Médecin à Gaza, arrêté par Israël : Hussam Abu Safiya, symbole de la résistance
Rachida El Azzouzi
Médiapart du 07 février 2025
Hussam Abu Safiya (au centre) avec une délégation de l’Unicef à l'hôpital Kamal-Adwan à Beit Lahiya, dans le nord de la bande de Gaza, le 17 septembre 2024. © Photo Hassan Zaanin / Anadolu via AFP |
Le directeur du dernier hôpital en activité dans le nord de Gaza est en prison depuis la fin décembre et son arrestation par les autorités israéliennes. Sa famille s’inquiète de ses conditions de détention et témoigne de son engagement au service de la cause palestinienne.
Albina Abu Safiya conjure l’inquiétude et la tristesse en invoquant Dieu, Allah. Elle explique à Mediapart, par téléphone (la bande de Gaza étant toujours interdite à la presse internationale par les autorités israéliennes), combien « la religion l’aide à tenir ».
Et si elle avait convaincu son mari de fuir Gaza avec leurs six enfants pour son pays natal, le Kazakhstan, qui leur proposait l’asile ? Le couple s’y est rencontré pendant leurs études, dans les années 1990. Elle ne cesse de ressasser cette possibilité, tout en connaissant pertinemment la réponse.
Jamais son mari n’aurait accepté. Plusieurs fois, elle l’a sondé. Et s’est toujours heurtée au même refus : « Pars avec les enfants. Moi, je reste ici. Je suis palestinien. Je ne quitterai ni l’hôpital ni Gaza. C’est un devoir. »
Albina Abu Safiya, 46 ans, est l’épouse de Hussam Abu Safiya, directeur de l’hôpital Kamal-Adwan, dernier établissement de santé encore fonctionnel dans le nord de la bande de Gaza. Il a été pilonné sans répit, à partir d’octobre 2024, par l’armée israélienne, qui a argué, sans fournir de preuves, viser un centre de commandement du Hamas.
À l’automne, Hussam Abu Safiya livrait une tout autre version à Mediapart, quelques jours après le décès de son fils Ibrahim, âgé de 20 ans, lors d’un assaut israélien : « Israël veut nous tuer un à un pour que nous cessions de faire tourner l’hôpital, qu’il n’y ait plus aucune possibilité de prise en charge médicale dans le Nord, plus aucune âme qui vive ici. Afin d’annexer le territoire. »
En refusant d’abandonner sa mission dans l’enclave martyrisée, malgré les risques et périls, Hussam Abu Safiya est devenu, au fil des mois et de ses appels à l’aide sur Instagram, une icône de la résistance palestinienne ainsi que l’emblème d’un corps soignant meurtri, ciblé par Israël, tout comme les journalistes, les humanitaires. Il est enfermé depuis le 27 décembre dans une prison israélienne.
Enfermé en Cisjordanie, peut-être
La dernière photographie de lui est une des images iconiques de la fin 2024. Dans les ruines de Gaza, Hussam Abu Safiya avance, de dos, tête haute et digne, dans sa blouse blanche, vers deux chars israéliens qui lui barrent la route et vers les soldats qui vont procéder à son arrestation.
Depuis, sa famille, rongée par l’angoisse, ainsi qu’un vaste réseau sans frontières de soutiens et d’ONG de défense des droits humains appellent à sa libération immédiate. Après une semaine à nier toute arrestation, les autorités israéliennes ont fini par confirmer la détention du Dr Abu Safiya « pour suspicion d’implication dans des activités terroristes », sans jamais prouver leurs accusations.
D’abord détenu à Sde Teiman, une base militaire dans le désert du Néguev, au sud d’Israël, symbole des tortures infligées à des centaines de Palestinien·nes de Gaza depuis le 7-Octobre, enfermé·es sans jugement ni inculpation, Hussam Abu Safiya a été transféré le 9 janvier à la prison d’Ofer, près de Ramallah, en Cisjordanie occupée. Sa détention a été prolongée au moins jusqu’au 13 février.
« Nous avons très peu d’informations et elles sont souvent contradictoires, explique Albina Abu Safiya. Est-il encore à Ofer ou dans une autre prison ? Nous ignorons où il se trouve exactement. Les autorités israéliennes lui refusent toute visite de son avocat, d’un médecin. Nous avons appris par d’anciens détenus qu’il avait été torturé à Sde Teiman, violemment battu, et nous connaissons le sort inhumain réservé aux Palestiniens dans les prisons d’Israël. »
La famille est d’autant plus inquiète qu’Hussam Abu Safiya souffre d’une hypertension artérielle chronique qui nécessite un traitement médicamenteux et qu’il ne s’est jamais véritablement remis de sa blessure à la jambe gauche, survenue lorsqu’une bombe qui le ciblait, lancée depuis un drone quadricoptère, a explosé dans les escaliers de l’hôpital Kamal-Adwan le 23 novembre 2024.
Soigné avec les moyens du bord, Hussam Abu Safiya n’a jamais cessé de travailler, même diminué, appuyé sur une béquille. « Depuis le premier jour, il dédie son temps aux patients, à leurs proches et au personnel médical, souligne sa femme, admirative. Nous nous sommes habitués à le voir très peu au quotidien. »
C’est en décembre 2023 qu’il a été nommé à la tête de l’hôpital, après l’arrestation du directeur de l’époque, et alors que la pénurie de travailleurs médicaux se faisait de plus en plus aiguë, la plupart ayant fui vers le sud ou à l’étranger, quand ils n’ont pas été tués par les bombes israéliennes. Albina Abu Safiya a enduré toutes les guerres d’Israël à Gaza depuis 2008, mais aucune n’a jamais été aussi difficile que le calvaire qui dure depuis le 7-Octobre : « Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide », martèle-t-elle.
