Martine Laroche-Joubert: « Il faut montrer ce qui se passe à Gaza »
Mais il ne faut pas exagérer : la diffusion ne se fera donc pas à une heure de grande écoute !
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Par Juliette Bénabent
Télérama du 05 septembre 2024
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Dimanche, 08 septembre 2024 À 23h05 sur M6. Épaulée par la veuve d’un journaliste gazaoui, Martine Laroche-Joubert a réussi à filmer l’enclave palestinienne bombardée. Elles témoignent de l’enfer. |
« Quand on est journaliste, c’est pour la vie. Il faut montrer ce qui se passe à Gaza. » Voilà pourquoi Shrouq Aila a accepté d’aider Martine Laroche-Joubert à réaliser un documentaire dans l’enclave, sous le feu israélien depuis l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. La grand reporter (connue pour ses travaux en Libye, au Pakistan, en Centrafrique…) voulait documenter « la lutte quotidienne pour survivre » à Gaza, où elle avait déjà fait de nombreux reportages. Seulement, cette fois, les journalistes étrangers n’y ont pas accès. Et ses contacts habituels ont tous quitté la bande quand elle démarre son travail avec la production Slug News, début mars.
Un collègue de Radio France lui parle de Shrouq Aila: « Il avait collaboré avec son mari, journaliste aussi, et m’aassuréquejepouvaisavoirconfiance, qu’ils étaient professionnels et fiables, et ne travaillaient pas pour le Hamas. » Rushdi Sarraj, mari de Shrouq et père de leur fillette, Dania, est mort dans un bombardement le 23 octobre, devant leur domicile de la ville de Gaza. « Alors j’ai repris ses activités », dit simplement Shrouq, jointe par téléphone fin juillet.
À 29 ans, la jeune veuve pilote désormais Ain Media, la maison de production fondée en 2012 par Rushdi. Ses quatre membres produisent des sujets pour la presse arabe, française, américaine. Quand Martine Laroche-Joubert l’appelle, Shrouq est réfugiée à Rafah, dans le Sud. S’engage un travail « par SMS, WhatsApp, pour échanger sur les angles, les lieux où il était possible de se rendre, les questions à poser, les interlocuteurs que nous connaissions, raconte la journaliste française.
Avec les connexions instables, je recevais parfois les images après plusieurs jours. Il a fallu annuler certains tournages, trop dangereux, et s’adapter en permanence ». Pour bâtir ce document rare, qui témoigne de l’ampleur des dévastations, du danger permanent, du dénuement des Gazaouis, elle s’est aussi appuyée sur une anesthésiste de Médecins sans frontières et un obstétricien de l’ONG Palmed, filmés par euxmêmes ou par Shrouq Aila, qui montrent leurs épiques conditions de travail tout le long du territoire: à Rafah, Khan Younès, ou dans le Nord.
Début mai, Rafah est à son tour sous le feu. Shrouq fuit de nouveau comme tant d’autres, cette fois à Deir al-Balah, au centre de Gaza, sur une plage recouverte de tentes bricolées. « Je vis les pieds dans le sable, avec mon bébé d’un an et demi. Nous sommes piégés dans ces abris de nylon, de bois et de plastique, insalubres et dangereux. » Deux jours avant notre entretien, le 27 juillet, le bombardement d’une école voisine a tué trente personnes. Elle poursuit son travail, « par devoir envers [son] pays », malgré le manque d’électricité, d’accès à Internet, d’essence — « je marche parfois plusieurs heures pour rejoindre un lieu de reportage ». Et tente de vaincre la discrétion des Gazaouis.
« La parole n’est pas libre à Gaza, explique Martine Laroche-Joubert. En 2016, alors que j’interrogeais des femmes à propos du Hamas, elles avaient gardé le silence, ouvrant simplement le robinet pour montrer que l’eau ne coulait pas. » Grâce à ses anciens contacts, elle a trouvé un témoin qui critique violemment le Hamas au téléphone, dont elle a « reconstitué [la] voix pour rendre son identification absolument impossible ».
Même pour Shrouq Aila, obtenir des confidences n’a pas été facile. « Les gens ont perdu leurs proches, leur maison, leur travail. Parfois ils n’ont pas l’énergie de parler. D’autres fois, ils sont juste à court de mots. Ils ont l’impression que c’est inutile, le monde ne fait rien pour arrêter ce génocide. » Depuis sa tente, où l’on entend les bourrasques du vent et les cris d’enfants, elle tient à dire : « Nous ne sommes pas des superhéros. Nous sommes épuisés, traumatisés, malades. Nous pleurons, nous avons peur. Nous méritons de vivre. Et nous aimons la vie. »
Dimanche, 08 septembre 2024
À 23h05 sur M6.
Présenté par Bernard de La Villardière
Réalisation : Martine Laroche-Joubert