L'Assemblée générale des nations Unies pour des sanctions contre israël
The Guardian par Omar Barghouti
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Les Palestiniens n’ont jamais perdu espoir dans la résistance qu’ils opposent depuis des décennies au régime d’oppression impitoyable d’Israël.
Photo : Résultat du vote de l’AGNU sur une résolution relative aux politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire Palestinien Occupé © UN photo/Evan Schneider
Le Canada s’est abstenu lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté à une écrasante majorité une résolution appelant à des sanctions contre Israël le 18 septembre 2024, objectant que la résolution « s’aligne sur le boycott, le désinvestissement et les sanctions, auxquels le Canada s’oppose fermement ». Cette formulation, toute hypocrisie mise à part, renverse la vérité. Lancé en 2005, le mouvement non violent et antiraciste BDS, inspiré par la lutte anti-apartheid sud-africaine et le mouvement des droits civiques aux États-Unis, a toujours défendu les droits des Palestiniens dans le respect du droit international.
Le mouvement BDS appelle à mettre fin à l’occupation illégale et à l’apartheid d’Israël et à défendre le droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux et à recevoir des réparations. C’est l’Assemblée générale des Nations unies qui commence enfin à s’aligner sur la tâche urgente d’appliquer le droit international de manière cohérente, même à l’égard d’Israël. Comme le dit Craig Mokhiber, ancien haut fonctionnaire des Nations unies chargé des droits de l’homme, l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) fait du BDS « non seulement un impératif moral et un droit constitutionnel et humain, mais aussi une obligation juridique internationale ».
Loin d’être un énième vote de l’ONU, ce vote est historique. C’est la première fois que l’assemblée générale dénonce le régime d’apartheid d’Israël et la première fois en 42 ans qu’elle demande des sanctions pour mettre fin à l’occupation illégale, comme l’a décidé la CIJ en juillet.
De nombreux Palestiniens et militants de la solidarité restent cependant sceptiques. Près d’un an après le début du génocide israélien contre 2,3 millions de Palestiniens dans la bande de Gaza occupée et assiégée, Israël commet quotidiennement des atrocités, faisant preuve d’un niveau sans précédent d’invincibilité apparente, ou de ce que même le docile secrétaire général de l’ONU appelle « l’impunité totale ». En partenariat avec les puissances occidentales hégémoniques, les États-Unis en tête, Israël extermine non seulement des dizaines de milliers de Palestiniens indigènes, mais bafoue également les principes mêmes du droit international.
De nombreux experts des Nations unies en matière de droits de l’homme partagent cet avis. Dans une déclaration publiée le même jour, ils affirment que « l’édifice du droit international est sur le fil du rasoir, la plupart des États ne prenant pas de mesures significatives pour se conformer à leurs obligations internationales réaffirmées dans l’arrêt [de la CIJ] ». Pour se conformer à l’arrêt, les États doivent imposer des sanctions économiques, commerciales, universitaires et autres de grande ampleur à l’occupation illégale et au « régime d’apartheid » d’Israël, écrivent-ils, précisant qu’un embargo militaire complet est la mesure la plus urgente.
Dès octobre 2023, quelques jours après l’attaque génocidaire d’Israël contre Gaza, le président colombien Gustavo Petro a mis en garde contre « la montée sans précédent du fascisme et, par conséquent, la mort de la démocratie et de la liberté... Gaza n’est que la première expérience visant à nous considérer tous comme jetables ». En d’autres termes, « plus jamais ça, c’est maintenant », comme l’ont dit les groupes juifs progressistes et antisionistes. Cela signifie que la priorité la plus urgente de l’humanité est de mettre fin au génocide israélien, tout en reconnaissant que la justice pour les Palestiniens croise et est entrelacée avec les luttes pour la justice raciale, climatique, économique, sociale et de genre.
