C'est le journal israélien Haaretz qui le dit

Publié le par FSC

Ils vont sans doute traiter le journal d'antisémite !

***********

Envoi de Catherine de Briançon :

 

Haaretz du 22 janvier 2025

Editorial

Le gouvernement de Netanyahu et l’administration Trump donnent le feu vert au terrorisme juif en Cisjordanie

 

Le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a déclaré mardi à propos des émeutes d’Al-Funduq, en Cisjordanie, qu’il condamnait sévèrement toutes les attaques et violences contre les Palestiniens et qu’il « était désolé de la tragédie qui s’est produite. »

Il n’y a aucune raison de douter du chagrin de Katz pour les deux colons qui ont été abattus et blessés par des policiers alors qu’ils participaient à la foule de lynchage.

D’une part, la condamnation elle-même est difficile à prendre au sérieux. Lorsqu’il a pris ses fonctions de ministre de la Défense, Katz a clairement indiqué qu’il donnait le feu vert à la violence des colons lorsqu’il a annoncé – comme l’un de ses premiers actes au pouvoir – qu’il cesserait d’émettre des ordres de détention sans procès contre les colons.

Quiconque veut comprendre ce que signifie « émeute » ferait bien de regarder les clips vidéo. Elles montrent des dizaines de colons masqués incendiant tout ce qu’ils rencontrent – véhicules, bâtiments, maisons – et jetant des pierres dans toutes les directions. Une milice à toutes fins utiles.

Le policier qui a tiré sur les deux hommes fait l’objet d’une enquête de la division des affaires intérieures de la police, soupçonné d’avoir utilisé son arme illégalement. L’agent a déclaré que les jeunes appartenaient à un groupe d’individus masqués qui l’ont attaqué avec du gaz poivré à bout portant.

« Certains d’entre eux avaient des pierres à la main et ont commencé à nous les jeter », a-t-il dit. « J’ai vraiment craint pour ma vie et j’ai tiré plusieurs fois en l’air. » Il a ajouté : « J’avais peur qu’ils me lynchent. »

Une source de sécurité a déclaré que l’officier avait peut-être ouvert le feu en pensant que les hommes masqués étaient des terroristes. Les militants de droite ont répliqué qu’il aurait dû savoir qu’ils étaient juifs puisqu’il les poursuivait avec un soldat de Tsahal.

La façon la plus simple de réconcilier ces deux versions des événements est de reconnaître qu’elles ne sont pas contradictoires – il y a des terroristes juifs.

On ne peut ignorer que Katz a apporté une contribution majeure la semaine dernière à l’établissement de parallèles entre les terroristes juifs et arabes lorsqu’il a décidé qu'« en raison de la libération attendue des terroristes [palestiniens] »

il ajouterait son propre appendice à l’accord de prise d’otages en annulant immédiatement la détention sans procès des colons actuellement en détention.

Le président américain Donald Trump a également fait sa part en encourageant la violence des colons. Mardi, il a levé les sanctions imposées par l’administration Biden aux colons impliqués dans des violences contre les Palestiniens en Cisjordanie.

Nous ne pouvons qu’espérer que l’administration Trump reviendra bientôt à la raison et se rendra compte que si elle veut promouvoir la paix mondiale, certainement au Moyen-Orient, l’entreprise de colonisation est un obstacle sérieux.

L’incident d’Al-Funduq est un avant-goût de ce qui risque de se passer sous un ministre de la Défense imprudent et un Premier ministre pour qui la préservation de la coalition est primordiale. Le seul espoir est que l’armée fasse tout ce qui est en son pouvoir pour contenir ces cellules terroristes juives.

 

L’article ci-dessus est l’éditorial principal de Haaretz, tel qu’il a été publié dans les journaux hébreux et anglais en Israël.

