est spécialisée dans la surveillance des instances de l’ONU, accusées de « fermer les yeux sur l’antisémitisme », et surtout, dans la critique de toute critique des politiques israéliennes de colonisation et d’occupation.
De hauts fonctionnaires onusiens sont régulièrement les cibles de ses campagnes de dénigrement. Ce fut le cas de Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation, vilipendé pour avoir mis en lumière l’usage par Israël de la faim comme arme de guerre. « Cette organisation n’a rien d’indépendant ! tranche-t-il. C’est une bande dangereuse, liée à la droite et à l’extrême droite israéliennes, dont les accusations sont tellement ridicules qu’elles n’ont aucune crédibilité. »
Dans son dernier rapport, intitulé « UNRAW’s Terrorgram », publié en janvier, le think tank recense, sur la base de captures d’échanges sur la messagerie instantanée Telegram, les profils de 30 enseignants qui auraient « applaudi et célébré le massacre du Hamas le 7 octobre ». Suffisant, à ses yeux, pour vouer toute l’agence aux gémonies : « L’UNRWA a un problème systématique de soutien à l’antisémitisme et au terrorisme djihadiste ! » lançait Hillel Neuer, le 9 février, sur la chaîne israélienne francophone i24 News.
Le 14 mars 2023, un autre think tank était auditionné par le Congrès à Washington : Impact-se, à l’origine d’un rapport cosigné par UN Watch sur « l’incitation à la haine et à la violence par les enseignants et les écoles de l’UNRWA ». Les écoles des Nations unies y sont accusées d’appeler « régulièrement au meurtre des juifs » et de créer « du matériel pédagogique qui glorifie le terrorisme, encourage le martyre, diabolise les Israéliens et incite à l’antisémitisme ». Impact-se avait déjà produit, les deux années précédentes, des études de la même teneur. Réponse du commissaire général de l’UNRWA, dans son rapport 2022 à l’Assemblée générale de l’ONU : « Les programmes reflètent une approche pédagogique fondée sur la pensée critique et l’éducation aux droits humains » et sont « conformes aux valeurs de l’ONU ».
« La mission de l’UNRWA doit prendre fin. L’UNRWA s’auto-entretient. Elle se perpétue également dans son désir de maintenir vivante la question des réfugiés palestiniens », affirmait récemment Benyamin Netanyahou devant une délégation d’ambassadeurs à l’ONU. Un aveu : à travers les attaques israéliennes contre l’agence, c’est le statut même de réfugié reconnu aux descendants des Palestiniens chassés de leurs terres dès 1948 qui est contesté. Et, avec lui, le droit au retour.