Les décisions de la CIJ, le vote historique de l’assemblée générale et les déclarations des experts de l’ONU reflètent tous une majorité mondiale montante qui soutient non seulement la lutte pour l’émancipation des Palestiniens, mais aussi la mission fondamentale de sauver l’humanité, rien de moins, d’une ère de « la force fait le droit », sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, qui relègue les institutions de l’ONU dans les poubelles de l’histoire.
Quoi qu’il en soit, les Palestiniens ne se font aucune illusion sur le fait que la justice leur sera rendue par la CIJ ou l’ONU, cette dernière étant historiquement responsable de la Nakba de 1947-1949, du nettoyage ethnique de la plupart des Palestiniens et de l’établissement d’Israël en tant que colonie de peuplement sur la majeure partie du territoire de la Palestine historique. L’échec total du système juridique international, dominé par les puissances coloniales euro-américaines, à fournir la base nécessaire, non ambiguë et juridiquement contraignante pour arrêter le premier génocide télévisé du monde, sans parler de rendre la justice, en dit long.
Nous avons le droit international de notre côté. En tant que peuple autochtone luttant contre un système d’oppression dépravé et génocidaire, nous avons une position éthique élevée pour faire valoir nos droits. L’éthique et le droit sont nécessaires dans notre lutte de libération ou dans toute autre, mais ils ne sont jamais suffisants. Pour démanteler un système d’oppression, les opprimés ont invariablement besoin de pouvoir : le pouvoir du peuple, le pouvoir de la base, le pouvoir de la coalition intersectionnelle, le pouvoir de la solidarité et le pouvoir des médias, entre autres.
En construisant le pouvoir populaire, les Palestiniens ne demandent pas la charité au monde ; nous appelons à une solidarité significative. Mais avant tout, nous exigeons la fin de la complicité. L’obligation éthique la plus profonde dans les situations d’oppression extrême est de ne pas faire de mal et de réparer le mal fait par vous ou en votre nom.
Comme l’a montré la lutte qui a mis fin à l’apartheid en Afrique du Sud, mettre fin à la complicité des États, des entreprises et des institutions avec le système d’oppression israélien, en particulier par le biais de la tactique non violente du BDS, est la forme la plus efficace de solidarité, de construction du pouvoir populaire pour aider à démanteler les structures d’oppression.
Près d’un an après le génocide, certains se plaignent de la « fatigue du génocide ». Mais les Palestiniens, en particulier à Gaza, n’ont pas le luxe de la « fatigue du génocide », car Israël continue de massacrer, d’affamer et de déplacer de force, commettant ce que les experts de l’ONU ont identifié comme « le domicide, l’urbicide, le scolasticide, le médicide, le génocide culturel et, plus récemment, l’écocide ».
Les Palestiniens n’ont jamais perdu espoir dans la résistance qu’ils opposent depuis des décennies au régime d’oppression impitoyable d’Israël. Cet espoir illimité n’est pas fondé sur des vœux pieux ou sur la croyance naïve en une victoire inévitable qui tomberait du ciel, mais sur le sumud incessant de notre peuple, sur son insistance à exister dans sa patrie, dans la liberté, la justice, l’égalité et la dignité. Elle est également ancrée dans la croissance inspirante du mouvement de solidarité mondiale et dans son impact.
Par ailleurs, comme le dit l’écrivain britanno-pakistanais Nadeem Aslam, « le désespoir se mérite. Personnellement, je n’ai pas fait tout ce que je pouvais pour changer les choses. Je n’ai pas encore gagné le droit de désespérer ». Si vous n’avez pas gagné ce droit, vous devez continuer à organiser, à espérer, à mettre fin à la complicité dans votre sphère d’influence relative. Avec un radicalisme stratégique, nous pouvons et devons vaincre le génocide, l’apartheid et toute cette oppression indescriptible.
