Retour sur 2024 : la bande de Gaza, cible de destructions systématiques

Publié le par FSC

Benjamin Barthe
Le Monde du 11 janvier 2025

 

Des Gazaouis devant leur maison détruite par une frappe israélienne, à Rafah, le 18 mars 2024. FATIMA SHBAIR / AP

 

La bande de Gaza n’existe plus. Après quinze mois de bombardements israéliens d’une brutalité inédite – qui ont causé la mort de plus de 45 000 Palestiniens, selon le ministère de la santé du Hamas, en grande majorité des femmes et des enfants –, le territoire côtier tel qu’on le connaissait a disparu. Les 40 kilomètres de bâti, enchevêtrement de camps de réfugiés, de grosses agglomérations et de bourgs semi-ruraux, ont été remplacés par un océan de ruines.


Écoles, universités, administrations, hôpitaux, centres culturels ou commerciaux, terrains de sport, usines de traitement des eaux, entrepôts, édifices religieux : rien n’a échappé aux frappes destructrices de l’Etat d’Israël. Commencée en opération de riposte à l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023, qui a fait 1 200 morts dans le sud de l’Etat hébreu et conduit à la capture de 250 otages, l’offensive israélienne a viré à l’entreprise d’anéantissement.


En septembre 2024, selon les analyses de deux chercheurs, Corey Scher, de la City University de New York, et Jamon Van Den Hoek, de l’université d’Etat de l’Oregon (Etats-Unis), menées à partir de relevés satellites, il apparaissait que près de 60 % des bâtiments de la bande de Gaza avaient été détruits ou endommagés, un taux qui approchait 75 % dans la ville de Gaza. La plus grande agglomération palestinienne (700 000 habitants avant la guerre) a été, à peu de chose près, rayée de la carte.


Parallèlement à ces destructions sans précédent, le gouvernement israélien de Benyamin Nétanyahou, de tendance ultranationaliste, a cisaillé la bande de Gaza de corridors militarisés. Ces routes, au nombre de trois à la fin de l’année, avec une quatrième en préparation, ont découpé la bande de Gaza en autant de poches hermétiques. Il y a celle de Jabaliya, Beit Hanoun et Beit Lahia, à l’extrême nord ; celle de la ville de Gaza un peu plus au sud ; celle de Deir Al-Balah au centre ; celle de Khan Younès et Rafah, dans la partie méridionale.


Chacune de ces mini-enclaves comprend trois zones, à la dangerosité variable : un no man’s land, d’une largeur d’environ 2 kilomètres, en lisière du territoire israélien, où tout Palestinien est abattu sur-le-champ ; une zone de manœuvre militaire soumise à des bombardements réguliers et une « safe zone » (« zone sûre »), où s’entasse l’essentiel de la population, sous des tentes et des abris de fortune, dans des conditions de vie inhumaines, et qui, malgré ce label, n’est pas épargnée par les frappes. En conséquence, les 2,2 millions de Gazaouis sont désormais agglutinés sur environ 22 % de la superficie de la bande de sable, soit 80 kilomètres carrés – l’équivalent de la ville de Limoges.

Pluie de bombardements


Ce remodelage du territoire palestinien résulte de tactiques délibérées, mises en œuvre à chacune des phases de l’offensive israélienne, de la première, le 27 octobre 2023, qui a visé le nord et la ville de Gaza, jusqu’à l’attaque dirigée contre Rafah, à partir du 6 mai 2024. C’est là que le cerveau du massacre du 7-Octobre, Yahya Sinouar, devenu entretemps le chef du bureau politique du Hamas, a été abattu par une patrouille israélienne, en octobre 2024.


