Entre Donald Trump et Benyamin Netanyahou, la sainte alliance du pire
Christophe Deroubaix
L'Humanité du 03 février 2025
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La visite de Benyamin Netanyahou à Washington illustre le soutien sans faille de Donald Trump envers la politique coloniale israélienne.© JOHN WESSELS / AFP |
En choisissant de recevoir en grande pompe le premier ministre israélien, objet d’un mandat d’arrêt de la CPI, le président nationaliste flatte sa base évangélique et veut préparer le remodelage du Moyen-Orient.
Pour arriver sans encombre à Washington, l’avion de Benyamin Netanyahou a dû faire des zig-zag dans le ciel. Aucune fantaisie du pilote, juste un impératif juridique : éviter les espaces aériens de pays qui auraient pu mettre à exécution le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI). Sauf celui de la France, que l’avion a survolé, selon une information relayée par le compte X de Citizen Media, sans que les autorités interviennent.
Dans la capitale fédérale américaine, c’est un tapis rouge tendu par Donald Trump qui attendait le premier ministre israélien, accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Un énième pied de nez à la communauté internationale alors que le président nationaliste a déclenché une guerre des droits de douane avec les trois principaux partenaires commerciaux des États-Unis (dans l’ordre : Mexique, Chine et Canada) et gelé pendant quatre-vingt-dix jours l’aide internationale.
Une invitation comme « révélateur »
Cette invitation constitue un « révélateur », a estimé Benyamin Netanyahou, avant de s’envoler pour Washington. Dans l’esprit du premier ministre israélien, cet « honneur » qui lui est fait révèle la force de la « relation spéciale » qu’entretiennent les deux pays depuis 1967, ainsi que l’alignement qu’il espère indéfectible de Donald Trump sur ses propres intérêts politiques. Lors de son premier mandat, Donald Trump ne répétait-il pas qu’Israël n’avait « jamais eu un meilleur ami à la Maison-Blanche » ?
L’ambassade américaine avait alors été déménagée de Tel-Aviv à Jérusalem, reconnaissant ainsi la ville comme capitale d’Israël, au mépris de nombreuses résolutions de l’ONU. Le second mandat a commencé sous les mêmes auspices : Donald Trump a débloqué la livraison à Israël de bombes de 2 000 livres (quelque 900 kilos), que Joe Biden avait suspendue dans les derniers jours de sa présidence, et annulé des sanctions financières contre des colons israéliens accusés de violences contre des Palestiniens, là aussi une mesure de la précédente administration.
Les premières nominations de Donald Trump indiquaient déjà que Benyamin Netanyahou pouvait dormir sur ses deux oreilles diplomatiques. À l’ONU, le poste d’ambassadeur est occupé par Elise Stefanik, une députée ultratrumpiste qui s’était illustrée dans la campagne contre les mobilisations sur les campus, accusant systématiquement d’antisémitisme tout étudiant opposé à la guerre totale menée contre Gaza. Steven Witkoff, magnat de l’immobilier et leveur de fonds pour la campagne Trump, désigné envoyé spécial pour le Moyen-Orient, est lui aussi totalement aligné sur les positions extrémistes de la coalition au pouvoir à Tel-Aviv.
Enfin, « last but not least », Mike Huckabee s’est vu confier le poste d’ambassadeur à Jérusalem. Ce pasteur baptiste du Sud s’était distingué en 2017 par ce propos : « La Cisjordanie n’existe pas. Une colonie, ça n’existe pas – ce sont des communautés, des quartiers, des villes. L’occupation n’existe pas. » En 2008, lors de sa campagne présidentielle, il avait déclaré dans une vidéo publiée par BuzzFeed qu’« il n’existe pas vraiment de Palestinien ».
Il ajoutait que tout État palestinien indépendant devrait être défini à l’intérieur des frontières des États arabes voisins tels que l’Égypte, la Syrie ou la Jordanie, et non d’Israël. Une « folie » diplomatique, à l’époque, désormais devenue au centre de la position américaine avec la dernière saillie de Donald Trump appelant à « nettoyer » Gaza de ses habitants.
Les évangéliques, premiers soutiens du gouvernement israélien
Aucune figure n’incarne mieux l’alliance entre le « bloc évangélique » et l’extrême droite israélienne que celle de Mike Huckabee. Les chrétiens évangéliques blancs constituent à la fois la poutre maîtresse de l’électorat de Donald Trump (plus de 80 % d’entre eux ont voté pour lui en novembre dernier) et la colonne vertébrale de l’Aipac (American Israel Public Affairs Committee), navire amiral du « lobby pro-Israël ».
« Certains chrétiens évangéliques, en particulier ceux que l’on appelle les sionistes chrétiens, considèrent la création de l’État juif comme l’accomplissement d’une prophétie biblique. La Genèse dit que Dieu a donné à Abraham et à ses descendants la terre d’Israël ; en colonisant la Cisjordanie, les juifs ne font que reprendre ce que Dieu leur a donné. Certains chrétiens considèrent également la création d’un grand Israël comme un événement clé menant à la ”bataille finale” de la fin des temps, décrite dans le livre de l’Apocalypse du Nouveau Testament.
Ces deux perspectives impliquent qu’Israël mérite le soutien des États-Unis, non pas parce qu’il s’agit d’une démocratie, d’un opprimé ou d’une société moralement supérieure, mais parce que la volonté de Dieu est de soutenir Israël », expliquent John Mearsheimer et Stephen Walt dans leur ouvrage de référence le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine.
« L’Amérique d’abord mais Israël aussi »
La base Maga (Make America Great Again), shootée à l’« America First », le slogan de Donald Trump emprunté à l’isolationniste et antisémite Charles Lindbergh (1902-1974), et la base pro-Netanyahou ne forment presque qu’une seule et même entité. C’est en quelque sorte « L’Amérique d’abord mais Israël aussi », une sainte alliance qui sera célébrée par les deux dirigeants politiques.
Pourtant, les intérêts politiques de Donald Trump et de Benyamin Netanyahou ne se recoupent pas de manière parfaite. Le premier veut finaliser le remodelage du Moyen-Orient afin de pouvoir consacrer les moyens de la puissance américaine à la compétition stratégique avec la Chine, dans la lignée du « pivot asiatique » initié par Barack Obama et poursuivi par Joe Biden. Il entend donc obtenir du second des concessions afin de relancer le processus des accords d’Abraham et d’y intégrer l’Arabie saoudite.
Ryad a fait savoir qu’un statu quo sur la question palestinienne était inenvisageable. Mais, pour la frange la plus extrémiste du gouvernement israélien, toute avancée même minime et rhétorique sur le chemin de la reconnaissance des droits des Palestiniens représente un « casus belli ». Benyamin Netanyahou devra alors renouer avec une pratique dans laquelle il excelle : les zig-zag diplomatiques. Mais, jusqu’ici, personne ne l’a fait dévier de son cap.