*******************

Vincent Lemire, historien : en Israël-Palestine, « si l’on veut faire échouer les ingénieurs du chaos, l’immobilisme n’est pas une option »

TRIBUNE

Vincent Lemire

 

Dans une tribune au « Monde », l’historien esquisse les contours d’une possible réponse politique et judiciaire au traumatisme du 7-Octobre et de la guerre à Gaza.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/01/22/vincent-lemire-historien-en-israel-palestine-si-l-on-veut-faire-echouer-les-ingenieurs-du-chaos-l-immobilisme-n-est-pas-une-option_6509423_3232.html
 

« Cessez-le-feu », « arrêtez le massacre », « faites taire les armes » ! Tels sont les mots qui, depuis mercredi 15 janvier [et la conclusion d’un accord sur un cessez-le-feu dans la bande de Gaza et la libération d’otages], soulagent et apaisent. « Libérez les otages », « délivrez les prisonniers », « les femmes et les enfants d’abord » ! Vocabulaire performatif, qui réconforte et qui console. Les émotions des victimes, au premier plan, nous débordent : les larmes des familles israéliennes tenaillées par l’angoisse, ne sachant pas si elles reverront un parent vivant ou mort ; les pleurs des familles palestiniennes, certaines qui retrouvent un frère ou un cousin emprisonné depuis des décennies, d’autres à jamais privées d’un proche, d’un toit, d’un lieu de vie. Et puis, les analyses, qui pointent en arrière-plan, parce que le cœur sans la raison ne pourrait pas grand-chose face aux bouillonnements du ventre, des ressentiments et des haines recuites.

Nous en sommes là. Nous nous retournons, hébétés et exténués, sur ces quinze mois tissés de morts et d’atrocités à Gaza et en Israël, d’insultes et d’infamies en France, d’aveuglements et de déshonneurs partout en Occident. Toutes et tous, proches d’Israël, solidaires des Palestiniens, ou les deux à la fois, nous sommes K.-O., déboussolés et renversés. Nous nous tenons, mutiques et stupéfaits, au bord du cratère encore fumant de Gaza, au seuil d’une maison dévastée du kibboutz de Beeri, dans l’aube incertaine du « jour d’après », tant espéré mais si lugubre, tant attendu mais si obscur.

Quinze mois de guerre

Soyons honnêtes : nous n’y voyons plus rien, et nous peinons à espérer. La guerre en Ukraine n’a pas produit le même obscurcissement, car l’agresseur et l’agressé y étaient bien identifiés, et nos engagements bien assurés. Mais, depuis le 7 octobre 2023, le lancinant décompte des morts palestiniens et l’obsédant décompte des jours de captivité des otages israéliens ont lentement mais sûrement déchiré nos consciences et, ce faisant, abîmé nos intelligences. Tentons d’allumer quelques lanternes pour éclairer cette longue nuit d’hiver.

Ecartons d’abord le fantasme naïf d’un cauchemar dont on pourrait se réveiller, d’une parenthèse que l’on pourrait refermer. Le 14 octobre 2023, j’écrivais dans Le Monde que l’acte terroriste effroyable du 7-Octobre nous avait fait basculer dans le cinquième acte de la tragédie israélo-palestinienne, car l’objectif du Hamas était de « provoquer Israël afin que son armée commette des crimes de guerre d’une ampleur inédite, [jusqu’à] un retournement de l’opinion publique mondiale ». Nous y sommes. Au sein des jeunes générations et parmi les Etats du Sud, le rejet d’Israël est durablement installé, et cela finira par avoir des effets.

 

Ecartons ensuite la fausse symétrie d’une défaite morale qui serait compensée par une incontestable victoire militaire : Antony Blinken, alors secrétaire d’Etat des Etats-Unis, a constaté, mardi 14 janvier, que le Hamas a recruté autant de combattants qu’il en a perdu, créant ainsi les conditions d’une « guerre perpétuelle ». Sur le plan des armements, le Hamas est passé maître dans le recyclage des 10 % de munitions non explosées, élément décisif quand on sait que 100 000 tonnes de bombes ont été larguées sur la bande de Gaza et qu’une seule bombe de 300 kilos permet de fabriquer des dizaines de roquettes.

Sur le plan territorial, le couloir de Philadelphie [corridor de 14 kilomètres de long entre l’Egypte et la bande de Gaza] décrit, à l’été 2024, par Benyamin Nétanyahou comme « vital pour la survie et l’existence d’Israël », sera finalement évacué, tout comme celui de Netzarim [entre Israël et la mer Méditerrannée, et séparant la bande de Gaza en deux]. Sur le plan des infrastructures, le réseau de tunnels souterrains est demeuré largement indemne, comme en atteste l’incapacité de l’armée israélienne à délivrer les otages qui y sont restés captifs durant quinze mois. Enfin, sur le plan des structures administratives, la colonne vertébrale du Hamas a tenu, et c’est toujours son ministère de la santé qui délivre les certificats de naissance et de décès. Pour les Israéliens, c’est un douloureux retour au réel : il n’y aura ni « victoire totale » ni « éradication du Hamas », contrairement à ce qu’avait claironné leur premier ministre fallacieux pour se dédouaner d’une impardonnable faillite sécuritaire.

