Grève générale à Ramallah après l'assassinat de 4 palestiniens
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Lors d'une grève générale à Ramallah le 11 juin 2024 après que les forces israéliennes ont tué quatre Palestiniens lors d'un raid sur Kfar Naima, en Cisjordanie occupée. © Photo Zain Jaafar / AFP |
La grève générale a été déclarée dans la grande ville de Cisjordanie après la mort de quatre Palestiniens tués par l’armée israélienne. Dans la capitale de facto de l’Autorité palestinienne, personne ne croit à la résolution du Conseil de sécurité exigeant un cessez-le-feu à Gaza.
Ramallah (Cisjordanie).– Tard dans la soirée du lundi 10 juin, les sirènes des ambulances se sont répercutées d’une colline de Ramallah à une autre, et tout le monde savait que cela n’augurait rien de bon. Un tel nombre de véhicules de secours signifie forcément une incursion de l’armée israélienne, des blessés et peut-être des morts.
Les questions « Où ? » et « Combien ? » ont reçu, comme d’habitude, une réponse rapide : village de Kfar Naima, au nord-ouest de Ramallah, quatre morts, plusieurs blessés.
La capitale administrative de facto de l’Autorité palestinienne s’est donc préparée à la grève générale, appelée par le Fatah, parti de feu Yasser Arafat et de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne.
Mardi matin, les administrations, commerces, universités ont gardé portes closes. Les écoles, elles, sont déjà en vacances, à l’occasion de l’Aïd el-Kebir, qui commence en fin de semaine. La cité entière est comme en sommeil, à l’exception des boulangeries et pharmacies, ouvertes.
« Nous faisons partie des services essentiels à la population et nous assurons notre devoir, assure à Mediapart Sally al-Khoutoul, jeune pharmacienne de 23 ans. Cela ne m’empêche pas de partager la colère de mes concitoyens. Je suis solidaire, bien sûr. » Son officine tout en longueur est le seul commerce dont le volet ne soit pas baissé dans cette rue habituellement très animée, à deux pas de la place Manara, cœur de Ramallah.
Un peu plus loin, sous un dais qui protège du soleil, des dizaines de personnes, assises sur des chaises en plastique, tiennent sur leurs genoux ou contre leurs jambes autant de photos d’hommes et de femmes. Chaque portrait est flanqué du drapeau palestinien et chacun des noms précédé de la phrase « Liberté pour le détenu héroïque ». Le rassemblement, organisé par la commission aux affaires des prisonniers et ex-détenus, a été maintenu.
Une grève contre les raids incessants
Car les deux questions, celle des raids incessants de l’armée israélienne dans les villes et villages palestiniens de Cisjordanie et celle des prisonniers, se joignent dans la grève générale. « Nous devons dire haut et fort, tous unis, notre détermination et notre colère face aux assassinats et aux emprisonnements, martèle Taysir Zabri, ancien leader du parti marxiste Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) en Jordanie, élu en 2006 en tant qu’indépendant au Conseil législatif palestinien (le Parlement), suspendu depuis 2007. Plus de 500 Palestiniens ont été tués par l’armée d’occupation [armée israélienne – ndlr] depuis le 7 octobre. Nous avons plus de 9 500 détenus. Sans parler des martyrs de Gaza. Ça suffit ! »
« La grève générale est une tradition très importante du mouvement palestinien, car elle exprime à la fois l’unité du peuple palestinien derrière le mot d’ordre de la lutte nationale et le choix de la non-violence. Elle envoie également un message à l’occupant : nous ne céderons pas et nous sommes unis face à vos assassinats, explique Ghassan Khatib, professeur de relations internationales à l’université de Bir Zeit et intellectuel respecté. Dans le cas d’aujourd’hui, la grève générale exprime la solidarité avec le village de Kfar Naima. »
Que s’est-il passé à Kfar Naima lundi soir ? Comme bien souvent, voire toujours, les versions divergent entre les forces israéliennes et les témoins palestiniens.
