Sous pression macronienne REPRESSION à Sciences Po

Publié le par FSC

Par Soazig Le Nevé et Christophe Ayad
Le Monde du 23 mai 2024

Des manifestants dansent alors qu’ils organisent un sit-in près de l’entrée d’un bâtiment de l’Institut d’études politiques (Sciences Po Paris) occupé par des étudiants, à Paris, le 26 avril 2024. JULIEN DE ROSA / AFP

 

La décision, annoncée jeudi par l’administrateur provisoire de l’établissement, Jean Bassères, fait suite à l’occupation, le 12 mars, d’un amphithéâtre. Les avocats de certains étudiants demandent « un classement sans suite » de l’enquête interne ayant conduit à ce renvoi en conseil de discipline.


Huit étudiants de Sciences Po sont convoqués en section disciplinaire après l’occupation, le 12 mars, d’un amphithéâtre rebaptisé « amphi Gaza ».

A l’issue d’une quarantaine d’auditions menées par une cellule d’enquête interne, présidée par l’ancienne magistrate Catherine Fischer-Hirtz, l’auteur de la phrase « Ne la laissez pas rentrer, c’est une sioniste » qui aurait été adressée à une membre de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) n’a pas pu être identifié, regrette dans un entretien au Parisien, jeudi 23 mai, l’administrateur provisoire de l’établissement, Jean Bassères.
 

Dans un message adressé jeudi à la communauté de l’école, dont Le Monde a eu copie, Jean Bassères annonce que « l’enquête a permis d’établir la tenue d’actes et de propos contraires [au] règlement et aux valeurs de Sciences Po, le 12 mars dernier ». Parmi ces actes, détaille-t-il, « on compte l’occupation de l’amphithéâtre, le filtrage d’une étudiante à l’entrée, des propos à caractère discriminatoire tenus à l’encontre de l’Union des étudiants juifs de France, des propos dénigrant Sciences Po et ses personnels, ainsi qu’un acte d’intimidation à l’égard d’un enseignant ». Il ajoute que, « en dépit de ses investigations approfondies, [la cellule d’enquête] n’a pas été en capacité d’identifier le ou les auteurs » de la phrase en question.


L’événement était devenu une affaire d’Etat, le président de la République, Emmanuel Macron, ayant dénoncé des propos « inqualifiables et parfaitement intolérables ». Une centaine d’étudiants avaient participé à cette mobilisation surprise, à l’appel de coordination universitaire contre la colonisation en Palestine, un réseau qui se présente comme constitué de chercheurs, d’enseignants-chercheurs et d’étudiants engagés « pour mettre fin à la guerre génocidaire et à la colonisation en Palestine ».

Des propos avérés


Le 13 mars, au côté de la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, le premier ministre, Gabriel Attal, avait annoncé la saisine du procureur de la République et s’était invité au conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques, instance de gouvernance de l’école, s’inquiétant d’une « forme de pente, de dérive liée à une minorité agissante et dangereuse, à Sciences Po ».


Dans Le Parisien, Jean Bassères rapporte que, à l’issue de l’enquête interne, « il y a une conviction que la phrase “Ne la laissez pas entrer, c’est une sioniste” a été prononcée sous cette forme ou une autre ». Auprès du Monde, la direction de Sciences Po explique que « des témoins auditionnés ont rapporté des formulations proches, mais qui ne recoupaient pas mot pour mot cette phrase », leurs récits ne permettant pas par ailleurs d’identifier l’auteur des propos, homme ou femme.


Quant aux propos à l’égard de l’Union des étudiants juifs de France, ils étaient du type « méfiez-vous, des membres de l’UEJF sont dans la salle », « l’UEJF vous filme », ajoute la direction. « Ils n’étaient pas antisémites, mais relèvent de la discrimination. »
« Le rapport [de la cellule d’enquête interne ] dit qu’une étudiante juive a bien été filtrée à l’entrée de l’amphi et que des propos discriminatoires ont bien été prononcés à l’encontre de l’UEJF », souligne dans un communiqué l’Union des étudiants juifs de France. « Ces graves événements doivent servir de prise de conscience et entraîner une mobilisation totale de la communauté universitaire contre l’antisémitisme sur les campus », estime Samuel Lejoyeux, président de l’association.

« Une chasse aux sorcières »


Dans un communiqué, l’Union étudiante, syndicat majoritaire, relève que, « alors que pour les événements du 12 mars, aucun acte ou propos antisémite n’est avéré », la décision de renvoyer huit étudiants en conseil de discipline « s’apparente à une véritable chasse aux sorcières ». Cela « soulève des questions quant à l’indépendance de la direction et sur l’avenir des valeurs qui sont censées être celles d’une université », ajoute-t-il.


Dans un courrier adressé à Catherine Fischer-Hirtz jeudi, cinq avocats du barreau de Paris ayant assisté des étudiants entendus par la commission demandent un classement sans suite de l’enquête. A leurs yeux, celle-ci « constitue en elle-même une atteinte grave à la liberté d’expression et d’association des étudiants qui ne paraît pas nécessaire, et encore moins proportionnée ». Ils pointent notamment le fait que des étudiants ont été « convoqués en qualité de témoin et pourtant interrogés comme des mis en cause » et qu’ils n’aient pas été « avertis de leur droit d’être assistées d’un conseil, ni de leur droit de garder le silence ».


Au sujet d’une prise de position de l’école sur le conflit entre Israël et le Hamas, que réclament les étudiants mobilisés au sein du comité Palestine, Jean Bassères indique que d’ici la fin octobre une « doctrine » sera établie sur la base d’un travail confié à la présidente du comité scientifique, au directeur des affaires internationales et à la doyenne de l’école de journalisme. A cette date, une nouvelle direction devrait avoir été désignée à la tête de Sciences Po, le processus de désignation s’achevant le 20 septembre.
 

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