Survie politique

Après 470 jours de guerre s’ouvre donc une trêve de 42 jours, qui pourrait déboucher sur une seconde phase de négociations, puis sur un arrêt complet des hostilités. Cet accord en trois étapes peut à tout moment dérailler, mais, en tout cas, il est sensiblement le même que celui proposé par Joe Biden à l’été 2024. A l’époque, l’armée israélienne estimait avoir tué 18 000 combattants du Hamas. Une estimation réévaluée à 20 000 à la mi-janvier. Six mois pour presque rien, donc, sur un plan tactique. Bien sûr, l’équation géopolitique au Liban, en Syrie et en Iran a été depuis amplement remaniée, mais cela ne justifiait pas la poursuite des bombardements aveugles sur Gaza. Pourquoi un cessez-le-feu maintenant, alors ?

L’ex-ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a donné la réponse sur X, le 14 janvier, juste avant de démissionner : « Depuis un an, nous avions réussi à bloquer cet accord grâce à un rapport de force électoral qui nous était favorable, mais ce rapport de force a changé » avec l’arrivée dans la coalition de Gideon Saar, ancien opposant interne à Nétanyahou [devenu ministre israélien des affaires étrangères en novembre 2024]. Celui-ci, par pur cynisme, a donc délibérément sacrifié la vie de ses concitoyens pour prolonger sa survie politique.

Devant un tel gâchis, ce sont les sentiments de colère et d’amertume qui dominent. Comment les dépasser ? Comment sortir du trauma dans lequel Benyamin Nétanyahou et Yahya Sinouar [chef militaire du Hamas et architecte de l’attaque du 7-Octobre, tué par l’armée israélienne en octobre 2024], unis par une terrifiante complicité criminelle, ont voulu nous enfermer ? Comment penser le post-trauma, comment panser les plaies béantes et préparer la cicatrisation des âmes ? La discipline historique, science du temps et des temporalités, peut nous y aider, en s’appuyant sur les expériences du passé et en dialoguant avec les disciplines de la psyché.

Guérir les âmes

Pour sortir du trauma, les psychologues nous apprennent qu’il faut d’abord pouvoir en faire le récit, puis en obtenir reconnaissance et réparation, pour enfin réussir à se projeter dans un avenir post-traumatique : capacités d’expression, de réparation et de projection sont les trois étapes, successivement indispensables, de ce processus.

Il faudra donc d’abord accueillir les récits des otages, depuis leur enlèvement jusqu’aux exactions subies en détention, sans détourner le regard sur les viols et autres actes de barbarie infligés par leurs geôliers. Il faudra de nouveau raconter l’exécution de six d’entre eux, d’une balle dans la nuque, à la fin du mois d’août dernier. Il faudra documenter le martyre subi par les habitants des kibboutz attaqués le 7 octobre 2023 et par les participants du festival Tribe of Nova, sans détourner le regard sur les femmes, les vieillards et les enfants assassinés ce jour-là.

 

Il faudra décrire l’enfer de Gaza, les dizaines de milliers de morts, les centaines de milliers de blessés, il faudra recueillir les récits des orphelins, des jeunes filles amputées, des malades condamnés. Il faudra rappeler que deux tiers des morts sont des femmes et des enfants, selon l’Organisation des Nations unies. Grâce à l’ouverture des frontières, les ONG et les journalistes pourront enfin identifier les milliers de cadavres ensevelis sous les décombres et dresser le macabre bilan de ces quinze mois funestes. Les historiens pourront alors rappeler que ces massacres sont sans précédent, si on les compare, par exemple, au bilan de la première Intifada, qui avait coûté la vie à environ 1 000 Palestiniens en cinq ans (1987-1992).

Il faudra ensuite réparer juridiquement ces exactions. En mai 2024, le procureur de la Cour pénale internationale avait demandé l’émission de cinq mandats d’arrêt. Les trois Palestiniens visés (Yahya Sinouar, Ismaïl Haniyeh et Mohammed Deif) ont depuis été assassinés par Israël : une sentence unilatérale leur a donc été appliquée, par une exécution extra-judiciaire.