Selon un communiqué de la police israélienne mentionné par Le Monde, l’incursion militaire avait comme objectif d’« arrêter l’un des terroristes venus commettre une attaque contre des juifs et qui avaient incendié un mobile home à la ferme de Sdé Ephraïm ».
« Dès l’arrivée des forces de l’ordre au lieu où se cachaient des suspects, le terroriste [de Sdé Ephraïm] et trois autres ont tenté de s’enfuir à bord d’un véhicule et ont même renversé des agents infiltrés qui opéraient dans la zone. Les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur le véhicule et neutralisé les terroristes », a ajouté la police.
L’extension des colonies s’accélère
Une vidéo tournée de nuit par une caméra thermique et diffusée sur des réseaux sociaux montre un homme, la tête couverte d’une capuche, autour d’un mobile home posé sur le plateau d’un semi-remorque, alors qu’un feu embrase la caravane.
Les mobile homes de ce type sont utilisés par les colons pour étendre le territoire des colonies, illégales au regard de la loi internationale. Ils sont en général installés à quelque distance de la colonie « mère » et permettent au mouvement des colons de s’emparer des terres palestiniennes se trouvant entre les deux endroits.
L’avant-poste de Sdé Ephraim a été établi de façon illégale même aux yeux de la loi israélienne, c’est-à-dire sans l’aval officiel des autorités, à proximité des villages palestiniens de Ras Karkar et Kfar Naima. Les affrontements et incidents entre colons juifs israéliens et habitants palestiniens y sont très nombreux.
L’extension des colonies connaît une nette accélération depuis l’arrivée au pouvoir, dans le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, de deux représentants des mouvements de colons les plus radicaux, suprémacistes juifs et religieux, Bezalel Smotrich, aujourd’hui ministre des finances, et Itamar Ben Gvir, détenteur du portefeuille de la sécurité nationale.
Depuis le 7 octobre 2023 et le massacre commis par le Hamas et d’autres factions palestiniennes à proximité de la bande de Gaza, les colons ont carte blanche.
Récits contradictoires
L’homme sur la vidéo serait, affirme la police israélienne, Mohamed Jaber, 42 ans, membre des brigades Al-Qassam, branche armée du Hamas, ce que confirme le mouvement mais que nie sa famille. C’est lui que les forces spéciales israéliennes sont allées chercher à Kfar Naima lundi soir. Elles auraient tué trois complices de Mohamed Jaber qui tentaient de s’enfuir en voiture et donné l’assaut à la maison où celui-ci se trouvait, l’abattant à son tour.
Un membre de la famille de Mohamed Jaber, que Mediapart a réussi à joindre mardi 11 juin dans l’après-midi, raconte une tout autre histoire.
Lundi, au coucher du soleil, l’armée israélienne a lancé une incursion dans le village, comme elle le « fait une fois par semaine depuis octobre 2023 », précise notre témoin, qui veut protéger son anonymat pour des questions de sécurité. Mohamed Jaber, sorti de prison en 2021 après deux décennies d’incarcération, se trouvait dans le petit supermarché qu’il a acquis à sa sortie de détention, quand il a appris qu’un jeune avait été blessé.
Lui dont la femme va accoucher de son premier enfant dans quelques semaines se serait porté au secours du blessé avec deux amis, pensant que les forces israéliennes avaient quitté le village. C’est en s’approchant du blessé que sa voiture aurait été mitraillée.
Les corps n’ont pas été rendus aux familles, a affirmé le proche que Mediapart a joint. Cette rétention des dépouilles est une pratique habituelle des forces israéliennes. Et leur récupération une revendication récurrente des Palestiniens, qui était aussi portée par la grève générale de ce mardi.