Un hôpital assiégé
Prise dans « un deuil permanent », elle pleure la mort de leur fils Ibrahim, tué le 25 octobre 2024 par un drone israélien, à deux cents mètres d’elle, dans le chaos du siège de l’hôpital Kamal-Adwan, abritant des dizaines de patient·es dans un état critique et refuge pour des centaines de déplacé·es, des personnes âgées, des femmes, des enfants, affamés, assoiffés : « C’est un choc immense. Il n’y a pas de pire épreuve que la mort d’un enfant. »
Ce jour-là, son mari avait été détenu durant plusieurs heures avec des collègues et avait imploré pour la énième fois l’aide du monde entier. L’hôpital Kamal-Adwan et ses environs étaient sous le feu continu de l’artillerie israélienne. « C’était terrifiant. Des soldats avaient fouillé le bâtiment, détruit plusieurs salles, volé des téléphones, de l’argent », se souvient Albina Abu Safiya, réfugiée dans l’établissement, près de son époux.
Parti la veille au marché à la demande de sa mère pour trouver de quoi manger, Ibrahim n’avait pu revenir dans l’hôpital, déjà pris d’assaut. Il s’était mis à l’abri dans une maison environnante.
Sa mère l’a retrouvé, à l’issue de l’offensive qui a duré une trentaine d’heures, enveloppé dans un linceul au milieu de dizaines de victimes dans la cour de l’hôpital, avec à ses côtés son mari Hussam Abu Safiya, inconsolable. « J’ai compris qu’Ibrahim était tombé en martyr, tué par les tirs d’obus dans la zone. »
Ibrahim avait « plein de rêves et d’ambitions ». Il voulait visiter le pays de sa mère, le Kazakhstan, et y étudier la médecine comme son père, qui s’était spécialisé en pédiatrie. « Nous lui avons dit que si Dieu le voulait, il pourrait partir l’année suivante, raconte sa mère. Nous voulions le garder encore près de nous et rester tous ensemble dans ce moment difficile. » Ibrahim a cessé de parler de partir à l’étranger lorsque l’armée a fermé le point de passage de Rafah, en mai 2024. Pour se rendre utile, il est devenu bénévole à l’hôpital et a commencé à se former sur le tas à la médecine.
Après l’arrestation de son mari et l’évacuation violente de l’hôpital Kamal-Adwan, Albina Abu Safiya a trouvé refuge chez sa belle-sœur, avec d’autres familles, dans le quartier de Sheikh Radwan, dans la ville de Gaza. Un répit après avoir souffert de la faim, des bombardements, de la peur constante, mais les conditions de vie y demeurent très dures.
Elle loue aujourd’hui un appartement dans le même quartier. Sans réussir à se projeter dans l’avenir. « Israël a écrasé notre futur. Avant le 7-Octobre, nous avions une vie compliquée à cause du siège israélien mais nous parvenions à la rendre agréable et à être heureux malgré tout. Nos enfants allaient à l’université. Nous avions emménagé dans la nouvelle maison que nous avions construite près de la mer, dans le quartier de Sultan, sur la côte de Beit Lahiya. Elle n’existe plus. Elle a été bombardée. »
Malgré l’étendue de la dévastation et les ambitions désinhibées de nettoyage ethnique de Donald Trump, qui s’aligne sur l’extrême droite israélienne, la famille ne quittera pas Gaza. « La cause palestinienne est bien plus puissante », dit Albina Abu Safiya, qui l’a épousée en même temps que son mari en 1996. Elle avait 18 ans quand ils sont tombés amoureux lors d’un mariage au Turkestan, dans sa ville natale, où Hussam Abu Safiya, venu de Gaza, étudiait la pédiatrie.
Leur premier enfant, Élias, aujourd’hui marié et père de deux enfants, est né au Kazakhstan. Deux ans plus tard, le couple a émigré en Palestine et s’est installé dans le camp de réfugié·es de Jabaliya, où vit la famille de Hussam, qui a dix frères et sœurs. « Je ne connaissais rien à la Palestine mais l’amour de Hussam et l’accueil chaleureux que m’a réservé sa famille ont été mon moteur d’intégration. À leur contact, j’ai appris très rapidement la langue arabe. »
Elle loue « un homme de principes au service de son peuple ». « La seule préoccupation de mon père était de maintenir l’hôpital en service et de continuer à fournir des soins malgré le manque de tout, de médicaments, d’oxygène, abonde Élias. Il n’a pas hésité un instant à servir son peuple, et il est resté sur place dès le premier jour, malgré les offres de voyage à l’étranger. C’est ça, être un terroriste pour Israël ? »
Il est persuadé que son père a été arrêté « parce qu’il a montré le visage de la résistance pacifique et de l’humanité » : « Pourquoi l’avoir arrêté seulement en décembre, et pas avant, sachant que l’hôpital a été pris d’assaut quatre ou cinq fois ? En maintenant l’hôpital en fonction, il a mis en échec le plan israélien de déplacement forcé des Palestiniens du nord de la bande de Gaza. Sans l’hôpital Kamal-Adwan, les habitants n’auraient pas pu survivre et rester. »
Sa grand-mère paternelle, Samiha Abu Safiya, âgée de 75 ans, ne s’est pas remise de l’arrestation de son fils. « Elle vivait chez la sœur de Hussam, détaille Albina Abu Safiya. Lorsque nous l’avons retrouvée, après quatre-vingt-dix jours sans nouvelles, elle nous a demandé où était son fils. Nous lui avons dit de ne pas s’inquiéter, qu’Hussam allait bientôt revenir mais cela ne l’a pas rassurée. Elle a refusé de s’alimenter pendant plusieurs jours. Elle est morte d'une crise cardiaque le 8 janvier, avant d’avoir pu le revoir. »
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