L’initiative de Biden sur Gaza, jugée « positive » par le Hamas, place Nétanyahou face à ses contradictions
Par Louis Imbert et Hélène Sallon
Le Monde du 1er juin 2024
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Joe Biden lors d’une conférence de presse sur la situation dans la bande de Gaza, à Washington, le 31 mai 2024. EVELYN HOCKSTEIN / REUTERS |
Benyamin Nétanyahou s’est trouvé contraint de confirmer, vendredi 31 mai, la proposition de cessez-le-feu à Gaza dévoilée par le président américain, Joe Biden. Comment pourrait-il s’y opposer sur le fond ? Cette proposition est israélienne. M. Nétanyahou rappelle qu’il a lui-même autorisé ses négociateurs à la mettre sur la table. Cependant, il contredit frontalement l’interprétation qu’en donne son grand allié.
Pour Joe Biden, ce texte dessine un processus dont la finalité explicite est de mettre fin à la guerre, comme le Hamas l’exige. Or, M. Nétanyahou se refuse à refermer cette page. Au contraire, affirme-t-il, ce « deal » permettrait à Israël « de continuer la guerre jusqu’à ce que ses objectifs soient atteints, y compris la destruction des capacités militaires et de gouvernement du Hamas. La proposition effectivement avancée par Israël, y compris la transition sous conditions d’une phase à l’autre, permet à Israël de respecter ces principes », répète-t-il.
Depuis des semaines, le premier ministre est « isolé » au sein de son propre gouvernement, affirmaient récemment plusieurs sources proches des négociateurs israéliens au Monde, sous le couvert de l’anonymat. Contraint par ses propres ministres à accepter des termes qu’il s’empresse par la suite de troubler, voire de contredire, M. Nétanyahou suscite le « désespoir » des négociateurs israéliens. Ceux-ci le jugent « accaparé par sa seule survie politique ». Ils le soupçonnent de « saboter » leurs efforts, afin de prolonger la guerre et de se maintenir au pouvoir, tout en laissant ses alliés d’extrême droite rêver d’un nettoyage ethnique de Gaza et de sa recolonisation.
Reconnaître que le Hamas a survécu à la guerre
« La seule divergence entre Israël et le Hamas, c’est de savoir si une reconnaissance de la fin de la guerre doit être exprimée ou si elle doit simplement avoir lieu sans être dite », résumait l’une de ces sources. Cependant, le gouvernement a conscience, précise-t-elle, qu’un accord impliquerait « de cesser toutes les opérations militaires, éventuellement de retirer les troupes de Gaza, la libération d’un certain nombre de terroristes des prisons israéliennes et, au moins, une acceptation implicite du fait que le Hamas n’est pas tout à fait exclu de la gouvernance de Gaza, mais qu’il exercera une influence sur l’entité qui contrôlera l’enclave dans une phase de transition, et peut-être au-delà ».
Reconnaître explicitement que le Hamas a survécu à huit mois de guerre demeure inenvisageable pour les élus israéliens. L’opinion ne leur pardonnerait pas ce constat des limites de la puissance de l’Etat hébreu, alors que le bilan de l’écroulement vertigineux des capacités de dissuasion israéliennes, le 7 octobre 2023, reste à faire. C’est pourquoi Joe Biden s’est adressé directement aux Israéliens, en leur assurant que « le Hamas n’est plus capable d’organiser un nouveau 7 octobre », contredisant le principal argument de la droite israélienne.
Le mouvement palestinien a tenu, pour sa part, à accueillir « positivement » cette feuille de route, qu’il qualifie d’« américaine », insistant sur le sens que lui donne M. Biden. D’ordinaire prompt à dénoncer la « complicité des Etats-Unis dans le génocide à Gaza », le Hamas a, cette fois, salué la position américaine en ce qu’elle pose « la nécessité de mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza ». Il est ainsi revenu sur le refus qu’il exprimait encore la veille, après l’aval donné par le cabinet israélien au nouvel accord-cadre. Le mouvement islamiste s’était dit opposé à toute reprise des négociations tant que dureraient les combats à Rafah, où Israël a déplacé de force un million de Palestiniens, afin de se rendre maître de la zone frontalière avec l’Egypte.
Démarche « constructive »
Mis au défi par le président américain – « le Hamas dit qu’il veut un cessez-le-feu ; cet accord est une opportunité de prouver qu’il le veut vraiment » –, le mouvement islamiste devait faire montre de bonne volonté. Alors qu’il répète, depuis le début des négociations fin janvier, être engagé dans une démarche « constructive » et « positive », il n’a pas intérêt à apparaître comme étant le camp par qui les négociations achoppent.
Le Hamas entend en effet tirer un gain politique de la guerre. Il veut se défaire du statut de paria que son attaque sanglante contre Israël, le 7 octobre 2023, lui a conféré au sein de la communauté internationale. Il subit aussi la pression des médiateurs arabes, le Qatar et l’Egypte, qui essuient eux-mêmes des critiques en Israël et aux Etats-Unis pour leur incapacité à faire plier les cadres du mouvement.
Le président Biden a semblé offrir les garanties que réclame le mouvement islamiste, en affirmant que l’accord visait à parvenir à une « cessation permanente des hostilités » et au retrait des forces israéliennes de la bande de Gaza. Dans ses grandes lignes, la feuille de route exposée par Joe Biden reprend d’ailleurs le texte avalisé par le Hamas début mai. Une différence notable, cependant : cette proposition autorise Israël à maintenir ses principales positions militaires dans l’enclave durant une première phase de l’accord, quand le Hamas exigeait, pour sa part, leur retrait rapide.
Poursuivre les raids
Depuis des jours, les fuites se multiplient dans la presse israélienne, indiquant que le gouvernement Nétanyahou pourrait se contenter de n’appliquer que la première phase de l’accord, afin d’obtenir la libération d’une vingtaine d’otages parmi les plus fragiles, sur la soixantaine qui demeurent possiblement en vie. Les autres, notamment les militaires, seraient par la suite abandonnés à leur sort, et l’armée conserverait ses positions dans Gaza, afin de préserver son contrôle sécuritaire sur l’enclave.
En tout état de cause, le gouvernement et l’état-major s’accordent, dans leur ensemble, sur la nécessité de poursuivre durant de longues années des raids contre le Hamas. Ce dernier le comprend très bien et place ainsi Israël face à ses contradictions, vendredi, en exigeant que le gouvernement Nétanyahou déclare son engagement « explicite » à une fin des hostilités dans la bande de Gaza.