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La Palestinienne d'Israël, Hanin Majadli est journaliste pour Haaretz, rare quotidien indépendant et critique du gouvernement Netanyahou.
Comment écrire librement dans un pays qui a perdu la raison ? Pour Hanin Majadli, journaliste à Haaretz, ce problème se pose au quotidien. Elle fait partie de ces près de 2 millions de Palestiniens qui vivent en Israël, mais qui ne bénéficient pas des mêmes droits que les citoyens juifs. Si leur quotidien est bien loin de celui des milliers de Gazaouis qui survivent sous les bombes depuis quinze mois, leur vie a, elle aussi, basculé le 7 octobre 2023.
De passage à Paris, elle raconte à l’Humanité la difficulté de sa position et la manière dont les attaques meurtrières du Hamas ont fait basculer la société israélienne dans un climat de suspicion constante et de guerre contre le « terrorisme ».
Nous la retrouvons au Mistral gagnant, petit café de quartier en plein cœur de la Goutte-d’Or, dans le 18e arrondissement de Paris. C’est dans un froid glacial que Hanin arrive avec un léger retard. Sa voix est enfin revenue. Deux jours auparavant, elle lui fait défaut lors d’une conférence sur les biais des médias israéliens et occidentaux organisée à Sciences Po.
« Le journalisme était dans mon ADN »
Après quelques gorgées de thé noir brûlant pour se réchauffer, elle raconte son parcours : originaire d’une petite ville du centre d’Israël, elle part étudier l’histoire du monde arabe et de l’islam à l’université de Tel-Aviv avant de se tourner vers le journalisme. « Je pense que c’était dans mon ADN, mon père était un journaliste local, et ma famille a toujours été impliquée dans le journalisme et la politique, plaisante-t-elle. Un de mes cousins est aussi journaliste, c’est le seul Arabe à Channel 12. »
Cela fait désormais quatre ans qu’elle travaille pour Haaretz, rare quotidien israélien favorable à l’existence d’un État palestinien et très critique du gouvernement actuel. Benyamin Netanyahou a d’ailleurs interdit à toutes les institutions du pays de communiquer avec ses journalistes et a tenté de museler le journal via sa régie publicitaire. Chaque semaine, en plus de contribuer à son édition arabe, Hanin Majadli y publie un billet d’opinion.
Depuis le 7 octobre 2023, ses prises de position peuvent lui coûter cher. L’adresse de son domicile et son numéro de téléphone ont été diffusés à plusieurs reprises. Des influenceurs israéliens au million d’abonnés ont partagé ses publications en la calomniant : « Regardez, cette journaliste arabe israélienne de Haaretz dit que les Israéliens sont des nazis. » Cette fois, elle a vraiment eu peur.
Alors que les enceintes du café se mettent à jouer un morceau de la « diva » libanaise Fairouz, Hanin s’arrête dans son récit : « C’est la première fois que j’entends cette musique dans un café parisien ! » Rapidement, elle revient sur son quotidien, celui des Arabes israéliens. « En tant que Palestinien, vous êtes potentiellement un ennemi », affirme-t-elle. Selon elle, le 7 octobre a plongé Israël dans une ambiance « fasciste ».
Le narratif suprémaciste et guerrier du gouvernement
La plupart des Israéliens vivent depuis cette date dans une bulle. Bulle dans laquelle les Palestiniens sont perçus comme des « terroristes » et où les preuves du génocide en cours ne sont pas diffusées par les médias. Toute marque d’humanité envers l’« autre » y est extrêmement difficile, si ce n’est impossible. « Certains ne savent pas du tout ce qu’il se passe, mais la majorité des Israéliens le sait très bien et s’en fiche complètement », déplore la journaliste.
La majorité des médias israéliens embrasse inconditionnellement le narratif suprémaciste et guerrier du gouvernement. Pour Hanin, cela s’explique en partie par le fait que nombre de journalistes israéliens sont formés lors de leur service militaire, au sein du redoutable service de communication de l’armée. Les forces armées disposent aussi d’une radio et d’un magazine. Un formatage efficace.
Malgré la censure et les menaces, Hanin est sereine pour la survie de son journal. « Nous continuons à faire notre travail normalement. Il y a encore des étapes avant la censure totale. » Interdire de publication Haaretz serait encore un aveu de l’autoritarisme de Netanyahou sur la scène internationale alors qu’il s’évertue à présenter Israël comme la seule démocratie du Moyen-Orient.
Mais quel avenir pour Hanin et les quelques confrères et consœurs arabes qui travaillent dans les médias hébreux ? « Je fais mon travail au jour le jour, mais je ne pourrai pas vous dire de quoi les choses seront faites à la fin de l’année, explique-t-elle en finissant son thé. Je n’arrive pas à voir un futur pour le journalisme palestinien en Israël. »