Réponse judiciaire

Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant [ancien ministre de la défense israélien] sont bien vivants et restent poursuivis, ils devront donc répondre de leurs actes. Au-delà de ces poursuites individuelles, il faudra que les instances juridiques internationales poursuivent leurs enquêtes sur les crimes de génocide imputés au gouvernement israélien et sur les crimes de guerre imputés aux deux parties. Aux cyniques qui agitent le grelot d’une realpolitik mal comprise, il faudra rappeler ceci : la justice internationale n’est pas seulement un impératif moral, c’est aussi le seul outil dont on dispose pour briser un cycle de vengeance.

Mais, pour sortir véritablement du trauma, pour que les Israéliens cessent de revivre éternellement le 7 octobre 2023, pour que les Palestiniens cessent de compter leurs morts comme ils comptent les jours, pour se libérer d’un présent insupportablement immobile et verrouillé, il faudra aussi esquisser une projection vers un avenir plausible et habitable. Quel sera le dénouement de ce cinquième acte de la tragédie israélo-palestinienne ? Des deux côtés, les ingénieurs du chaos ont un plan bien établi et convergent : la guerre sans fin, jusqu’à anéantissement de l’adversaire.

Les suprémacistes israéliens, par la voix du ministre des finances, Bezalel Smotrich, exigent la reprise des combats pour « occuper la bande de Gaza et créer un gouvernement militaire », ainsi que l’annexion complète de la Cisjordanie, sa prochaine cible. Le ministre de la défense israélien, Israël Katz, leur a donné raison en libérant, dimanche 19 janvier, tous les colons en détention administrative pour faits de violence. Les cadres survivants du Hamas ne sont pas en reste, par la voix de l’actuel numéro deux du bureau politique, Khalil Al-Hayya, déclarant, trois jours avant l’instauration du cessez-le-feu, que la résistance de son peuple finira par « expulser l’occupant de [leur] terre et de Jérusalem ».

Si l’on veut faire échouer ces ingénieurs du chaos, l’immobilisme n’est donc pas une option, surtout dans le contexte d’une présidence Trump. Pour remplacer le Hamas à Gaza et pour offrir une alternative viable à tous les Palestiniens, il faut reconnaître l’Etat de Palestine dans les frontières de 1967, maintenant. Ce ne serait pas une « récompense » accordée au Hamas comme on l’entend parfois, mais au contraire un encouragement envers ses concurrents. L’historien Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, soutient, par exemple, fortement cette initiative et souligne que seule cette reconnaissance permettra d’ouvrir une négociation efficace, car fondée sur un principe d’égalité. La France se prépare à cette annonce, qui pourrait avoir lieu en juin, lors d’une conférence internationale présidée avec l’Arabie saoudite, à New York.

Pour diriger ce nouvel Etat palestinien désormais crédible et légitime, il faudra qu’un nouveau leadership émerge. Ici encore, l’opportunité existe, concrètement : il faut que Marwan Barghouti soit inscrit sur la liste des prisonniers libérables. Ancien leader du Fatah, combattant de la seconde Intifada (2000-2005), figure populaire incontestée parmi la jeunesse, le « Mandela palestinien » emporterait haut la main une prochaine élection présidentielle, selon toutes les enquêtes d’opinion. Les négociateurs qataris et égyptiens poussent actuellement pour conforter cette hypothèse. Pour aboutir, ils auront besoin de l’appui des chancelleries occidentales.

Les armes se sont tues. Dans ce précieux silence, les consciences peuvent de nouveau cheminer, et tout peut arriver. Le dénouement militaire de l’effroyable séquence ouverte le 7 octobre 2023 est sans doute advenu. Le dénouement politique et historique reste encore à écrire.

Vincent Lemire

 est professeur d’histoire à l’université Gustave-Eiffel. Il a dirigé le Centre de recherche français à Jérusalem de 2019 à août 2023. Il est l’auteur, avec Christophe Gaultier, de la bande dessinée « Histoire de Jérusalem » (Les Arènes, 2022) et, avec Thomas Snégaroff, d’« Israël-Palestine. Anatomie d’un conflit » (Les Arènes, 2024).

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article