« Inch’allah tout se passera bien » : les Libanais dans l’angoisse en attendant la riposte du Hezbollah
Paul Khalifeh
L'Humanité du 08 août 2024
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Le brouhaha et les scènes d’adieu chargées d’émotion tranchent avec le silence sépulcral qui règne dans le terminal des arrivées, un étage plus bas. AFP |
En assassinant le chef militaire du Hezbollah, le 30 juillet, Israël s’est attiré une « riposte inévitable » du parti chiite. À Beyrouth, la population craint la perspective d’un vaste conflit.
Entre le check-point de l’armée libanaise et le terminal des départs à l’aéroport international de Beyrouth, les voitures roulent au pas. Dans le hall, les voyageurs se fraient un chemin à coups de coudes dans la foule compacte vers le premier point de contrôle de la police.
La fébrilité, la nervosité et le désordre qui règnent donnent l’impression d’un sauve-qui-peut général. « Cela faisait deux ans que je n’étais pas venue voir mes parents, regrette Siham, une infirmière de 32 ans. Trois jours après mon arrivée au Liban, j’ai écourté mes vacances pour rentrer en Belgique de crainte d’une guerre qui entraînerait la fermeture de l’aéroport. Je n’ai pas assez profité de ma famille et j’en ai le cœur serré, mais j’ai mon travail, mes amis, mon compagnon… ma vie quoi ! »
Le brouhaha et les scènes d’adieu chargées d’émotion tranchent avec le silence sépulcral qui règne dans le terminal des arrivées, un étage plus bas. L’immense hall est presque vide. Les rares voyageurs qui débarquent des avions de la MEA, la compagnie d’aviation nationale, sont accueillis par des proches, la mine grave.
« Je suis conscient que je prends un grand risque en venant à Beyrouth, le plus fâcheux étant d’être bloqué ici. Mais ma mère est malade et je ne sais pas si je la reverrais… Inch’allah tout se passera bien », se résigne Salim, un ingénieur d’une quarantaine d’années qui a refait sa vie au Canada.
L’escalade israélienne a tout changé
Depuis l’assassinat par l’armée israélienne du plus haut commandant militaire du Hezbollah, Fouad Chokr, le 30 juillet à Beyrouth et, quelques heures plus tard, du chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran, tout a changé. C’est comme si les Libanais avaient subitement compris que leur pays était réellement en guerre.
Certes, les affrontements entre le Hezbollah et l’armée israélienne, concentrés dans la partie méridionale du pays, ont fait en dix mois près de 500 morts, en majorité des combattants du Hezbollah, et plus de 2 000 blessés. Des milliers de maisons ont été totalement détruites ou partiellement endommagées et plus de 150 000 personnes ont quitté leurs villages, trop exposés. Dans le reste du pays, la vie continuait presque normalement entre les concerts, des restaurants pleins et des plages bondées.
L’assassinat de Fouad Chokr constitue pour le parti chiite une « transgression des lignes rouges » et une « violation flagrante » des règles d’engagement tacites en vigueur entre les belligérants depuis le 7 octobre. Mardi soir, le chef du Hezbollah l’a encore rappelé lors de la commémoration de la mort de son commandant militaire. « La riposte est inévitable, elle sera à la mesure du crime qui a été commis, a martelé Hassan Nasrallah. Entre nous et l’ennemi (israélien), il y a les jours, les nuits et le champ de bataille », laissant planer le doute sur l’ampleur de la riposte.
Les Libanais, les Israéliens et le monde entier attendent. Les Occidentaux – États-Unis, France et Grande-Bretagne en tête –, la Russie, la Chine et la plupart des États arabes ont appelé leurs ressortissants à quitter le pays. Les grandes compagnies aériennes ont cessé de desservir l’aéroport de Beyrouth et la MEA a réduit ses vols.
La crainte d’un engrenage meurtrier
En l’espace de quelques jours, le pays s’est vidé de ses touristes et de la plupart des émigrés qui, comme tous les ans, viennent passer l’été dans leur mère patrie. Une vague d’annulations a frappé les hôtels et de nombreux concerts et autres activités culturelles ont été également supprimés. « Nous comptions énormément sur la saison estivale pour augmenter nos recettes et équilibrer nos comptes. Pour nous, l’été s’est achevé le 30 juillet au lieu du 30 septembre », se lamente Rabih, restaurateur de la ville de Djebail.
Durant la période estivale, les dépenses des touristes et des émigrés constituent une des principales sources en devises fortes pour le Liban, frappé depuis 2019 par « une des principales crises économiques au monde en un siècle et demi », selon la Banque mondiale.
L’État, en faillite et très affaibli, est impuissant face à ces événements. Les autorités se contentent d’une gestion politique et diplomatique minimale et jouent le rôle de messager entre les grandes puissances et le Hezbollah, incontournable sur la scène locale et régionale.
Les Libanais craignent un engrenage de ripostes-représailles qui entraînerait le pays dans une guerre destructrice. « En 2006, lorsque Israël a détruit les ponts, les routes, les écoles, les usines, les Arabes nous ont aidés à reconstruire. Aujourd’hui, il n’y a plus personne pour se tenir à nos côtés », s’inquiète Amir, un étudiant en gestion.
Dans ce climat lourd et angoissant, la peur se lit sur tous les visages. Certains continuent de croire que seule « la résistance » peut tenir tête à Israël. « Si Tel-Aviv comprend qu’il paiera aussi un prix très lourd en cas d’attaque, alors les autorités israéliennes réfléchiront mille fois avant de nous agresser », conclut Hussein, un vétéran de toutes les guerres.