Déplacés sans fin de Gaza

Publié le par FSC

Zeina Kovacs et Gwenaelle Lenoir
Médiapart du 08 août 2024

 

       Des Palestiniens quittent Khan Younès, le 30 juillet 2024. © Photo Hashem Zimmo / Sipa

 

Après dix mois à se déplacer dans la bande de Gaza, Mohamed et Hamza sont épuisés. Pour Mediapart, les deux Gazaouis se confient sur leur parcours, leur quotidien depuis le 7 octobre et la désolation qu’ils observent autour d’eux.


Hamza était étudiant en anglais, Mohamed médecin auprès de l’ONG Médecins sans frontières (MSF). L’un a 23 ans, l’autre est père de famille. Après dix mois de guerre dans l’enclave, ils tiennent bon mais ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. La femme et les enfants de Mohamed Abou Mughaisib ont réussi à s’enfuir en Égypte. Hamza Ibrahim vit toujours avec sa famille dans une maison à Deir al-Balah, où une cinquantaine de personnes sont réfugiées. Tous les deux ont été déplacés une dizaine de fois en quelques mois.


Leurs témoignages, recueillis dans le cadre de l’article sur les déplacements de population dans la bande de Gaza, méritaient une place plus grande. Parce que quand on raconte sa vie Gaza, il est impossible de n’évoquer qu’un seul aspect de la catastrophe, Hamza et Mohamed ont raconté à Mediapart ce qu’ils voient autour d’eux au quotidien. Les conséquences du manque d’hygiène sur les personnes fragiles, l’état mental de celles et ceux qui errent aujourd’hui dans l’enclave, déboussolé·es par les ordres de déplacement incessants.


Ils racontent aussi le sentiment des personnes qui ont décidé de ne plus bouger, car trop fatiguées. Celles qui préfèrent mourir plutôt que d’emballer une énième fois leurs affaires pour aller dans une zone définie comme « sûre » par l’armée israélienne. Car, comme beaucoup d’ONG le décrivent, « il n’y a plus de zone sûre à Gaza » depuis cette guerre qui a balayé toutes les règles du droit international et, dans le même temps, les maigres repères que pouvaient encore avoir les habitant·es.

« Le plus douloureux, c’est de voir les familles »


« Je peux donner un mot pour décrire la situation actuelle : c’est vraiment une reproduction de la Nakba [l’exode forcé de centaines de milliers de Palestiniens en 1948 – ndlr], une catastrophe, explique Hamza. C’est comme si nous étions dans un film qui ne s’arrête jamais. Tout est détruit, les universités, les écoles, les hôpitaux, tout. » L’étudiant en anglais originaire de Gaza City est réfugié avec sa famille depuis quelques mois dans la maison de son grand-père à Deir al-Balah. Avant cela, il a été déplacé une dizaine de fois dans le sud de la bande de Gaza.


« Cette maison fait deux étages, j’habite au premier avec des amis et de la famille proche », décrit le jeune homme de 23 ans au téléphone. Derrière sa voix, un bruit de moteur aigu gronde de manière constante : « C’est un drone israélien qui ne quitte jamais le ciel de Gaza. » Hamza n’a pas été blessé jusqu’à aujourd’hui. « Lorsque nous entendons une explosion au loin, nous faisons attention, nous restons chez nous, explique-t-il. Mais si cette maison se fait bombarder, cinquante personnes seront tuées, dont trente enfants. »


Mohamed est père de trois enfants âgés de 14 à 22 ans. Il est séparé de sa famille depuis qu’elle a réussi à quitter Gaza. « C’était un 14 février. Nous dormions et mon fils, qui restait le soir avec d’autres adolescents dehors, est entré brusquement dans la chambre et nous a dit que nos noms étaient notés dans une liste de personnes ayant l’autorisation d’aller au Caire. On a vérifié sur Internet, il y avait bien les noms de toute la famille sauf le mien. Mes proches m’ont dit d’essayer de passer avec eux. Nous nous sommes préparés et nous sommes allés très tôt le matin à la frontière. J’ai réussi à traverser mais une fois arrivé du côté égyptien, les autorités m’ont dit de rebrousser chemin. Peu importe, j’étais très heureux que ma famille ait pu s’enfuir. »


Depuis, Mohamed erre seul dans la bande de Gaza avec sa voiture. « Je vis comme un gitan. J’ai quelques affaires dans ma voiture, je peux dormir n’importe où. Je me déplace d’un endroit à l’autre, je lutte pour trouver des toilettes, prendre une douche, laver mes vêtements, manger correctement », raconte-t-il.
« Le plus douloureux, c’est de voir les familles qui se déplacent constamment de lieu en lieu pour planter des tentes. Je vois des gens pleurer aussi. Et ça rejaillit sur moi car je me mets à leur place. Je me projette dans cette situation avec ma femme, mes enfants et mon père de 80 ans. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point la souffrance des gens est grande », continue Mohamed.


Selon le médecin, la situation est d’autant plus dure pour les femmes et les personnes âgées, « à cause de la dignité ». Il reprend : « Dans notre culture, les femmes doivent avoir de l’intimité. Elles ont besoin de trouver un endroit pour se laver, pour aller aux toilettes, pour s’habiller. Un homme qui veut aller aux toilettes peut aller n’importe où. »

Résignation


« Avant le 7 octobre, Gaza était le plus bel endroit sur Terre grâce à sa plage, à son ciel, à ses terres. C’était un endroit merveilleux, reprend Hamza, enjolivant une bande de Gaza passée, puis tout est devenu guerre. » L’étudiant a été diplômé d’anglais juste avant les premiers bombardements d’octobre. « J’avais décidé de poursuivre mes études et de me préparer à des tests d’anglais pour partir étudier en Angleterre. J’ai obtenu une bourse pour ça. C’était mon rêve. » Mais depuis le 7 octobre, « tout s’est effondré », reprend-il. L’université dans laquelle il devait passer son test a été détruite.


« Les gens deviennent fous, explique Mohamed, certains commencent à parler seuls dans la rue. D’autres prétendent qu’ils sont forts, mais ce n’est pas la réalité. Ils sont tous brisés. » Il continue : « Les gens commencent à dire qu’ils préfèrent mourir, que l’armée n’a qu’à faire ce qu’elle veut. Certaines personnes n’ont pas bougé lors du dernier ordre d’évacuation, parce qu’elles ne savent pas où aller. Alors elles préfèrent rester là où elles sont. Je suis sûr que plusieurs d’entre elles sont mortes dans ces blocs. »


« On se demande quand cela va s’arrêter, quand ce “film” va finir, reprend Hamza. Parfois, nous allons sur la plage pour voir le coucher de soleil et souffler un peu. Je ne sais pas comment le décrire, mais c’est plus que simplement regarder un coucher de soleil magnifique. On y voit comme des funérailles pour un proche. »
 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article