Tout en bataillant contre les unités combattantes du Hamas, à qui elle a infligé de lourdes pertes, l’armée israélienne a détruit les infrastructures indispensables à la survie de la population, en particulier les hôpitaux, a multiplié les ordres d’évacuation arbitraires pour déplacer de force la population et interdit, ou entravé très fortement, l’acheminement de l’aide humanitaire. Trois méthodes auxquelles s’est ajoutée une coupure presque totale de l’approvisionnement en électricité, en eau et en carburant.
Ce faisant, les dirigeants israéliens ont rendu la bande de Gaza quasi invivable, dans l’espoir plus ou moins avoué que, lorsque la frontière avec l’Egypte sera réouverte, une partie des Gazaouis décidera de partir vivre à l’étranger. Le ministre de la sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, chantre du suprémacisme juif, a déclaré qu’« encourager les résidents de Gaza à émigrer est une solution juste, morale et humaine ».


C’est dans le nord de Gaza que la brutalité des frappes israéliennes a atteint son paroxysme. Depuis le mois d’octobre, le secteur Jabaliya-Beit Hanoun-Beit Lahia est soumis à une pluie de bombardements, qui, comme ailleurs, ont décimé des familles entières. Les tirs visent en particulier les derniers hôpitaux en service, comme l’hôpital Kamal-Adwan, qui a perdu plusieurs de ses soignants. Encore peuplée d’environ 175 000 personnes au début de l’offensive, la région nord n’abritait plus que 75 000 personnes à la mi-novembre.


L’objectif à peine dissimulé du gouvernement israélien est d’en faire une zone tampon, dépeuplée et définitivement coupée du reste de l’enclave. Les plus radicaux de la coalition au pouvoir espèrent y rebâtir des colonies juives, dans un mouvement de revanche sur le désengagement de Gaza, qui, en 2005, sous le gouvernement d’Ariel Sharon, avait conduit à l’évacuation manu militari des colons présents dans la bande côtière.
Pour de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International et Human Rights Watch, le caractère systématique de ces pratiques, couplées aux déclarations incendiaires faites par de nombreux responsables israéliens, dessine une politique d’Etat, qu’elles qualifient de « nettoyage ethnique » et de « génocide ». Le supplice infligé à Gaza a valu à M. Nétanyahou et à son ancien ministre de la défense d’être l’objet de demandes de mandat d’arrêt, en novembre, par la Cour pénale internationale, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Nouveau front au Liban


A la fin de l’année, les négociations en vue d’un cessez-le-feu ont repris, sous l’égide des Etats-Unis, de l’Egypte et du Qatar. Le précédent texte, rejeté par Israël en juillet, prévoyait un retrait graduel des forces israéliennes de la bande de Gaza, doublé de la libération des otages israéliens, contre un nombre à déterminer de prisonniers palestiniens. Sur les 250 Israéliens kidnappés par le Hamas le 7-Octobre, on estime qu’une centaine est toujours détenue à Gaza, mais beaucoup sont présumés morts.
A la mi-septembre, un nouveau front s’est ouvert, au Liban.

Après un an de guerre de basse intensité avec le Hezbollah, lancée par le mouvement chiite en signe de soutien au Hamas dans la bande de Gaza, l’Etat hébreu a changé la nature des échanges. Tout a commencé les 17 et 18 septembre, par une opération clandestine – l’explosion de centaines de bipeurs et de talkies-walkies piégés, utilisés par des membres du Hezbollah – qui a fait 42 morts et 3 500 blessés. Puis, le 23 septembre, Israël a intensifié ses frappes, tuant près de 500 personnes en une journée.


Quatre jours plus tard, le secrétaire général du mouvement chiite libanais, Hassan Nasrallah, a péri dans un tir de missile sur l’un de ses bunkers, dans la banlieue sud de Beyrouth. Et le 30 septembre, les troupes israéliennes pénétraient au sol, dans le sud du Liban.

Débordé par le niveau d’infiltration de ses rangs par l’Etat hébreu, incapable de percer, la plupart du temps, le rideau de fer constitué par les batteries antimissiles israéliennes, sous pression aussi de la population libanaise, à bout de forces, le Hezbollah a conclu un cessez-le-feu, le 26 novembre. Un texte en forme de reculade pour le mouvement chiite, qui a renoncé, de facto, à ses tirs en soutien à Gaza, alors même que la guerre se poursuit dans l’enclave. La confrontation Israël-Hezbollah a fait plus de 3 800 morts côté libanais, et une centaine côté israélien.
 

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