Traduction : AFPS
Au second jour de la reprise de la dixième session extraordinaire d’urgence sur les mesures illégales prises par les autorités israéliennes à Jérusalem-Est occupée ainsi que dans le reste du Territoire palestinien occupé, l’Assemblée générale a adopté, par 124 voix pour, 14 contre et 43 abstentions, une résolution qui exige d’Israël qu’il mette fin sans délai à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé, laquelle constitue un fait illicite à caractère continu engageant sa responsabilité internationale, et qu’il le fasse au plus tard 12 mois après l’adoption du texte.
En rappel, c’est le 30 décembre 2022 que l’Assemblée générale avait adopté la résolution 77/247 dans laquelle elle a décidé de demander à la Cour internationale de Justice (CIJ) de donner un avis consultatif sur certaines questions en rapport avec le conflit israélo-palestinien. Cet avis, rendu le 19 juillet 2024, stipule, entre autres, que la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite, et qu’Israël est dans l’obligation d’y mettre fin dans les plus brefs délais.
Fort de cet avis, outre la cessation immédiate de toute nouvelle activité de colonisation, l’Assemblée générale demande à Israël de restituer les terres et autres biens immobiliers, ainsi que l’ensemble des avoirs confisqués à toute personne physique ou morale depuis le début de l’occupation en 1967. À cet égard, elle considère qu’il faut établir un mécanisme international aux fins de la réparation de l’ensemble des dommages, des pertes ou du préjudice résultant des faits internationalement illicites commis par Israël dans le Territoire palestinien occupé.
En outre, l’Assemblée générale demande la convocation dans un délai de six mois d’une conférence des Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève, relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, pour que celles-ci examinent les mesures à prendre pour faire appliquer la Convention dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est.
En présentant le texte hier, l’Observateur permanent de l’État de Palestine, qui se prêtait pour la première fois à cet exercice, avait demandé à tous de respecter le droit international et de ne pas le sacrifier sur l’autel de calculs politiques froids et irresponsables. Pour sa part, Israël avait objecté en évoquant un texte semblable à du « terrorisme diplomatique », avançant que chaque vote pour ce « cirque » ne contribuera qu’à alimenter la violence.
Parmi les 14 opposants* à ce texte, la Tchéquie a estimé que la résolution ne traite pas de la situation sécuritaire à laquelle se heurte Israël à la suite de l’attaque du Hamas. En raison de la formulation unilatérale posée par la question, la CIJ ne pouvait en aucune manière faire cas du droit à la légitime défense d’Israël, a estimé la délégation selon qui l’avis consultatif a été interprété de façon biaisée. L’Argentine a mis en avant le « détournement » du mécanisme juridique de la CIJ qu’est l’avis consultatif. Pour sa part, la Hongrie a déploré le fait que la résolution ne jette pas les bases de la mise en œuvre de l’avis de la CIJ en l’interprétant de manière sélective et en fixant des délais irréalistes.
Avant la procédure de mise aux voix, la Papouasie-Nouvelle-Guinée avait pointé le niveau d’opinions divergentes des juges de la CIJ sur cet avis consultatif et sur sa portée. Pour la délégation cela affecte la crédibilité de l’avis consultatif, et c’est la raison pour laquelle elle a décidé de ne pas soutenir la résolution.
A contrario, Saint-Vincent-et-les Grenadines, qui a également pris la parole avant le vote, a estimé que l’avis consultatif émis est conforme aux nombreuses résolutions adoptées par l’Assemblée générale. C’est pour cette raison notamment que la délégation a choisi de soutenir le texte proposé par la Palestine. Une posture également soutenue par les Îles Marshall qui ont mis en avant leur attachement au droit international.
De nombreux autre États ont eux aussi expliqué les raisons de leur soutien à ce texte après son adoption. C’est le cas de la Nouvelle-Zélande qui a fait valoir son vœu de voir la fin de ce conflit qui a un impact dans toute la région. Pour Singapour, il aurait tout de même été important de requérir l’assentiment des États avant de demander l’avis consultatif de la CIJ. La Thaïlande a espéré que le texte insufflera un nouvel élan en faveur de la paix dans la région, tandis que le Japon et la Lettonie ont insisté sur l’importance du respect du droit international.
