Après Gaza, Israël pourrait exporter sa guerre au Liban
Pierre Barbancey
L'Humanité du 30 juillet 2024
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Une épaisse fumée s'échappe du village de Kfarkela, à la frontière sud du Liban, après avoir été la cible d'un bombardement israélien, le 29 juillet 2024. © STR/dpa/ABACAPRESS.COM |
Dans les jours qui viennent, tout pourrait basculer. Après la mort de 12 jeunes sur le plateau du Golan occupé et annexé par Israël, Netanyahou a promis une « réponse sévère » mais pourrait doser la réplique pour complaire aux États-Unis, avec lesquels il est en désaccord concernant l’avenir de la bande de Gaza.
Benjamin Netanyahou a juré lundi d’apporter une « réponse sévère » après qu’une roquette se soit abattue, samedi, sur la petite ville de Majdal Shams, sur le plateau du Golan syrien, occupé et annexé par Israël et dont une partie est frontalière avec le Liban. Douze jeunes ont été tués. Si Washington et Tel Aviv ont accusé le Hezbollah, l’organisation chiite libanaise a nié toute responsabilité.
Le premier ministre israélien, de retour des États-Unis, s’est rendu sur place dans une opération de communication dont il est friand. Malheureusement pour lui, là comme à Tel Aviv où il est régulièrement conspué par les manifestants pour sa politique guerrière qui empêche le retour des otages, des dizaines de résidents de Majdal Shams se sont rassemblés contre lui, certains criant « meurtrier, meurtrier ». Interrogé par l’AFP, un habitant druze, Kamil Khater, a expliqué: « Au Golan nous voulons seulement la paix. Que Netanyahou rentre chez lui ! C’est à cause de lui que la guerre a éclaté ».
La tension monte entre Israël et le Hezbollah
Après la visite de Netanyahou à Majdal Shams, les dirigeants druzes ont publié un communiqué dans lequel ils soulignent que « la tragédie est immense, l’impact est douloureux et la perte est partagée par tous les foyers du Golan ». Mais, en raison de la doctrine druze qui « interdit le meurtre et la vengeance sous quelque forme que ce soit, nous rejetons le fait de verser ne serait-ce qu’une goutte de sang sous le prétexte de venger nos enfants », ajoutent-ils.
Lors d’une interview à la chaîne qatarie Al-Jazeera, Walid Joumblatt, le leader druze du Liban, a estimé qu’e Tel Aviv « ment » et que le Hezbollah « respecte les règles d’engagement dans ses opérations et riposte lorsqu’Israël les enfreint ». Pour lui, Netanyahou « ne peut être dissuadé (de poursuivre cette guerre) que si les États-Unis cessent de lui fournir des armes et des munitions ».
Néanmoins, tous les clignotants sont au rouge. Craignant une guerre à grande échelle, plusieurs compagnies aériennes, dont Air France et Lufthansa, ont suspendu leurs vols vers Beyrouth. Le Royaume-Uni a conseillé lundi à ses ressortissants de quitter le Liban. « La situation évolue rapidement », a écrit le ministre des Affaires étrangères David Lammy sur X.
En Iran, le président Massoud Pezeshkian a averti qu’Israël commettrait « une grave erreur lourde de conséquences s’il attaquait le Liban », lors d’un appel téléphonique avec son homologue français Emmanuel Macron. Celui-ci aurait répondu « que tout devait être fait pour éviter une escalade » et appelé l’Iran à « cesser son soutien aux acteurs déstabilisateurs ». Une nouvelle guerre « aurait des conséquences dévastatrices », selon lui.
Le ministre libanais des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, tente de calmer le jeu. « N’importe quelle guerre contre le Liban va se répandre dans toute la région, et Israël subira des pertes », a-t-il précisé sur la chaîne Sky News. Selon Al-Qahira News, Beyrouth a appelé les États-Unis à exhorter Israël à se maîtriser au milieu des tensions régionales. Cette déclaration fait suite à la demande de Washington au gouvernement libanais de freiner le Hezbollah.
Netanyahou veut de garder la main
Les États-Unis multiplient les démarches diplomatiques pour dissuader Israël de frapper la capitale libanaise, Beyrouth et surtout la banlieue sud où se trouvent les infrastructures du Hezbollah, qui aboutirait à une guerre totale. Le vice-président du parlement libanais, Elias Bou Saab, a fait savoir qu’il avait été en contact avec le médiateur américain Amos Hochstein et a eu cet étonnant commentaire: « S’ils évitent les civils et s’ils évitent Beyrouth et ses banlieues, alors leur attaque pourrait être bien calculée. »
Un responsable iranien a révélé que les États-Unis avaient également transmis des messages à Téhéran au moins trois fois depuis l’attaque de samedi sur le plateau du Golan, « avertissant que l’escalade de la situation serait préjudiciable à toutes les parties ». Le département d’État américain a cependant pris soin de préciser qu’il cherchait une « solution durable » pour mettre fin à tous les incendies transfrontaliers : « Notre soutien à la sécurité d’Israël est ferme et inébranlable contre toutes les menaces soutenues par l’Iran, y compris le Hezbollah »
En Israël même, les voix ne manquent pas pour une guerre totale. A l’instar de Bezalel Smotrich, le ministre des Finances d’extrême droite qui a posté sur X le message suivant: « Pour la mort des enfants, (le chef du Hezbollah Sayyed Hassan) Nasrallah devrait payer avec sa tête. Tout le Liban devrait payer. »
Au contraire, Benjamin Netanyahou a compris l’avantage politique qu’il pourrait tirer de la situation. Malgré l’ovation reçue devant le Congrès américain, boycottée par la moitié des élus démocrates, il sait que ses visions pour Gaza ne sont pas les mêmes que pour le grand allié, dont il a besoin en fournitures d’armes notamment. Il devrait donc se contenter au Liban de frappes nombreuses mais ciblées avec un but, celui de s’inscrire dans la mise en application de la résolution 1701 des Nations que réclament les capitales occidentales, Washington et Paris en tête.
La résolution 1701 du Conseil de Sécurité de l’ONU, adoptée le 11 août 2006 au lendemain de la guerre, appelle notamment à l’arrêt complet des hostilités au Liban, au déploiement des forces libanaises au Sud-Liban, au retrait parallèle des forces israéliennes derrière la Ligne bleue, au renforcement de la force de l’ONU (FINUL) pour faciliter l’entrée des forces libanaises dans la région, et à l’établissement d’une zone démilitarisée entre la Ligne bleue et le fleuve Litani.
Netanyahou, dont l’aviation viole l’espace aérien libanais depuis des années, va donc paradoxalement se présenter comme le gardien de cette résolution en poussant les combattants du Hezbollah à se replier sur le nord, au moins en partie. Selon le correspondant de la chaîne de télévision égyptienne Al-Qahira News, le Hezbollah, en situation d’alerte maximale, a fermé plusieurs de ses bureaux politiques au sud et à l’est du Liban, en prévision d’une offensive israélienne.