A Madrid, le soutien aux Palestiniens à chaque coin de rue

Publié le par FSC

Luis Reygada
L'Humanité du 23 mai 2024

En moins de deux semaines, la mobilisation étudiante a gagné la plupart des facs espagnoles, comme ici à Complutense. © Oscar del Pozo/AFP

 

Depuis l’offensive israélienne post-7 octobre, l’Espagne se démarque de ses voisins et apparaît comme le fer de lance de la cause palestinienne en Europe. Reportage à l’université de Complutense occupée par les étudiants madrilènes.

Drapeaux accrochés aux balcons, keffieh rouge ou noir porté en écharpe par des passants, graffitis ou affiches bien en vue sur les murs invitant à des rassemblements : dans nombre de quartiers de Madrid, les preuves de soutien au peuple palestinien sont visibles à chaque coin de rue. Historiquement liée au monde musulman et diplomatiquement proche des pays arabes depuis l’époque du dictateur Franco, l’Espagne – qui n’a établi de relations officielles avec Israël qu’en 1986 – figure, selon une enquête YouGov de 2023, en tête des « pays occidentaux où le niveau de sympathie sociale envers la Palestine est le plus élevé ».


Depuis la réponse sanglante d’Israël à la suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre, un mouvement populaire de soutien à la Palestine traverse tout le pays et les manifestations réunissent régulièrement des milliers de personnes dans les rues espagnoles, à l’appel notamment d’une plateforme unitaire forte d’une coalition très large de partis politiques, de syndicats et d’organisations sociales. Dernière démonstration de force, le week-end du 18 mai, avec des rassemblements dans plus de 50 villes pour exiger « la fin du génocide, la fin du commerce des armes et la rupture des relations avec Israël ».

Les étudiants mobilisés


Depuis près d’un mois, les étudiants universitaires ne sont pas en reste. Après avoir traversé l’Atlantique et touché quelques campus européens, la vague de protestations en faveur de la Palestine sur les campus a atteint l’Espagne, en commençant, le 29 avril, par la faculté de philosophie de l’université de Valence, avec le soutien du chapitre local de la campagne « Boycott, désinvestissement et sanctions ».

En moins d’une semaine, les campements installés sur les campus se sont étendus à plusieurs régions : Pays basque, Aragon, Andalousie, Catalogne, Galice… À Madrid, à la sortie du métro Ciudad Universitaria, plus de 200 tentes parsèment les deux côtés de l’avenue Complutense, qui traverse l’université du même nom, peut-être la plus prestigieuse du pays.


Le gros du campement a pris ses quartiers à l’entrée du bâtiment de la Maison des étudiants, dont la façade principale est recouverte de banderoles clamant la « liberté pour la Palestine » et dénonçant la « complicité criminelle avec Israël ». L’esplanade située au pied du monument érigé en hommage aux Brigades internationales de la guerre d’Espagne est entourée de drapeaux palestiniens ; elle fait office de centre névralgique de cet espace réquisitionné par les étudiants pour faire entendre leurs revendications. « Nous exigeons la rupture complète des liens entre nos universités et tout type d’entité israélienne – que ce soit en matière de coopération pour la recherche, d’accords de mobilité ou autres », explique Andrés, un des porte-parole du campement.


« Il faut au contraire développer les partenariats côté palestinien, sans oublier de couper les ponts avec nos entreprises qui collaborent avec Israël, comme la banque Santander, et peu importe si elle finance l’université. » Cheveux ébouriffés – on devine qu’il a dormi sur place –, il précise que les étudiants de la capitale se sont mobilisés en un seul point : sont présents ici des élèves de la Complutense, mais aussi des universités Carlos III, Rey Juan Carlos, Autonome de Madrid, Polytechnique… Ses positions semblent très proches de celles du parti Unidas Podemos : une intransigeance absolue vis-à-vis du gouvernement, dirigé par le socialiste Pedro Sánchez, et qu’importe si celui-ci fait figure, au-delà des Pyrénées, de fer de lance de la cause palestinienne en Europe. « Le bilan des morts à Gaza approche les 35 000, il n’y a pas de demi-mesure qui vaille ! », tranche-t-il.

Des effets d’annonce à la veille des élections européennes ?


Plus loin, Sara abonde : « Quelle que soit la couleur politique du gouvernement, le rôle de l’Espagne sera toujours de blanchir Israël », assure-t-elle. Pour cette étudiante en philosophie, peu importe que la ministre de l’Enseignement supérieur, Diana Morant, ait exprimé « sa fierté » vis-à-vis des mobilisations universitaires. Ou encore que celle de la Jeunesse, Sira Rego – d’origine palestinienne – organise au Congrès des députés des colloques « contre le génocide et le colonialisme » israélien et pousse, avec ses collègues de la coalition Sumar (l’aile gauche du gouvernement), vers la reconnaissance de l’État de Palestine…


« Aucune importance », à ses yeux, que le ministre des Droits sociaux, Pablo Bustinduy, ait demandé publiquement aux entreprises ibériques présentes en Israël de ne pas « contribuer aux violations flagrantes des droits de l’homme commises dans les territoires palestiniens occupés et à Gaza », où il a qualifié la situation de « génocide ».
Et si Sánchez s’est bien rendu, en novembre 2023, aux portes de Gaza pour y fustiger « la tuerie de civils innocents, dont des milliers d’enfants », et que ses positions ont créé plusieurs crises diplomatiques avec Tel-Aviv durant ces derniers mois, Sara n’y voit que des gesticulations, des effets d’annonce à la veille des élections européennes. « Je ne vois pas grand-chose pour aider concrètement les Palestiniens, par contre nous continuons de vendre des armes à (Benyamin) Netanyahou », insiste-t-elle.


À côté du barnum faisant office de commission d’information, Alberto, la soixantaine, est beaucoup moins sévère avec son gouvernement. Membre d’une association culturelle d’un quartier de l’est de la capitale, il est « de toutes les manifs » pour la Palestine et rend visite au campement avec une quinzaine de ses voisins « pour apporter de la nourriture aux jeunes, mais surtout leur exprimer notre soutien militant ». S’il ne va pas jusqu’à considérer comme « courageuses » les positions de Sánchez, il reconnaît son rôle moteur « au sein de l’Occident », tout en le qualifiant d’« insuffisant ».
Face au « massacre qu’endurent les Gazaouis », c’est bien plus à l’Union européenne qu’il en veut et à son « double discours cynique » en matière de droits de l’homme : « Je ne me pose qu’une seule question : quel niveau d’horreur faut-il atteindre pour la réveiller ? »

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Notes :

La révélation, en février, de la livraison d’armes à Israël en novembre 2023, malgré l’embargo décrété par le gouvernement, a suscité une vaste controverse au sein de la gauche espagnole. Le secrétariat d’État au Commerce a expliqué que l’envoi correspondait à une licence « autorisée avant le 7 octobre ».

 

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