« Le droit international et l’état de droit sont au cœur de la Charte des Nations Unies et un bouclier contre toute forme de violation », a renchéri la Grèce qui a appelé à protéger le travail de la CIJ même en cas de désaccord. Idem pour la Belgique selon qui le respect du droit international « doit être notre boussole ». Dans la même veine, l’Estonie a dit avoir voté en faveur du texte conformément à son attachement à un ordre mondial fondé sur des règles et au droit international. « Nous aurions préféré que le texte de cette résolution reprenne exactement l’avis de la CIJ que nous soutenons », a signalé la France qui a néanmoins voté en faveur du texte. Il en va de même de Monaco qui a réaffirmé son soutien au droit international et au droit international humanitaire comme socle des relations internationales, Chypre insistant pour sa part sur le rôle primordial que joue la CIJ dans un système fondé sur des règles. Évoquant un vote de solidarité avec le peuple palestinien et de soutien au droit international, la Syrie a plaidé pour un État palestinien souverain avec un statut de membre à part entière au sein de l’ONU.
À côté des opposants et des soutiens à la résolution, un peu moins du quart des États Membres (43) ont préféré s’abstenir pour diverses raisons. Le Royaume-Uni a par exemple dit préférer que la communauté internationale se focalise sur la promotion du droit international et encourage les négociations entre les parties. La Bulgarie a jugé que la résolution va au-delà de l’avis consultatif, alors que le Guatemala a mis en avant sa constante opposition aux actes de terrorisme. L’Autriche a dit plaider pour un processus politique et des négociations entre les parties, ce qui n’est pas reflété dans cette résolution.
Le Canada a dit approuver certains aspects de la résolution, mais n’admet pas une résolution dans laquelle une partie, l’État d’Israël, est tenue seule responsable du conflit. Ce texte ne fait aucune mention de la nécessité de mettre fin au terrorisme, qui préoccupe Israël en matière de sécurité, a regretté la délégation.
La République de Corée s’est dite préoccupée par le fait que certaines actions énumérées aux paragraphes 4 et 5, ne relèvent pas de l’avis consultatif de la CIJ. L’Australie a estimé pour sa part que la résolution dépasse le cadre de l’avis consultatif.
Les Pays-Bas ont regretté que le texte présenté ne tienne pas compte du contexte du conflit actuel, soit les attaques du 7 octobre dernier, tandis que l’Inde a dit avoir préféré l’abstention car il n’y a pas d’alternative que le dialogue entre les parties pour parvenir à la paix. La Suisse a aussi regretté que certains points du libellé vont au-delà de l’avis consultatif, alors que l’Allemagne a dit s’être abstenue également parce que la résolution va au-delà de l’avis consultatif et fixe un calendrier irréaliste. Kiribati a aussi expliqué son abstention en conformité avec sa position de longue date sur le conflit israélo-palestinien.
Notant que la CIJ n’a pas fixé de délai pour la mise en œuvre de son avis, la Suède a estimé qu’il aurait été préférable que la résolution accorde plus de temps aux parties pour discuter et identifier les modalités de suivi de l’avis consultatif. L’Italie s’est abstenue face à une résolution qui va au-delà de l’avis consultatif de la CIJ, notamment en ce qui concerne les sanctions. Pour la délégation, la communauté internationale et les Nations Unies ne devraient pas passer par des raccourcis pour parvenir à la solution des deux États. Le calendrier proposé par la résolution ne fait pas partie de l’avis consultatif de la CIJ, a objecté l’Équateur en justifiant son abstention. Même son de cloche pour le Costa Rica qui a dénoncé les mesures commerciales coercitives établies par la résolution.
La séance a débuté et s’est achevée avec l’intervention des délégations désireuses de prononcer un discours depuis la tribune.
*Argentine, États-Unis, Fidji, Hongrie, Israël, Malawi, Micronésie, Nauru, Palaos, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Paraguay, Tchéquie, Tonga, Tuvalu