« Ce qui s’est passé à Kfar Naima n’a rien d’exceptionnel, commente Ghassan Khatib. Selon les Israéliens eux-mêmes, plus de 500 Palestiniens ont été tués ainsi depuis octobre. Hier, c’étaient quatre à Kfar Naima. La semaine derrière trois, dans le camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, la semaine d’avant cinq, dans celui de Jénine, etc. Il y a une nette augmentation de la brutalité israélienne. »
Une résolution de l’ONU reçue sans espoir
Dans cette ambiance de grande tension, la résolution votée par le Conseil de sécurité de l’ONU lundi 10 juin est passée quasiment inaperçue à Ramallah. Sally, la pharmacienne, n’était pas au courant. Elle est pourtant originaire de Gaza et, souligne-t-elle, a perdu des membres de sa famille parmi les plus chers à son cœur, sa tante et le mari de celle-ci. « Ils ont été tués dans leur voiture alors qu’ils fuyaient vers le sud. Ils laissent dix enfants orphelins. Si le monde voulait vraiment que le massacre s’arrête à Gaza, il se serait mobilisé avant, soupire-t-elle. Tout ça, cette résolution, c’est encore de la poudre aux yeux. »
La résolution 2 735 présentée lundi 10 juin au Conseil de sécurité par les États-Unis et adoptée par 14 voix pour et une abstention, celle de la Russie, enjoint au Hamas et à Israël d’adopter et de respecter le plan en trois étapes proposé par le président Joe Biden le 31 mai.
La première phase, d’une durée de six semaines, prévoit un cessez-le-feu temporaire, la libération d’une partie des otages, celle de prisonniers palestiniens, le retrait des forces israéliennes des zones habitées et un accès pour l’aide humanitaire. Lors de la deuxième étape, les otages israéliens encore captifs seraient libérés, le cessez-le-feu deviendrait permanent et le retrait de l’armée israélienne de la bande de Gaza complet. La troisième phase serait consacrée à la reconstruction de l’enclave palestinienne.
Bien évidemment saluée par les chancelleries à travers le monde, elle est portée à bout de bras par le secrétaire d’État américain Antony Blinken, en tournée pour la huitième fois au Proche-Orient depuis le 7 octobre. Il a jugé « encourageante » la déclaration du Hamas se disant prêt à négocier les détails du plan et a affirmé que le premier ministre israélien l’avait assuré de son engagement à l’accepter.
Seulement, cet optimisme semble relever davantage de la méthode Coué que de l’analyse réaliste.
Dès lundi, la représentante d’Israël aux Nations unies, Reut Shapir Ben-Naftaly, rappelait la position de son gouvernement : « la guerre s’arrêtera » quand les « objectifs » israéliens « seront remplis ». Ceux-ci, libération de tous les otages et destruction du Hamas, semblent peu compatibles avec le plan par étapes présenté par Joe Biden.
Autre signe propre à doucher les espoirs, le quotidien israélien Haaretz, dans sa version en anglais, n’a consacré qu’un court article mardi matin à ce vote pourtant inédit, et rappelait que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou a déjà « publiquement fait part de son opposition au cadre de la résolution ».
À Ramallah, l’Autorité palestinienne a bien sûr affirmé son soutien. Mais elle est bien la seule à faire semblant d’y croire. « Ça ne vaut même pas le coup de commenter », lâchait mardi matin Qaddoura Fares, président de la commission aux affaires des prisonniers, à l’unisson des personnes interrogées par Mediapart lors du rassemblement en faveur des prisonniers.
« Cette résolution, c’est bien mais pas assez, affirme Ghassan Khatib. Vous savez que le diable se cache dans les détails. Quand il s’agira de négocier les détails de la mise en place surgiront les positions irréconciliables. Côté Hamas, ils veulent non pas un cessez-le-feu mais la fin de la guerre. Ce que refusent les Israéliens, qui ont pour objectif la destruction du Hamas. Aucun dirigeant israélien ne peut accepter autre chose qu’une victoire en échange de la fin de guerre. Cette résolution arrange les affaires de Biden, qui montre qu’il agit, mais je crains qu’elle ne soit jamais mise en œuvre. »
Ce ne serait pas la première fois. L’histoire d’Israël et de la Palestine est pleine de résolutions onusiennes contraignantes restées lettres mortes.