GAZA : La comédie de médiation américaine
Pierre Barbancey
L'Humanité du 19 août 2024
Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, qui est arrivé ce lundi en Israël, se présente en médiateur d’un accord de paix. Mais l’émissaire de Joe Biden a déjà accepté les conditions de Benyamin Netanyahou et promis l’envoi d’armes à Tel-Aviv.
Si l’on ne parlait pas de 40 000 morts et d’un territoire détruit à 80 %, les paroles du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, prêteraient à sourire. « C’est un moment décisif, probablement le meilleur, peut-être la dernière occasion de ramener les otages chez eux, d’obtenir un cessez-le-feu et de mettre tout le monde sur une meilleure voie pour une paix et une sécurité durables », a-t-il déclaré dès son arrivée en Israël, lundi, pour y rencontrer notamment Benyamin Netanyahou.
Un déplacement, le neuvième depuis le déclenchement de la guerre contre Gaza, qui se tient dans une situation néanmoins différente qui force Washington à se montrer sous un jour plus « neutre ». Comme si, une fois n’est pas coutume, les États-Unis voulaient vraiment se comporter en médiateur.
Une décision prise la semaine dernière trahit pourtant les penchants de l’administration Biden. Elle vient d’approuver la vente d’armes à Tel-Aviv pour un total d’environ 20 milliards de dollars. Dans le paquet, 50 avions de chasse F-15 d’une valeur de plus de 18 milliards de dollars.
Des négociations qui s’accélèrent
Après plus de dix mois de guerre, une nouvelle réalité s’impose qui s’explique par différents facteurs. D’abord, l’objectif affiché dès le départ par les autorités israéliennes n’a pas été atteint. Le mouvement islamiste du Hamas n’a pas été éradiqué (lundi matin, d’importants combats avaient encore lieu autour de la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza). Plus de 110 Israéliens, parmi lesquels de nombreux civils, sont toujours entre les mains des groupes palestiniens.
L’attitude du premier ministre israélien ne rassure guère les États-Unis : une fuite en avant guerrière encore partagée par une majorité de ses concitoyens, qui le maintiendraient au pouvoir en cas d’élections. Seul faux pas, les attaques répétées de Netanyahou contre l’Iran et le Hezbollah libanais, avec l’assassinat du numéro 1 du Hamas à Téhéran et celui du chef militaire de l’organisation chiite à Beyrouth, qui risquent de faire exploser la région. D’où une accélération des négociations pour un cessez-le-feu depuis quelques jours afin de repousser une possible réplique iranienne contre Israël.
Pour la première fois depuis peut-être la guerre du Vietnam, l’élection présidentielle américaine pourrait se jouer à l’aune d’une question internationale avec la guerre à Gaza. Washington a aussi besoin de passer à autre chose, d’obtenir la stabilité au Moyen-Orient pour mettre en place de nouvelles lignes marchandes et énergétiques afin de mieux affronter celui qu’il considère comme son principal ennemi économique : Pékin.
C’est ainsi qu’il faut comprendre Antony Blinken lorsqu’il assure : « Je suis ici dans le cadre d’un effort diplomatique intensif sur les instructions du président Biden pour essayer de faire passer cet accord à la ligne et finalement au-dessus de la ligne… Il est temps pour tout le monde de dire oui et de ne pas chercher d’excuses pour dire non. » Un ton d’une fausse naïveté car l’ami israélien reste tout de même essentiel dans le dispositif régional. Alors le secrétaire d’État américain brouille les pistes, évitant d’entrer dans les détails.
De nouvelles conditions fixées par Israël
Les discussions ont été mises sur les rails sur la base d’une annonce faite fin mai par le président Joe Biden. Ce plan prévoit, dans une première phase, une trêve de six semaines accompagnée d’un retrait israélien des zones densément peuplées de Gaza et de la libération d’otages enlevés le 7 octobre et, dans sa deuxième phase, notamment un retrait total israélien de Gaza. Or, il semblerait que les médiateurs (États-Unis, Égypte, Qatar), après deux jours de discussions à Doha, ont fait parvenir au Hamas une nouvelle version incluant des conditions israéliennes qui modifient totalement le cadre des échanges.
Le mouvement palestinien dénonce notamment « l’insistance » israélienne à maintenir des troupes à la frontière de Gaza avec l’Égypte et de « nouvelles conditions sur le dossier » des prisonniers palestiniens susceptibles d’être échangés contre des otages retenus à Gaza. Tel-Aviv entend approuver les noms des Palestiniens susceptibles d’être libérés, veut exclure les longues peines (ce qui est le cas de Marwan Barghouti et Ahmed Saadat) et bannir ceux qui sont libérés.
Dimanche, Benyamin Netanyahou a appelé à « diriger la pression sur le Hamas » et « non vers le gouvernement israélien », dénonçant un « refus obstiné » de l’organisation islamiste de conclure un accord. « Nous faisons porter à Benyamin Netanyahou l’entière responsabilité d’avoir fait échouer les efforts des médiateurs et fait obstruction à un accord », a rétorqué le Hamas.